Il y a 10 ans déjà, Trevor Chan faisait souffler un vent de fraîcheur sur le petit monde du STR. Seven Kingdoms introduisait dans le genre des aspects inédits comme la diplomatie, l'espionnage, les échanges commerciaux et les cités neutres. Succès d'estime plus que commercial, le titre avait cependant connu une suite tout aussi réussie. La franchise est aujourd'hui remise sur le devant de la scène avec Seven Kingdoms : Conquest, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on aurait mieux fait de la laisser couler ses vieux jours en paix.
Sorti outre-Atlantique mi-mars 2008, Seven Kingdoms : Conquest a reçu un accueil glacial de la part de la presse US en raison de son manque de finition : instable, buggé, non terminé, le titre était pratiquement injouable. Enlight Software et Jowood auront eu deux mois pour rectifier le tir (tout du moins en élaborant un patch), mais cela ne faisait visiblement pas partie de leurs priorités. L'éditeur était bien trop occupé à confectionner le superbe autocollant qui orne la boîte de jeu, sur lequel on peut lire : "Prix découverte – La stratégie pour tous". Une façon comme une autre d'attirer le chaland, mais en l'occurrence "La stratégie pour tous" ça prête à sourire vu que le titre refuse de fonctionner sur la plupart des PC. Les crashs sont incessants, et il est parfois nécessaire de réinstaller le jeu pour parvenir à le relancer. Sur certaines machines, il passe on ne sait trop pourquoi. Mais les ennuis ne sont pas pour autant terminés. Les tutoriels ne peuvent être menés à leur terme en raison d'un problème de script (un portail qui refuse de s'ouvrir) – déjà relevé dans la version US, soit dit en passant. Autre témoin du manque de finition du jeu, la fonction de matchmaking n'est pas incluse contrairement à ce que mentionne la notice : pour jouer en multi, il faut donc connaître l'adresse IP de son ami ou se rabattre sur un réseau local. Parvenu à ce point d'exaspération, il ne reste qu'à se poser la question suivante : l'expérience de jeu offerte vaut-elle tous ces déboires ?
Malheureusement, il est clair que non. Car si Seven Kingdoms : Conquest ne manque pas de bonnes idées (pour certaines originales), leur mise en application est maladroite et souvent peu convaincante. A commencer par le background, qui ratisse large (on pense à Warcraft III) tout en essayant de préserver la dimension historique qui a fait le succès de la série. Il oppose deux factions, les humains et les démons, dans une lutte qui prend ses racines dans l'Egypte ancienne : tous les 1000 ans, les démons et leur chef, Diablo (ça ne s'invente pas), tentent d'envahir la Terre et d'asservir les humains, qui doivent alors se défendre. Concrètement, le joueur incarne plusieurs civilisations à plusieurs âges de l'humanité (âge de bronze, âge de fer, période romaine, Moyen-Age), ou bien opte pour le camp des démons et l'un de ses sept royaumes différents (ombre, bête, cauchemar...). A priori, cette diversité paraît alléchante mais on découvre rapidement qu'elle n'est que cosmétique, les mécanismes de jeu ne variant aucunement d'une faction à l'autre. L'or et la nourriture sont pour les humains ce que la pierre et le sang sont pour les démons ; ces deux ressources se récoltent de la même manière chez l'un et chez l'autre. Les réussites des humains leur octroient des points de réputation, celles des démons des points de peur. Les premiers envoient des ambassadeurs et des espions dans les cités neutres, les seconds des succubes. Et on pourrait continuer comme ça longtemps, vu que seuls changent le nom et le design des unités et des bâtiments. La diversité visuelle ne sert donc qu'à maquiller un parallélisme archaïque et décevant. Le comble, c'est qu'elle n'est pas vraiment mise en valeur par les graphismes et les animations du jeu, d'une remarquable pauvreté. Reste le mode "campagne", susceptible de motiver le joueur à incarner chacune des deux races. Hélas, les guillemets ne sont pas innocents : chacune des deux "campagnes" ne consiste en effet qu'en une succession de 5 niveaux d'escarmouche, débarrassés de tout aspect scénaristique et jouables indépendamment, dont le but consiste immuablement à anéantir la (ou les) faction(s) ennemie(s).
Pourtant, un effort pour rentrer plus avant dans Seven Kingdoms : Conquest permet d'en extraire certaines qualités. Par exemple, on reste un moment circonspect devant l'absence d'unités de production (les fameux "péons"), avant de reconnaître que cela permet de se concentrer au mieux sur l'aspect stratégique. Deux éléments viennent étayer ce parti pris : la lenteur de récolte de l'or et la limitation du nombre de bâtiments pouvant être rattachés à la ville de départ. Ils poussent le joueur à effectuer des choix de développement qui se révéleront décisifs à plus ou moins long terme. De même, la prise des cités indépendantes – au centre du jeu – peut être faite par la violence et les armes ou bien négociée en douceur. La voie de la diplomatie et de l'espionnage permet d'économiser de précieuses unités militaires, mais elle revient cher : là encore, le joueur doit choisir. Il faut ajouter à tout cela la possibilité de "creeper" sur la carte pour augmenter le niveau de ses unités ou de s'emparer de Rocdémons, des sources de magie servant à lancer des sorts et à invoquer des créatures puissantes. Dans la même veine, certains accomplissements (construction de bâtiments, prise de villes, destruction d'unités ennemies...) octroient des points de réputation/de peur qui peuvent être utilisés pour acheter des unités spéciales, ou promouvoir celles dont on dispose déjà. Bref, Seven Kingdoms : Conquest possède des mécanismes intéressants. Le problème, c'est que le gameplay est plombé par une intelligence artificielle déplorable. Les escouades envoyées par vos adversaires errent souvent sans but sur la carte, tapant à peine sur ce qui passe à portée, fuyant alors qu'elles ont l'avantage... Au moins l'IA peut-elle compter, à l'instar des premiers STR, sur ses ressources apparemment illimitées et sa parfaite connaissance du terrain. Bref, un challenge aussi difficile que décevant, qui anéantit plus ou moins la dimension stratégique du jeu. Au final, bien que pétri de bonnes intentions, Seven Kingdoms : Conquest est un vrai gâchis qui amène à penser que le déterrage de la licence n'était pas indispensable. Si vous tenez à tout prix à essayer la série, reportez-vous sur l'un des deux premiers épisodes, disponibles à bas prix.
- Graphismes7/20
Le jeu est visuellement repoussant : les environnements sont peu détaillés, l'architecture des bâtiments est bien trop générique, les unités sont moches et mal animées... Devant la diversité visuelle affichée, on se dit que les développeurs auraient dû privilégier la qualité sur la quantité.
- Jouabilité5/20
L'interface est très classique mais les menus manquent de lisibilité. Les tutoriels buggés empêchent de saisir toutes les subtilités du gameplay. Ajoutez à cela des problèmes de pathfinding, une IA adverse catastrophique et une instabilité chronique du jeu.
- Durée de vie6/20
Le mode "campagne" est indigent ; autant se reporter sur le mode escarmouche qui permet de choisir sa faction et sa civilisation/son royaume. Le mode multijoueur est quant à lui tronqué. Le jeu dispose d'un éditeur de cartes : appréciable, mais l'essentiel était-il bien là ?
- Bande son10/20
Les sons d'ambiance sont inexistants. Certaines unités ne sont dotées d'aucun bruitage si ce n'est un grognement discret en combat. La musique, par contre, est réussie, si bien qu'elle parvient à sauver l'ambiance sonore de la déroute.
- Scénario5/20
Un background opportuniste et tiré par les cheveux, un scénario inexistant : voilà ce qui caractérise Seven Kingdoms : Conquest, dont l'ancrage historique n'était pas, mais alors vraiment pas nécessaire.
Seven Kingdoms : Conquest est un STR d'une grande médiocrité, qui tire ses forces de son ancêtre mais échoue sur tous les autres points. Son système de jeu intéressant ne saurait compenser la pléthore de défauts à son actif, parmi lesquels une variété illusoire, une réalisation datée, une IA calamiteuse et une instabilité chronique sur la plupart des PC. A éviter.