L'Amerzone, Syberia, Paradise... Depuis son arrivée dans le monde des jeux vidéo, l'auteur Benoît Sokal nous a habitués à vivre de belles aventures dans ses univers originaux. Cette fois, c'est au polar qu'il s'attaque avec L'île Noyée, un huis clos aux rouages parfaitement huilés.
Dans L'île Noyée, le joueur incarne donc un policier, Jack Norm, envoyé sur la petite île de Sagorah pour élucider la mort de Walter Jones. Ce richissime homme d'affaires avait fait de cette île sa retraite, en y construisant une somptueuse tour inspirée des gratte-ciel à l'architecture art-déco de New-York. Mais malheureusement pour lui, il n'aura pas le temps d'en profiter, puisqu'on vient de le retrouver mort au pied d'une falaise. Victime d'un accident ? Pas si simple... Quelques éléments louches vont attirer l'attention de l'inspecteur, qui va vite soupçonner un meurtre. Pour ne rien arranger, une tempête fait rage, coupant totalement Sagorah du monde extérieur. Prisonnier de l'île, Jack Norm va devoir mener son enquête en trois jours pour découvrir le coupable.
Les suspects ne manquent pas : dix autres personnes se trouvent sur l'île, soit autant de coupables potentiels. Se trouvent là trois jeunes couples (les petits-enfants de Walter Jones et leurs conjoints), deux anciens associés de la victime (son avocat et l'architecte de la tour) et enfin un autochtone et sa fille. Evidemment, certains n'avaient pas de très bonnes relations avec Walter. Au fil des discussions, on apprend les vieilles querelles d'héritage familial, les histoires d'amour déçu, les ambitions dévorantes et autres mobiles possibles. Le système de dialogues est d'ailleurs bien fait puisque les répliques sont divisées en quatre catégories. Ainsi, on pourra tour à tour parler des preuves trouvées, des autres personnages, des témoignages recueillis ou du mandat en cours. Un "mandat" désigne ici la prochaine question à résoudre, comme "Quelle est l'arme du crime ?" ou "Qui était présent sur les lieux ce soir-là ?". Le jeu est divisé en une douzaine de mandats et parfois plusieurs sont disponibles simultanément. On peut donc les résoudre dans l'ordre qu'on veut, une bonne idée pour briser la linéarité.
De cette manière, les indices que l'on récolte ne serviront pas forcément immédiatement pour solutionner le problème en cours. On se retrouve donc vite envahi. Heureusement, Jack Norm dispose d'un Personal Police Assistant pour classer tout ça. On y retrouve ces indices organisés en quatre catégories : preuves matérielles, photos/empreintes, documents et déclarations. Au fur et à mesure de leur accumulation, une barre de progression se remplit et une fois à son maximum, il ne reste plus qu'à assembler entre eux les bons éléments pour résoudre le mandat. Le PPA dispose aussi d'un outil de comparaison : prenez la photo d'une trace de pas dans le sable et celle d'une chaussure, vous saurez si elles correspondent. Enfin, le dernier outil regroupe toutes les informations connues sur les suspects : âge, éléments à charge ou à décharge, mais aussi leur localisation en temps réel. Pas forcément très cohérent, mais diablement pratique pour retrouver rapidement une personne.
Car les environnements sont vastes : l'île et la tour sont découpées en une multitude d'écrans entre lesquels on peut facilement se perdre au début. Plus tard, on connaît mieux l'endroit et on finit même par trouver les allers-retours un peu lassants, mais c'est la loi du genre. Les lieux se réduisent au fil des jours, les distances à parcourir sont donc progressivement moins importantes. Le huis clos s'en trouve renforcé, la tension augmentant plus l'espace diminue. En tout cas, ces décors sont vraiment magnifiques, on reconnaît bien la patte de Sokal. Une fois encore, le travail artistique réalisé par l'auteur et son équipe est remarquable, même si la modélisation et l'animation des personnages ne sont pas toujours parfaites. L'écriture du scénario a également été faite avec soin, l'enquête réservant plusieurs rebondissements et le ou la coupable restant assez inattendu jusqu'au bout...
Au chapitre des regrets, la bande-son est nettement en retrait de la réalisation graphique. La musique se fait bien trop discrète, quant à l'interprétation des doubleurs, elle est mitigée. On a beau nous décrire Jack Norm comme "impassible", je trouve sa voix vraiment inexpressive, neutre, sans émotion. Dommage. Certains personnages s'en tirent cependant bien mieux, et les bruitages sont une franche réussite. Toutefois, ne boudons pas notre plaisir : le scénario est solide et secondé par un beau travail visuel, donc ceux qui se laisseront envoûter par cet univers n'auront de cesse de le parcourir tant qu'ils ne connaîtront pas le fin mot de l'histoire. Bref, après un Paradise en demi-teinte, Benoît Sokal et White Birds reviennent en grande forme. De bon augure pour le prochain projet du studio, qui n'est rien d'autre qu'une ambitieuse adaptation de la trilogie Nikopol d'Enki Bilal.
- Graphismes16/20
Les environnements sont vraiment beaux, entre cette tour art-déco fastueusement meublée et l'île aux palmiers ployés par la tempête. Seuls les personnages souffrent parfois d'une modélisation ou d'une animation un peu imprécise.
- Jouabilité16/20
De l'aveu même de son créateur, L'île Noyée n'est pas un jeu d'aventure classique mais un jeu policier. S'il y a bien un peu de collecte d'objets à utiliser, l'essentiel du gameplay est basé sur l'obtention de témoignages, sur la comparaison d'éléments matériels, bref sur la réunion d'un faisceau de preuves concordantes, aidée par l'utilisation du PPA. Cette recette fonctionne à merveille, malgré les nombreux trajets répétitifs requis.
- Durée de vie13/20
Le titre est constitué d'une douzaine de mandats, constituant environ autant d'heures de jeu. Un peu faible, d'autant qu'une fois le coupable connu, on n'y reviendra pas, malgré le mode contre-la-montre.
- Bande son12/20
Certaines voix sont décevantes, notamment celle du héros. La musique se fait trop timide, mais quand on finit par la remarquer elle devient rapidement répétitive. Par contre, il faut avouer que les différents bruitages (vent, pluie, craquements...) sont particulièrement réussis et plongent le joueur au coeur de la tempête.
- Scénario17/20
Dix personnages isolés sur une île, voilà qui n'est pas sans rappeler Dix petits Nègres d'Agatha Christie. Malgré cette filiation de départ évidente, L'île Noyée parvient à dérouler une histoire originale, bien menée, très prenante et lourde en secrets.
Avec L'île Noyée, Benoît Sokal nous sert une enquête passionnante, servie par une histoire sans faille et un graphisme léché. On passera donc aisément sur les petits défauts de durée ou de son pour suivre sans relâche Jack Norm dans sa quête de vérité.