Lorsque John Woo délaisse la comédie au profit du film d'action, le cinéma trouve en lui un maître ès gunfight, qui lui-même se veut un discipline de notre cher Jean-Pierre Melville. Si on retiendra davantage ses réalisations hongkongaises (The Killer, Une balle dans la tête, Le syndicat du crime) que celles américaines (Chasse à l'homme, Broken Arrow, M:I-2), sa carrière est malgré tout ponctuée de tellement de chefs-d'oeuvre que ce réalisateur force le respect. De fait, retrouver tout ce qu'on aime de Woo en un seul et unique jeu vidéo pouvait tenir du miracle et pourtant... Et pourtant.
En 2004, Sony rendait un bien bel hommage à John Woo et à tout un pan du cinéma hongkongais grâce à Rise To Honour qui profitait également des prouesses martiales de Jet Li. Trois ans plus tard, c'est Midway qui se penche sur la question en offrant une suite vidéoludique au Hard Boiled de Woo. Comble du bonheur, le maître ainsi que son acteur fétiche, Chow Yun-Fat, participent de concert à l'aventure. Dès lors, il n'est plus question de se demander si l'atmosphère est fidèle à celle de son modèle cinématographique mais bel et bien de rentrer de plein pied dans cet univers où les flingues se rechargent tout seuls, où tirer avec style n'est pas une solution mais bel et bien une obligation, où un flic qui sait ce qu'il veut peut se permettre d'éliminer trois fois plus de bad-guys en un seul jeu vidéo/film que James Bond durant toute sa carrière.
Chow Yun-Fat endosse donc à nouveau le rôle de Tequila, policier de Hong-Kong qui ferait passer Jack Bauer pour un moniteur de colonie de vacances pour retraités. Si on retrouve aussi mister Woo dans le rôle de tenancier de bar et d'indicateur, disons que le scénario de Stranglehold est juste là pour prétexter une action à outrance tout au long de sept niveaux. Ainsi, si on trouve les thèmes chers au réalisateur (l'honneur, l'amour, la trahison, la vengeance), le synopsis se borne à aligner pas mal de clichés du genre tout en nous ressortant une sombre histoire de kidnapping liée au passé de Tequila. Une histoire décevante ? Oui et non car si d'un côté, il faut bien avouer qu'on ne prête pas vraiment attention aux cinématiques (souvent plates, parfois trop romancées), elles mettent tout de même en valeur la réalisation du jeu qui utilise plusieurs effets cinématographiques chers au réal. chinois. On pense bien évidemment au ralenti, au lâcher de colombes, à l'arrêt sur images, aux poses iconographiques, etc. Du coup, on prend un pied immense à user et à abuser des actions mises à notre disposition, rien que pour le plaisir des yeux.
Pourtant, on touche ici un point sensible de Stranglehold qui en met plein la vue mais qui ne peut masquer plusieurs manques. On commencera par citer une IA calamiteuse synonyme d'ennemis venant tout le temps à notre rencontre, d'une variété d'armes assez limitée ou de mouvements, certes jouissifs, mais peu nombreux puisqu'on n'en compte que trois. A cela, on rajoutera le mini-jeu Mexican Standoff, permettant d'éviter les balles des ennemis avec le stick gauche tout en bougeant un viseur pour dégommer rapidement nos adversaires, qui revient trop souvent et finit par lasser malgré la joie qu'il procure. Et c'est bien là un souci du titre qui ne cherche pas vraiment à faire évoluer sa progression en s'appuyant un peu trop sur ses fusillades et son moteur graphique proposant de tout détruire à l'écran. A ce titre, rien à dire. Tout, absolument tout peut voler en éclats, du cageot de kiwis aux voitures en passant par des dragons de jade, les murs, les vitres, j'en passe et des meilleures. Et là, autant dire que le joueur se fait plaisir. Impossible de résister à la tentation de vider nos chargeurs contre une machine à sous, un aquarium ou une simple palissade pour voir le résultat. De plus, les développeurs ont profité de cet aspect sachant qu'il est possible d'utiliser des éléments du décor, en leur tirant dessus bien entendu, pour venir à bout des pauvres hères nous faisant face.
Une autre donnée importante du jeu provient de son aspect acrobatique, devant autant à Max Payne qu'à un numéro d'équilibriste. De fait, courir sur des rambardes, la colonne vertébrale d'un squelette de dinosaure ou une poutrelle à dix mètres du sol tout en dessoudant des dizaines de personnes n'est qu'une formalité. A ceci, il faut rajouter le ralenti pouvant être utilisé de deux façons. Soit vous en usez quand bon vous semble par une simple pression sur un bouton (ceci vidant la jauge Tequila Time qui se remplira à nouveau après usage), soit vous plongez vers vos ennemis, le slow motion vous permettant alors d'ajuster votre tir. A ce sujet, plus vous éliminerez de monde, plus votre jauge de Bombe Tequila montera prestement, ceci pouvant aussi se faire en récoltant des grues en papier ou en tuant avec style. Ces fameuses bombes Tequila (des mouvements spéciaux pour ne rien vous cacher) vous permettront de récupérer un peu de vie, ou d'utiliser un tir de précision, une attaque barrage (ceci nous octroyant une énorme puissance de feu) et enfin une attaque toupie afin d'éliminer tout ce qui nous entoure. Au final, on en oublierait presque qu'on peut s'accroupir, se cacher derrière plusieurs éléments, glisser sur des objets (table, comptoirs...) ou effectuer un saut mural vu qu'on n'a souvent qu'une idée en tête : profiter des mouvements spéciaux pour faire le ménage.
Stranglehold est une expérience inoubliable et reste pour moi un des meilleurs jeux d'action (pur et dur) de ces cinq dernières années. Toutefois, il est indéniable que les développeurs auraient pu améliorer plusieurs petites choses comme la durée de vie du mode solo qui se termine en six ou sept heures en Normal, le mode Décontracté étant à éviter. De plus, si on y trouve du Multijoueur pour six petits mordus d'armes à feu, celui-ci se résume à deux simples épreuves, Deathmatch et Deathmatch par équipe, se déroulant dans les décors du mode principal. A ce sujet, on peut tout de même débloquer plusieurs personnages pour jouer en ligne en allant traîner du côté du bar de John Woo où on peut également trouver plusieurs croquis et vidéos à acheter. En conclusion, avouons que si le soft de Midway est un défouloir comme on en a rarement eu l'occasion d'en voir, il n'aurait pas fallu grand chose pour qu'il s'impose comme un Max Payne sous acide pouvant rivaliser avec son modèle vidéoludique. Dans l'absolu, il n'en reste pas moins une excellente séquelle de pixels à l'oeuvre de John Woo qui ravira tous ceux qui sont un jour restés bouche bée devant cette leçon de cinéma offerte par un homme qui a redéfini le gunfight sur grand écran.
- Graphismes16/20
Sept niveaux qui ne se valent pas tous mais qui proposent des décors entièrement destructibles. Les particules fusent de toute part, les explosions s'enchaînent sans discontinuer, les ralentis embellissent des gunfights stylisés à outrance et Chow Yun-Fat a une classe monstrueuse en toute circonstances.
- Jouabilité15/20
La possibilité d'utiliser le ralenti pour ajuster nos tirs ou se sortir de situations critiques est jouissive et l'interaction avec les environnements ajoute encore plus de piment à l'ensemble. Maintenant, on note une IA à la ramasse, peu de mouvements spéciaux, des temps de chargements un peu longs et des gunfigths parfois trop découpés par "salles".
- Durée de vie9/20
L'aventure solo se termine en sept heures environ, en mode Décontracté ou Normal, et le Multijoueur n'est pas très folichon avec ses deux seuls modes de jeu. Plusieurs bonus très intéressants sont à débloquer mais il est possible d'en voir les 3/4 lors de la première partie.
- Bande son14/20
Il ne manque plus que le thème principal, d'inspiration jazzy, de Hard Boiled, pour parfaire une bande-son déjà fort convaincante. Le doublage français est de bonne facture, tout comme les bruitages ainsi que les thèmes musicaux inspirés.
- Scénario9/20
Une histoire mêlant l'amour, la vengeance et la trahison mais se limitant à des dialogues mille fois entendus et des scènes mille fois vues. Le scénario de Stranglehold ne sert au final qu'à introduire des scènes d'action gigantesques et finalement, c'est bien ce qu'on attend de lui.
Stranglehold utilise parfaitement la grammaire cinématographique de John Woo et offre aux fans du réalisateur un pendant vidéoludique à ses plus belles oeuvres. Le jeu est beau, jouissif et se laisse savourer de bout en bout. Néanmoins, des problèmes d'IA, de durée de vie et de construction limitent le titre de Midway au rang de "simple" très bon jeu malgré son statut d'élégant défouloir. Pourtant, on en viendrait déjà à croiser les guns pour profiter d'une éventuelle suite tant le titre ici présent semble préfigurer un avenir radieux pour le jeu d'action nouvelle génération.