Après plusieurs années de sommeil, Dracula sort à nouveau de son cercueil, réveillé par Kheops Studio. Hélas, le prince des ténèbres a bien vieilli, et aura bien du mal à vous effrayer avec son apparence poussiéreuse et ses articulations ankylosées. Il préfère donc mettre à l'épreuve vos petites cellules grises dans des énigmes plus retorses les unes que les autres. Manque d'ambiance et de dynamisme, difficulté parfois poussée à l'extrême : voilà qui ne plaira pas à tout le monde.
Vous êtes, comme l'auteur de ces lignes, un fan du personnage de Dracula, romantique et effrayant, tel qu'il apparaît dans les films de la Hammer ? Sachez donc, en préambule, que vous avez de fortes chances d'être déçu par Dracula 3 : La Voie du Dragon. Les concepteurs du jeu ont préféré se baser sur le personnage historique décrit dans les vieilles chroniques, ce tyran cruel nommé Vlad Tepes qui faisait rôtir et empaler ses victimes. La toile de fond est donc aussi historique que littéraire, et aussi scientifique que culturelle. C'est bien simple : on n'avait plus vu un jeu d'aventure aussi documenté depuis Gabriel Knight 2. Le problème, c'est que cet aspect documentaire est ici poussé à l'extrême au détriment de l'immersion. Exit l'atmosphère gothique du fin fond de la Transylvanie, les chauves-souris qui s'envolent au clair de lune, les cris désespérés des victimes du vampire.
Dracula 3 quitte l'époque victorienne de la version de Stoker pour situer son intrigue au sortir de la Première Guerre mondiale. Alors que l'Europe panse ses plaies, le Vatican envoie le jeune prêtre Arno Moriani, de la Sacrée Congrégation des Rites, enquêter sur une femme médecin récemment décédée et susceptible d'être canonisée : Martha Calugarul. Le père Moriani se rend donc dans le petit village roumain de Vladoviste où elle officiait. Malgré l'apparente insouciance des habitants, il ne tarde guère à se rendre compte que la mort de Martha est entourée de mystères et d'interdits, et liée au mythe du vampire. Le Vatican pousse alors Moriani à approfondir son enquête afin d'apporter un démenti définitif à l'existence du vampirisme. A cette fin, le prêtre va prendre conseil auprès de plusieurs spécialistes, divisés sur le sujet : Von Krüger l'éminent scientifique, Luca le journaliste, Pekmester l'étudiant en histoire spécialiste de Vlad Tepes, sans oublier Maria Florescu le ravissant nouveau médecin du dispensaire. Dès le début du jeu, vous êtes donc averti : l'essentiel de votre tâche consiste à rassembler des documents (livres, lettres, tableaux...) ainsi qu'à les lire ou à les analyser soigneusement afin d'en extraire de précieuses informations. Vous êtes même amené à effectuer de la recherche en bibliothèque. Il vous faut également interroger la population locale et vous servir régulièrement d'une invention récente, le téléphone, ne serait-ce que pour rendre compte au Vatican des progrès de votre enquête. Les phases de dialogue sont nombreuses et très dirigistes puisqu'elles consistent à épuiser tous les sujets sans aucun choix possible des répliques. Bref, la première partie de Dracula 3, aussi intéressante soit-elle dans le fond, est assez rébarbative sur la forme.
Puis, à l'issue d'une escapade en Turquie pour les besoins de votre enquête, les choses s'accélèrent enfin : vous allez croiser la route d'une organisation secrète, la Société de Thulé, qui comme vous s'intéresse de très près à la "Voie du Dragon", sorte d'épreuve initiatique entreprise par les candidats à la vie éternelle. Alors que vous êtes devenu la cible de cette société extrémiste, les gens commencent à tomber comme des mouches autour de vous. Mais, sans trop dévoiler du scénario, sachez que c'est uniquement dans les dernières heures de jeu que vous aurez l'occasion d'approcher concrètement le mythe de Dracula. Un mythe quelque peu tombé en poussière, puisque le château du comte a été détruit pendant la guerre. Mais les développeurs ont essayé de faire monter le suspense crescendo en balisant le parcours d'épreuves de plus en plus dangereuses, qui obligeront même le père Moriani à commettre quelques sacrilèges et à désavouer certaines de ses convictions. Hélas, cette descente aux enfers prend la forme d'une succession de puzzles et d'énigmes à résoudre, toujours logiques et jamais trop tordus, mais d'une complexité souvent bien trop importante. Certaines énigmes, comme celles de la bibliothèque de Budapest ou de la salle des sept piliers, pourront vous maintenir bloqué pendant des heures. D'autres sont plus simples mais astreignantes, comme cette mémorable analyse de sang à la limite de nécessiter des connaissances médicales (prévoyez au moins de quoi noter, une calculette, et une page Wikipédia ouverte). D'autres enfin sont quelque peu incongrues (un Picross dans les cryptes du château... Mouais). Arno dispose d'une bible reproduite dans son intégralité, dans laquelle il est censé puiser l'inspiration en cas de "blocage"... Sauf que les indices prodigués sont encore plus obscurs que les énigmes elles-mêmes. Ces dernières permettent toutefois de rehausser une durée de vie qui peine à dépasser les dix heures.
A côté de ça, Dracula 3 souffre d'un important déficit d'atmosphère. Service minimum à Vladoviste avec un brouillard omniprésent dans des rues aussi vides que lugubres. Pour le reste, jamais on ne frissonne car on est loin de l'ambiance angoissante qu'avaient réussi à installer les précédents opus. Il faut dire que l'aspect graphique assez moyen ne contribue pas à l'immersion. Les personnages sont inexpressifs et souffrent d'une animation laborieuse. Quant aux environnements, ils paient le prix d'un moteur de jeu qui n'a pas évolué depuis la création de la série : les déplacements précalculés dans des décors avec vue panoramique à 360° procurent au jeu un aspect figé, qui n'est pas justifié par la qualité du rendu visuel. Ils s'accompagnent d'une jouabilité traditionnelle, avec un pointeur de souris qui change de forme en fonction du type d'interaction possible (déplacement, dialogue, utilisation d'un objet). Vous disposez bien entendu d'un inventaire, fort peu esthétique, qui permet de stocker vos objets ainsi que de relire les documents accumulés et les discussions menées. Ultra-classique en somme. Et pourtant, l'ensemble manque d'efficacité. Peu dynamique, linéaire, difficile, l'aventure a de quoi décourager les plus gros mordus du genre. On peut apprécier les efforts déployés par Kheops pour revisiter le mythe sous un autre angle et se débarrasser de certains lieux communs associés au personnage de Dracula. Mais on est aussi en droit de ne trouver que peu de plaisir à mener une enquête toujours intéressante, mais jamais passionnante. En fait, au sortir du jeu, on a le sentiment que les développeurs ont dû prendre beaucoup plus de plaisir à le concevoir qu'on n'en a eu à y jouer. Et c'est bien là le problème.
- Graphismes12/20
L'ensemble est un peu décevant. Passons sur les limitations techniques induites par le moteur de jeu. Les intérieurs, cossus et fouillés, sont plutôt jolis, mais restent assez froids. Quant aux extérieurs, ils manquent de finesse avec de vilains effets de flou accentués par la résolution maximale de 1024*768. Enfin, l'animation des personnages est poussive et saccadée.
- Jouabilité12/20
Simple et efficace : clic gauche pour interagir, clic droit pour accéder aux menus. On déplore par contre une difficulté souvent excessive dans les énigmes proposées ; elles rendent le jeu inaccessible au grand public, et même les plus persévérants auront sans doute un peu de mal à boucler l'aventure sans soluce.
- Durée de vie8/20
Il n'est pas facile d'évoquer la durée de vie de Dracula 3 : disons que dans l'absolu elle tourne autour des dix heures, mais que la difficulté de certains passages peut entraîner un surcroît non négligeable de temps de jeu. Si d'ici là vous n'avez pas lâché l'éponge, bien entendu.
- Bande son12/20
Tantôt dansant, tantôt grinçant, un violon vient régulièrement souligner les moments forts de l'histoire. Mais en général, la musique laisse la place aux sons environnementaux. Le problème, c'est que ceux-ci sont beaucoup trop discrets. En revanche, mention spéciale aux dialogues soignés, même si les discussions en intérieur souffrent d'un reverb trop prononcé.
- Scénario14/20
Le jeu privilégie les sources historiques au détriment de la représentation populaire du personnage de Dracula. C'est un parti pris louable au service d'un scénario de qualité. Le vrai problème, c'est que les concepteurs ne semblent guère maîtriser l'art de l'ellipse : certaines scènes fortes sont expédiées au gré d'une cinématique, quand d'autres tâches astreignantes peuvent prendre une bonne heure de jeu.
Doté d'une dimension documentaire intéressante (mais pas captivante), Dracula 3 : La Voie du Dragon souffre d'un déficit d'atmosphère et d'un scénario noyé dans des énigmes trop complexes.
De plus, sa mécanique classique, son déroulement linéaire et sa technique perfectible en font un jeu d'aventure assez moyen. Il reste que si vous avez apprécié la visite du château de Louis II de Bavière dans Gabriel Knight 2, vous pourriez trouver votre bonheur dans ce titre. Les autres préféreront se repasser un vieux succès de la Hammer Films avec Christopher Lee.