Nous vivons une époque formidable. Il y a un an-et-demi à peine, Le Professeur Kawashima concevait un programme révolutionnaire qui remettait de l'ordre dans notre cerveau rouillé. Puis, peu de temps après, nous sommes devenus des génies en logique et en mémoire grâce au Docteur Makato. Enfin, depuis quelques semaines, nous sommes tous ambidextres. Et bien figurez-vous qu'aujourd'hui, pour moins de 30 euros, le Docteur Ishigaki va nous apprendre à nous servir de nos yeux. Ca vous défrise, hein ? Grâce à Nintendo, je joue désormais au tennis avec une raquette dans chaque main et quatre balles dont je calcule et anticipe les trajectoires en temps réel. Hier soir, ma femme a réussi à faire un créneau du premier coup sur le parking d'Auchan et son petit neveu a récité 1254 décimales du nombre pi en faisant le poirier. Bientôt Jean-Pascal donnera des cours à la Sorbonne et Eve Angéli écrira des livres (mon Dieu, c'est déjà fait me dit-on !). C'est sûr, la DS et ses logiciels d'entraînements signent définitivement l'aube d'un nouvel âge de l'humanité.

Trêve de plaisanteries. La chose prêterait à sourire si ces logiciels n'essayaient pas de justifier leur raison d'être par des discours pseudo-scientifiques trompeurs. Ici, c'est un spécialiste de la "sport vision" ainsi qu'une orthoptiste qui ont été réquisitionnés pour nous expliquer que cette série de mini-jeux rébarbatifs, réalisés à la truelle, a pour but d'éduquer notre vision. Et partant de là, d'améliorer aussi nos performances sportives. Or quand on jette un oeil, c'est le cas de le dire, à ces exercices sur petits écrans LCD, on a un sérieux doute quant à l'efficacité du programme en question. Les mini-jeux présentés ne diffèrent en rien de ce que l'on a l'habitude de voir sur notre DS, si ce n'est qu'ils sont plus moches. Ils font d'ailleurs autant appel à la mémoire et à la dextérité qu'à la vue. Rien ne remplace la pratique d'un sport pour éduquer son corps, c'est une simple question de bon sens. Nous faire croire le contraire, même avec la caution de "spécialistes" en mal de publicité, c'est tout simplement un gros mensonge marketing. C'est une aberration de notre temps que de penser qu'en ingérant des yahourts-médicaments, en grignotant des barres chocolatées light, et en jouant aux jeux vidéo à longueur de journée, on va tous se retrouver en pleine forme. Il serait temps de remettre les pieds sur Terre et d'arrêter de tout mélanger.

Gym des Yeux se compose de deux séries de mini-jeux accompagnées de commentaires didactiques : les entraînements sportifs et les entraînements de fond. Les premiers sont relativement amusants bien que leur réalisation ne dépasse pas celle d'un jeu flash conçu par un adolescent. Le joueur doit smasher, boxer, renvoyer des balles, etc. On se prend au jeu pendant quelques parties, puis, l'effet de surprise passé, on décroche. Les entraînements de fond, en revanche, mériteraient plutôt de figurer dans une prochaine compilation Nintendo nommée Invitation Au Sommeil. Deviner un chiffre, cliquer sur des carrés qui bougent, compter des lettres, telles sont les épreuves soporifiques que vous devrez refaire, encore, encore, et encore, pour soi-disant acquérir de bonnes aptitudes oculaires. En ce qui me concerne, leur réalisation aura au moins le mérite de me rappeler le temps béni où je programmais en GWbasic sur mon vieux PC. Seul l'usage du stylet me confirme qu'on est bien en 2007.

Tous ces exercices, sports et fond, (une vingtaine en tout) durent une poignée de minutes environ. Et comme si les développeurs avaient eu peur que l'on en ait trop d'un coup, il faut attendre plusieurs jours pour avoir l'immense privilège d'en déverrouiller de nouveaux. Ils peuvent se jouer en mode libre ou en suivant un calendrier basé sur l'horloge interne de la console. Des graphiques rendent ensuite compte de vos progrès au fil du temps. Se voulant didactique, Gym Des Yeux dispense également des conseils et soumet des exercices à faire chez soi. On regrette toutefois l'absence de paradoxes visuels et de stéréogrammes qui auraient tout à fait eu leur place dans ce type de soft. Un système d'évaluation basique permet soit-disant de déterminer notre "âge visuel" afin que le jeu puisse sélectionner les exercices les plus appropriés à notre rééducation. Cette dernière consistera en fait à refaire ad nauseam les mêmes exercices jusqu'à ce que de guerre lasse, on laisse définitivement tomber le soft pour aller se dégourdir les mirettes d'une autre façon. Et si on en profitait pour aller faire un footing ou organiser une partie de ping-pong avec des potes ?