Battlefield Command, World War II RTS, Wartime Command... Il en aura porté des noms ce jeu, au fil de son développement chaotique, avant de sortir finalement sous le titre de Theatre of War. Un nom que je n'avais encore jamais entendu il y a une semaine, et dont je n'attendais forcément rien. Mais parfois la vie nous réserve des surprises, et ce jeu en est bien une.
Disons-le tout net, Theatre of War est un jeu atypique. Difficile de le ranger dans une case précise, il n'obéit pas vraiment aux lois du classement. Et d'ailleurs, à quoi bon vouloir absolument le faire rentrer dans une catégorie bien définie ? Si je devais tout de même tenter de définir ce jeu (et il va bien falloir le faire pour en parler), je dirais que c'est une sorte de croisement improbable entre Company of Heroes et Combat Mission. C'est-à-dire un mélange de stratégie en temps réel pour la forme, avec une grosse dose de wargame sur le fond, le tout dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Explications.
Theatre of War se présente quand même comme un STR, de type Ground Control ou World in Conflict : pas de construction de base, ni de récolte de ressources. On se contente de gérer quelques dizaines d'unités, choisies avant chaque mission en dépensant un certain nombre de points. Enfin, "on se contente", ce n'est pas vraiment l'expression adaptée, tant il y a déjà fort à faire uniquement avec la gestion des hommes et des véhicules. Car c'est là qu'intervient l'aspect wargame : les développeurs ont pris le parti d'un réalisme exacerbé. Ainsi, chaque homme possède ses propres compétences qu'il faut utiliser au mieux. Si vous placez des soldats dans un blindé, il faut veiller à mettre celui qui a le plus grand score de conduite comme pilote, et celui qui a la meilleure visée au canon. Sans oublier de mettre également un homme pour recharger... L'équipage des pièces d'artillerie fonctionne de la même manière, et il est aussi possible de placer des troupes aux commandes des canons ou véhicules adverses un fois leurs occupants délogés.
Ces véhicules sont uniquement terrestres, les avions n'étant disponibles qu'en soutien ponctuel et non contrôlés directement par le joueur. Et ils répondent également à une gestion poussée, qu'il s'agisse des munitions ou des dégâts. Un char peut très bien être immobilisé à cause de chenilles endommagées, mais continuer à tirer s'il lui reste des obus. A condition que son équipage n'ait pas fui l'habitacle pris de panique, le moral des troupes étant également pris en compte. On peut néanmoins choisir de le désactiver, sauf dans le mode de difficulté élevé, qui prend en compte les caractéristiques historiques de l'armement et que préféreront donc les puristes. De toutes façons, c'est surtout à eux que le jeu s'adresse, car le nombre de paramètres à gérer rend la prise en main complexe. En témoignent les 140 pages du manuel d'instruction, à bien digérer avant de se lancer dans l'action. Bref, Theatre of War est un jeu de niche, qui ravira les férus de simulations militaires.
Il n'est pourtant pas exempt de défauts, à commencer par la réalisation. Graphiquement, on est plus proche d'un STR que d'un wargame, où on se contente trop souvent d'hexagones et d'icônes (qui se prêtent certes à merveille à un gameplay tour par tour, mais sont tout de même austères). Dans Theatre of War, les unités sont correctement modélisées, mais les décors sont un peu vides, et surtout répétitifs. On se bat presque tout le temps en rase campagne, dans des prairies entourées de quelques arbres. La faute au contexte uniquement européen du jeu, dommage que les conflits en Afrique du nord ou dans le Pacifique ne soient pas abordés, ça aurait apporté un peu de variété au niveau des environnements. Les effets visuels sont également assez cheap, notamment les explosions. On est donc loin du ténor du genre, j'ai bien sûr nommé Company of Heroes, et ses moteurs graphique et physique impressionnants, qui plongent le joueur au coeur d'un grand spectacle hollywoodien. Même constat au niveau de la bande-son.
Mais bon, là n'est pas l'essentiel, les mécanismes de jeu réalistes fonctionnent très bien et c'est tout ce qu'on demande. Prendre en compte le relief pour se dégager une ligne de tir, déborder l'ennemi sur un flanc pour prendre d'assaut sa position, puis la défendre, avancer son infanterie sous couvert des blindés... Le jeu demande une bonne dose de réflexion et de stratégie. Il est juste regrettable que les objectifs à accomplir ne soient pas plus variés. Car les missions sont nombreuses, une quarantaine, elles auraient donc gagné à être moins répétitives. Elles assurent au moins une durée de vie colossale : avec cinq campagnes principales (France, Pologne, Allemagne, Russie, Alliés), plus quelques scénarios indépendants, il y a de quoi faire. De plus, les développeurs comptent bien chouchouter leur communauté en sortant régulièrement des campagnes bonus à télécharger gratuitement. La première d'entre elles, la bataille pour Moscou, est d'ailleurs déjà incluse dans cette version française, sortie quelques mois après la disponibilité de la VO online, et la seconde est déjà sur les rails. Le mode multijoueur est moins gâté, avec seulement huit cartes dont une seule pour les duels, mais les outils de création sont fournis.
Au final, c'est donc un sentiment positif qui se dégage de Theatre of War. Bien sûr, tout n'est pas parfait, on sent bien les multiples retards du jeu à son enveloppe vieillissante. Mais le gameplay atypique est efficace. Il demande un investissement sérieux, mais s'avère gratifiant si on fait l'effort d'en assimiler les rouages complexes. Un jeu à mettre uniquement entre des mains expertes donc, qui sauront l'apprécier à sa juste valeur.
- Graphismes12/20
Soyons clairs : ce n'est pas dans ce domaine que Theatre of War marquera les esprits. Si la modélisation des unités est honnête, les décors sont désespérément vides et redondants. Les explosions ne s'en sortent pas mieux. Rien de honteux ou de catastrophique, juste moyen.
- Jouabilité16/20
C'est bien là que le jeu de 1C montre toute sa richesse, et il s'agit du critère prépondérant dans un jeu vidéo. Formations, modes de déplacements, armes secondaires, munitions, moral, ligne de vue, compétences, expérience... Le nombre de paramètres à prendre en compte est hallucinant, et devrait enchanter les fans de simulations de guerre, même si dans Theatre of War tout ça doit se gérer en temps réel. Malgré toutes ces possibilités, la prise en main n'est pas si difficile une fois les concepts assimilés, grâce à une interface bien conçue.
- Durée de vie15/20
En solo, c'est du lourd avec toutes les campagnes et les missions indépendantes. Un peu plus de variété n'aurait cependant pas été un mal. Les développeurs semblent toutefois à l'écoute de la communauté et continuent sans relâche à livrer contenu supplémentaire et outils d'édition. Dommage que le mode multijoueur n'ait pas bénéficié d'autant de soin : il manque clairement de cartes.
- Bande son10/20
Du doublage aux musiques en passant par les bruitages, l'ensemble de la bande sonore sent le manque de moyens à plein nez, ce qui nuit forcément à l'immersion.
- Scénario/
Theatre of War aurait mérité des théâtres (justement) d'opération plus variés et une réalisation technique moins datée pour vraiment s'imposer, mais en l'état c'est déjà un jeu sympathique, grâce à son gameplay. Les gens qui attachent plus d'importance à ce critère qu'aux graphismes (ils sont nombreux, et ils ont bien raison) devraient donc y trouver leur bonheur, à condition d'aimer se retrousser les manches pour relever des défis.