Fasciné par l'horreur, Clive Barker semble passer le plus clair de son temps à mettre cette dernière en scène. Que cela soit au travers d'une prose acide ou de plans cinématographiques nauséeux, Barker excelle véritablement dans l'art de susciter l'angoisse, et souvent même le dégoût. Ce touche-à-tout talentueux n'aura d'ailleurs pas épargné les amateurs de FPS avec l'excellent Undying, une adaptation vidéoludique d'un de ses romans. Manifestement satisfait du résultat, le britannique retente aujourd'hui l'expérience avec cet ambitieux projet, totalement original, répondant au doux nom de Jericho.
Sans trop en dévoiler sur le scénario conçu par Clive Barker, grand maître de l'horreur devant l'éternel, sachez que vous devrez tenter de combattre une menace surnaturelle dont la source semble être la ville moyen-orientale d'Al Khali. Un lieu de mystère et de discorde entre les peuples si ancien que nul ne semble connaître son origine, à moins bien sûr que vous soyez du genre à prêter foi aux récits décousus de quelques vieux fous constamment plongés dans de vieux manuscrits recouverts d'inscriptions cabalistiques. Al Khali est un lieu hors du temps, un bout de cauchemar qui semble vouloir s'étendre à toute la planète. Quoi qu'il en soit, vous vous en doutez, il sera beaucoup question de barbaque volante violemment arrachée à des silhouettes vaguement humaines mais à ce point déformées qu'on aura aucun remord à les vaporiser. Ce gigantesque travail d'équarrissage, on devra l'effectuer en tant que leader d'une équipe bigarrée de spécialistes des forces occultes, une équipe connue sous le nom de Jericho. Le titre du jeu donne bien évidemment la clé de l'aventure, car ce FPS bourrin et sanglant dépeint avant toute chose l'histoire de ces sept guerriers contraints d'affronter l'obscurité d'Al Khali et toutes les ignominies qu'elle dissimule.
Au fond, le «charme» de Clive Barker's Jericho tient autant de son atmosphère glauque et de sa violence outrancière que de ses personnages à la personnalité bien tranchée. Chaque membre de Jericho se montre plaisant à contrôler, chacun à sa manière. Et le joueur, pour peu qu'il adhère à cet univers de film d'horreur, se sentira sans doute lié à eux et désireux de connaître leur histoire. Variés, très typés, possédant tous une ou deux armes spécifiques et des pouvoirs psychiques complémentaires, ces hommes et ces femmes constituent véritablement l'attraction principale du soft. Du coup, tenter de parler du bébé de Clive Barker n'aurait aucun sens sans une copieuse description de sa matière première. Commençons donc les présentations par le gros bill du lot. Delgado n'aurait sans doute pas dépareillé aux côtés des énormes guerriers d'Unreal Tournament. L'homme est armé d'une monumentale gatling et possède le pouvoir de lâcher un démon de feu sur ses ennemis. Lourd et résistant, il est celui que vous enverrez en avant pour contenir le gros de l'assaut démoniaque. A l'opposé, on découvre la frêle Black, sniper hors pair dont la redoutable efficacité s'explique en partie par le fait que son fusil est directement connecté à son système nerveux. Non contente de contrôler la trajectoire de ses balles pour leur faire transpercer plusieurs ennemis successivement, la jolie demoiselle est également capable d'utiliser la télékinésie pour faire ponctuellement voltiger obstacles ou ennemis.
Troisième spécimen dans cette foire aux monstres : Church, une autre représentante de la gent féminine. Équipée d'un katana et d'un pistolet mitrailleur fort peu efficace et qu'elle répugne d'ailleurs à utiliser, Church la dévote est en mesure de générer un cercle de feu autour d'elle et de ses compagnons, ou encore d'immobiliser des ennemis à l'aide de son propre sang. En effet, ces sorts, très efficaces, elle ne pourra les lancer qu'en s'entaillant la main à l'aide d'un couteau de cérémonie, perdant du même coup un peu de ses points d'énergie. Quant à Cole, dernière fille du groupe, elle est experte en explosifs et se sert constamment de son équipement hi-tech pour voir à travers les murs et même ralentir le temps, histoire d'aller coller un pain de plastique dans les pattes décharnées d'un zombi. Présentons également Jones, fusilier, capable de projeter son esprit dans le corps d'un ennemi pour en prendre brièvement le contrôle. Puis Rawlings, le doyen de l'escouade, qui se trouve être un élément indispensable à la progression puisqu'il fournit tout le monde en munitions, rien que par la pensée. Ce prêtre aux tempes grisonnantes régénère à distance ses camarades tombés au combat. Un pouvoir partiellement partagé par le dernier membre de Jericho, Ross, vous. Ce personnage ne semble tout d'abord pas disposer de don particulier en dehors de ses talents de leader et de guérisseur, mais son trépas prématuré le transformera soudainement en créature spectrale, capable de prendre possession du corps des autres Jericho, et vous octroyant du même coup le droit d'utiliser leurs pouvoirs.
Sur console, passer d'un guerrier à un autre s'effectue très simplement en passant par un menu relativement clair qu'on ouvrira en pressant une touche et dans lequel on naviguera avec la croix directionnelle. Pratique, pour peu que l'on connaisse le nom de chaque Jericho. Une autre méthode consiste simplement à viser un allié et à presser un bouton. Pour éviter qu'on ne soit trop désorienté, Jericho emploie la méthode Battlefield II : chaque changement sera donc accompagné du petit travelling qui va bien. Curieusement sur PC, utiliser l'interface s'avère nettement moins pratique, car pour y accéder on devra laisser la barre espace enfoncée puis sélectionner le combattant voulu avec les flèches ou un clic de souris. On préféra donc la méthode directe qui consiste à cibler un collègue et à presser la touche de «saut». Quel que soit le personnage employé, le joueur garde sa faculté de commander les autres membres de l'unité. En fait, l'escouade Jericho est scindée en deux groupes sur lesquels on exercera un contrôle indépendant. Les ordres (qu'on lance encore une fois avec la croix sur console) sont basiques et se résument grossièrement à "suivez le patron, pause pipi, ou postez-vous là bande de lopettes". L'ennui, c'est que les membres de Jericho ne sont pas franchement coopératifs et si leurs réactions pourront être occasionnellement cohérentes, elle seront plus généralement débiles et donc foncièrement gonflantes.
Le phénomène est amplifié dès lors que les couvertures se font rares et on se retrouve vite avec des bonshommes qui courent dans tous les coins comme des lapins avant de se poster au milieu d'un couloir pour être bien sûr de se faire démonter par un bestiaire ignoble, mais qu'on aurait souhaité nettement plus varié. D'autant que les bestioles que le jeu nous balance sur la tronche, zombis informes, fantômes ou boss répugnants n'ont qu'un seul et unique but : avancer le plus vite possible pour vous sauter à la gorge. Les vagues d'ennemis sont nombreuses, agressives et sortent régulièrement du sol alors qu'on ne s'y attend pas. Du moins au début, car très vite, on comprend la façon dont le titre fonctionne : on avance dans des couloirs sombres aux murs dégoulinant de bidoche plus ou moins fraîche, on distingue des bouts de cages thoraciques à la lueur d'une lampe torche qui tend à s'éteindre toute seule régulièrement, puis des hordes de macchabées ambulants nous agressent joyeusement de tous côtés dans un joyeux foutoir. On tire sur ce qu'on peut et on essaie de régénérer les collègues qui ne manqueront pas de se faire écharper comme des jambons. Comme dans Doom III, le sentiment de peur finit donc par s'estomper sous les coups de butoir d'une routine sanglante.
Ce sentiment de lassitude, on le doit notamment à la structure ultra linéaire du soft. Jamais vous ne vous perdrez dans Jericho tant la progression se veut classique et dirigiste. Un couloir qui s'élargit parfois en une large arène constitue généralement votre univers. On n'explore jamais, car de toute façon, il n'y a rien à découvrir. Et quelle déception lorsqu'on constate que le jeu ne fait rien de vraiment intéressant pour encourager une utilisation intelligente et régulière des si généreux pouvoirs des Jericho ! Le joueur se trouve en effet constamment guidé, incité à utiliser telle ou telle capacité pour débloquer la situation à tel ou tel moment. Même si cette "technique du youpala" tend à se faire moins envahissante au fil de l'aventure, Jericho ne laisse généralement pas le loisir de réfléchir ni de tâtonner. Et votre créativité destructrice, c'est dans les combats que vous pourrez la libérer, mais sachez que rien ne vous y incitera à part votre propre désir de rigoler un peu aux dépens des monstres pustuleux qui ne cessent de vous assaillir.
Pour tenter de briser la routine, Clive Barker's Jericho intègre cependant quelques Quick Time Events. Mais oui, vous savez bien, les QTE, ces fameuses cinématiques interactives lors desquelles le joueur doit appuyer sur les boutons affichés à l'écran pour continuer. Celles de Jericho sont très réussies et nous plongent directement en plein film d'horreur. A la moindre erreur, on est parti pour faire un gros câlin à la Grande Faucheuse. Franchement, les développeurs de Mercurysteam semblent avoir fait en sorte que vous y passiez de toute façon la première fois. Mais cela n'est pas plus mal, car un échec vous permettra généralement d'assister à une mise à mort bien traumatisante qui balaiera tout d'un coup le faux sentiment de sécurité que vous aviez probablement développé en évoluant aux côtés des autres Jericho. Dans le même ordre idée, sachez que vous serez parfois séparé d'une partie de l'escouade, voire de toute l'équipe et forcé de progresser avec le seul personnage que le bon vouloir de Mr Barker aura bien voulu vous laisser entre les mains. Ces bouts de niveaux offrent un petit regain de tension salvateur et permettent de varier les plaisirs, même si leur ligne directrice reste bien évidemment "moi vois, moi tue" (ou plutôt retue).
Pour terminer ce tour d'horizon de Jericho, je ne peux m'empêcher de reprendre une expression employée par Clive Barker lui-même pour décrire son bébé. Pour le bonhomme, Jericho n'est autre qu'un «train fantôme terrifiant». Effectivement effrayant, ultra violent, le jeu ne nous en laisse pas moins arpenter des rails qui pour certains, risquent d'être plus rebutants encore que le contenu du jeu. Les autres, amateurs de sensations fortes et de bourrinage de masse, ne regretteront pas d'avoir pris un billet pour faire un tour sur la dernière attraction en date de Clive Barker.
- Graphismes16/20
C'est sombre, très sombre, mais ce qui apparaît dans le faisceau tremblotant de notre lampe de poche est de très bonne facture. Les textures, pas toujours très fines font dans le suintant, l'humide, le pas propre. Le design des monstres est dérangeant à souhait, comme il convient à un titre du genre On appréciera également l'allure des Jericho, fort bien animés et très stylés. Graphiquement, c'est la version PC qui s'en tire le mieux, même s'il faudra une bête de course pour supporter un système d'anti-aliasing gourmand.
- Jouabilité14/20
Jéricho est un titre fondamentalement bourrin dans lequel on se contente généralement d'avancer sur un chemin prédéfini en vaporisant des légions d'ennemis aux tripes bien visibles. La peur est présente, mais pas aussi intense qu'on aurait pu l'espérer. On parlera plutôt d'un certain sentiment d'appréhension. Cela dit, prendre le contrôle des combattants de l'équipe et utiliser leur pouvoir est un vrai plaisir, même si le jeu ne nous y pousse pas suffisamment, ou relativement mal. Il est également dommage que vos injonctions soient globalement très mal suivies.
- Durée de vie14/20
Selon le mode de difficulté choisi, vous en serez pour une balade de 8 à 10 heures. L'humble auteur de ce test serait sans doute plus proche de 11, tant il aura parfois rechigner à s'enfoncer encore plus avant dans les entrailles pourrissantes de Jericho. Qui a dit que j'étais une lame émoussée ?
- Bande son17/20
Une musique de film d'horreur réussie nous accompagne continuellement dans l'aventure, même si quelques morceaux semblent un peu en deçà (je pense notamment à ce passage récurrent qui comporte des choeurs et qui m'aura laissé une impression mitigée). Avec un Cris Velasco plutôt bien inspiré aux commandes, ça aide. Cela dit, Jericho vaut aussi par ses bruitages, ses plaintes lugubres, ses cris à glacer le sang, ainsi que par son doublage français, très convenable.
- Scénario15/20
Là, on aime ou on n'aime pas les délires horrifiques de Barker, mais sachez que Jericho possède une véritable histoire, dont on aura sans doute envie de connaître la fin. C'est assez rare dans un FPS pour être souligné. Al Khali se pose en une sorte de version trash de Midian, la cité des Nocturnes du roman Cabale. Le scénario est bien ficelé et est servi par des dialogues qui suintent la testostérone. Dommage que les cut-scenes manquent un peu d'inspiration. Bref, Jericho est dans la veine des autres travaux de Barker : violent, pas toujours très recherché, mais diablement efficace.
L'auteur de ce test abandonne pour un temps son objectivité légendaire (il vous renvoie d'ailleurs au test de Resistance : Fall Of Man) et déclare qu'il a clairement apprécié cette balade horrifique. Cependant, il serait maladroit de ne pas dire que Jericho souffre d'un bon nombre de problèmes, au nombre desquels figurent une I.A. bancale, des pouvoirs géniaux malheureusement mal exploités, et un level-design trop classique qui nous enserre très vite dans une routine sanglante et parfois soporifique. Reste une aventure défoulante à l'atmosphère délicieusement lourde et oppressante. Une fois l'aventure débutée, on aura du mal à abandonner les membres de Jericho à leur triste sort, et ça, c'est tout de même bon signe.