Le zoo ténébreux qu'est Silent Hill rouvre ses portes et pour l'occasion change de gardien. Bien que Konami ait tenu ce rôle depuis toujours, le passage de flambeau est désormais officiel. De fait, ce sera maintenant aux gens de Climax de pousser nos âmes torturées dans les méandres insalubres de la bourgade américaine afin de les guider vers un ailleurs pas forcément meilleur. Si ce choix avait de quoi laisser pantois, il faut croire à la vue du résultat que la société japonaise a misé sur le bon canasson puisque le brouillard a rarement été aussi opaque. Pas étonnant, quand on sait que la team de Climax est anglaise.
Un cirque de Freaks, la représentation d'une troupe d'acteurs déjantés, une antre pour un ramassis de psychopathes déglingués, une foutue allégorie de la bouche de l'enfer... Autant de moyens de décrire Silent Hill, une ville qui, depuis 1999, se joue de nos sens en malaxant nos inquiétudes afin de faire ressortir les peurs les plus primaires, celles du noir, de la solitude, du silence. Le parti pris de Konami n'était donc pas de faire à tout prix la nique au Resident Evil de Capcom puisque les deux séries ont une vision bien différente de l'horreur vidéoludique. En faisant un pas en arrière pour prendre suffisamment de recul, on se dit que le pari a été diablement réussi sans mauvais jeu de mots. Si encore aujourd'hui, Silent Hill 2 trône au sommet de cette pyramide grotesque, on ne peut enlever aux autres opus qu'ils ont tous participé au culte du malsain, à une reconnaissance certaine des amateurs du genre envers cet univers putride, psychologiquement dangereux. En allant un peu plus loin, on pourrait même citer le long-métrage de Christophe Gans aux qualités esthétiques indéniables et qui, bien que proposant une lecture légèrement différente du mythe original, n'en reste pas moins une des pierres angulaires de la saga ayant permis à bon nombre de personnes d'entrer de plein pied dans ce lieu de perdition. Bien établie, la saga l'est déjà, mais jamais un segment ne s'était basé sur les origines de Silent Hill pour nous faire découvrir les fondements même du Mal.
Développé par les géniteurs de Moto GP, Silent Hill Origins revient donc, grâce à un flash-back maîtrisé, quelques années avant que Harry Mason ne se réveille dans le snack-bar de la station balnéaire avec une fille en moins et une grosse dose de stress en plus. Ici, l'idée est donc de nous plonger au coeur de l'intrigue mettant en scène une Alessa avant qu'elle ne soit réduite au rang de simple réceptacle pour accueillir une divinité démoniaque dans notre monde. Le synopsis a pour lui de nous renvoyer d'une pichenette dans le passé et de nous confronter une fois de plus aux personnages qui ont bâti la série. De la sulfureuse infirmière Lisa Garland au guindé Michael Kaufmann, les protagonistes principaux répondront une fois encore présents. Toutefois, on pourra être surpris par les changements artistiques concernant Dahlia Gillespie qui de vieille prêcheuse dans Silent Hill passe ici au rang de femme énigmatique bien plus "contemporaine" dans ses choix vestimentaires. Cependant, l'écart temporel peut expliquer ce changement, anecdotique s'il en est.
Nous voici de retour dans ce Pandémonium terrestre et comme chaque visite se doit d'avoir son souffre-douleur, c'est Travis Grady qui en fera cette fois les frais. Pauvre camionneur affublé d'un look que n'aurait pas renié Marty McFly, ce chauffeur de poids lourds, hanté par des cauchemars perpétuels, aurait dû réfléchir à deux fois avant de passer aux abords de Silent Hill afin d'effectuer sa livraison. Ainsi, tout en paraphrasant la grammaire narrative de l'ouverture du premier Silent Hill, Travis va rapidement se retrouver nez à nez avec une mystérieuse jeune fille qui le guidera vers une maison en flammes dans laquelle il découvrira le corps calciné d'une malheureuse demoiselle. N'écoutant que sa raison, il va alors tenter de l'amener à l'hôpital le plus proche avant de sombrer dans une perte de conscience qui le mènera tout droit vers un Tartare brumeux. Si je n'ai point eu le temps de terminer le jeu (et j'en suis le premier désolé, croyez-le bien), mes premières impressions concernant le scénario sont plutôt bonnes. On déplorera peut-être un manque de cinématiques mais en couplant ces dernières avec divers fichiers textes qu'on peut glaner ici et là ou des effets de mise en scène astucieux, on obtient un scénario solide à même de vous souder à votre console pendant une poignée d'heures.
Sans plus attendre, rendons tout de suite hommage à la musique de l'infatigable Yamaoka qui nous offre des thèmes intrigants, à peine audibles par moments, où les sonorités métalliques s'invitent constamment au milieu d'ambiances pesantes. L'aboutissement de tous ces sons d'outre-tombe constitue une bande-son parfaite sans qui Silent Hill ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. A ce titre, comment ne pas succomber à la scène d'introduction pendant laquelle Travis marche vers son funeste destin sur fond d'une superbe chanson aux airs lancinants et profitant d'une voix angélique. Magnifique entrée en matière qui n'est que le prologue d'un titre dont la puissance évocatrice tire son énergie des entrailles d'une Playstation 2 qui arrive encore à surprendre aujourd'hui. Il faut en effet comprendre qu'au-delà de l'aspect scénaristique de Silent Hill Origins, la qualité graphique de l'oeuvre a de quoi faire ployer le plus critique d'entre vous. De fait, la représentation de la localité fait merveille tout comme la modélisation des personnages et a fortiori celle du bestiaire, sublimée par de superbes jeux de lumière et une composition sophistiquée de plusieurs plans.
Sur ce point, on signalera quelques nouvelles créatures, toujours aussi déformées, "Munchiennes", "Barkeresques", auxquelles vient s'ajouter une sorte de spectre enchaîné renvoyant étrangement à la créature entraperçue dans les trailers embryonnaires de Resident Evil 4. Pourtant, on pourra néanmoins regretter une présence ennemie un peu trop élevée, même si ceci est compréhensible compte tenu de l'orientation "action" de ce segment qui se veut dans la droite lignée de celle initiée par Silent Hill 3. Ceci m'amène donc à une des nouveautés de cet épisode qui permet de tout récupérer, ou presque, afin de s'en servir comme moyens de défense. De fait, si Climax n'a pas exclu les scalpels, katanas, flingues et autres fusils de chasse, vous pourrez maintenant chaparder des crochets à viande, des clefs anglaises mais aussi des télévisions portables, grille-pain, casiers de rangement, bouteilles d'acide pour envoyer ad patres tout ce qui a plus de deux jambes.
Bon, je vous l'accorde, le fait de trimballer 150 kilos de matériel peut faire sourire mais quand on sait que les armes se détériorent rapidement, on sera bien heureux d'avoir autant de matos sur soi. Pour la peine, le fait de pouvoir utiliser un inventaire rapide pour passer en revue, d'un simple coup de croix directionnelle, nos acquisitions est aussi à mettre au crédit des développeurs. Une autre nouveauté, une fois de plus en rapport avec les combats, concerne les actions contextuelles dont la popularité ne cesse d'augmenter depuis quelques années. Ainsi, lorsque certains monstres vous approcheront de trop près, il arrivera fréquemment que vous deviez tapoter sur la touche adéquate pour repousser l'assaut. Une idée loin d'être originale mais qui a le mérite de donner un second souffle aux affrontements qui, par ailleurs, ne diffèrent pas vraiment de ceux des épisodes précédents. Pour ce qui est des autres fonctionnalités, le système de cartes (de la ville et des bâtiments) se mettant régulièrement à jour à l'aide de marqueurs a été conservé et on retiendra également la lampe torche de Travis, accrochée à sa veste, qui peut être éteinte à tout moment à l'aide d'une simple pression sur une touche. A ne pas oublier afin de passer au nez et à la barbe des monstruosités errantes.
Poursuivons dans l'évolution de la série avec la possibilité de passer d'un monde à l'autre par l'entremise des miroirs. Cette façon de faire est au demeurant mise en exergue pour amener quelques énigmes synonymes d'incessants allers-retours un peu laborieux par moments. En parallèle de ces parties de passe muraille, on trouve tout de même des puzzles plus complexes nous obligeant à bien analyser notre environnement, à réfléchir tout simplement, ou la traditionnelle recherche de clefs ou d'items pour ouvrir des portes solidement fermées. La balance entre traditionnel et originalité est donc plus que jamais au centre de Silent Hill qui, sans dédaigner ses aïeuls, réussit à offrir à la saga de Konami une plus grande souplesse dans le gameplay. On trouvera quand même à redire concernant quelques problèmes de caméra qui peuvent parfois agacer, surtout lorsqu'on se trouve dans un espace clos avec deux ou trois abominations à côté. Libre à vous de bouger manuellement l'objectif mais sachez que ça ne résout pas tout le temps ce souci. En dépit de ces complications, Climax s'est fendu d'un boulot impressionnant aussi bien dans le fond que dans la forme. Renouant avec le passé de la série tout en se penchant avec sérénité sur la jouabilité, le studio anglais nous déroule le tapis rouge sang jusqu'aux marches de l'effroi ou comment frissonner de bonheur dans notre malheur.
La version PS2 étant identique à la version PSP, les tests des deux plates-formes sont similaires à quelques exceptions près.
- Graphismes15/20
Le brouillard inonde les ruelles de Silent Hill mais il ne masque en rien le macabre raffinement des décors nous amenant dans le traditionnel hôpital de la bourgade en passant par un asile ou un théâtre pour ne citer que ces environnements. Les jeux de lumière se mélangent aux ténèbres pendant que des poupées de porcelaine vivantes côtoient des amas de chair en putréfaction afin de constituer un bestiaire dont un proche parent de Pyramid Head se veut le porte-parole. Pour autant, on sent bien que le portage PSP-PS2, sans s'être fait dans la douleur, n'a pas réussi à offrir à cet opus la qualité graphique et d'animation des anciens épisodes.
- Jouabilité15/20
Quelques soucis de caméra sont un peu gênants, surtout dans des endroits cloisonnés. Néanmoins, ce problème peut parfois être résolu en bougeant la caméra manuellement. A part ça, rien à dire. La jouabilité évolue en introduisant un nouveau système d'armes qui permet de se servir de tout ce qui traîne et les combats gagnent un peu en dynamisme grâce aux actions contextuelles. On regrettera quand même que la possibilité de passer d'une dimension à l'autre via les miroirs serve simplement à d'incessants allers-retours. A signaler enfin que la version PS2 propose de jouer en 4:3 ou 16:9.
- Durée de vie12/20
Bien que les lieux visités soient vastes, les énigmes restent globalement plus simples à résoudre tout en faisant écho à celles de Silent Hill 4.
- Bande son18/20
Une gamme de bruitages étendue avec plusieurs sons presque imperceptibles mais renforçant encore plus l'ambiance sonore. Si le doublage américain est bien dirigé, ce sont surtout les compositions de Yamaoka qui forcent une fois de plus le respect. Les musiques sont belles, angoissantes, envoûtantes et imprègnent chaque image crasseuse en donnant à la moindre trace de rouille une beauté pour le moins déviante.
- Scénario15/20
Cette note est à prendre avec des pincettes puisqu'en l'état je ne suis point arrivé à la fin du jeu. Cependant, après quelques heures de jeu, le plaisir de la découverte se fait sentir comme au temps de Silent Hill. Se déroulant avant les événements contés dans le premier opus et faisant intervenir des personnages au centre de la mythologie, Silent Hill Origins nous intrigue même si le pitch de départ mettant en scène un amnésique égaré ayant des liens de parenté avec la ville est loin d'être nouveau.
Adaptation de l'épisode sorti sur PSP, Silent Hill Origins pourra décevoir d'un point de vue graphique surtout si on le compare à ses prédécesseurs. Cependant, en faisant abstraction de cet aspect, l'aventure reste toujours aussi intéressante grâce à un univers désormais connu mais dont les développeurs de Climax ont réussi à retirer la substantifique moelle. Sans faire preuve d'une grande originalité aussi bien dans la forme que dans le fond, Origins s'inscrit malgré tout avec brio dans la continuité de ses aînés. Et comme le voyage se monnaye une trentaine d'euros, on aurait tort de ne pas se faire peur à ce prix-là.