Lorsque Nintendo annonça le développement d'un jeu entièrement dédié au personnage de Tingle, honni par tous les fans de la saga Zelda, beaucoup ont cru à une farce. Mais en découvrant les premiers visuels de ce titre, la curiosité s'est installée peu à peu, jusqu'à ce que le manque total de communication autour du jeu finisse par nous le faire complètement oublier. Aujourd'hui, ce titre intitulé Tingle's Rosy RupeeLand est enfin disponible, alors voyons tout de suite ce que le lutin facétieux nous réserve.
Il est radin, laid comme un pou et plus sournois qu'un serpent. En seulement quelques interventions, l'odieux lutin Tingle a réussi l'exploit de se rendre encore plus détestable que le vil Wario, la haine des joueurs à son égard étant au moins aussi grande que l'admiration qu'ils éprouvent envers Link. Apparu pour la première fois dans Majora's Mask, puis dans Wind Waker où il utilisait ses frères comme esclaves pour qu'ils lui érigent une tour à sa gloire, mais aussi dans Four Swords où il apparaissait à chaque fois qu'il avait l'occasion de nous voler des rubis, ce personnage n'a vraiment rien à faire dans la Légende de Zelda et le voilà qui hérite pourtant d'un soft à son nom. Les voies du seigneur Nintendo sont impénétrables.
Première révélation, Tingle est à l'origine un être tout à fait banal, un célibataire de 35 ans aux désirs bassement matériels, qui ne rêve que d'être entouré de jolies femmes et de faire fortune. On a vu plus noble comme héros de jeu vidéo... Un jour comme les autres, il entend une voix mystérieuse qui lui promet d'exaucer ses souhaits s'il accepte de jeter quelques pièces dans la source d'à côté. Sentant qu'il y a peut-être moyen de s'enrichir à peu de frais, Tingle accepte d'y déposer un premier rubis et se transforme alors en farfadet à collants verts choisi par les dieux pour ériger une tour suffisamment haute pour lui permettre d'atteindre RubisLand, le paradis des gens cupides et sans scrupules dont Tingle est l'exemple parfait. Dès lors, le joueur se retrouve contraint et forcé d'incarner ce personnage peu recommandable, investi de la mission la moins noble que l'on ait vue dans un jeu vidéo : extorquer aux gens le plus d'argent possible afin d'amasser des rubis, quitte à basculer dans l'immoralité la plus totale.
Même si les NPC qui peuplent la ville voisine de la maison de Tingle n'ont pas l'air franchement recommandables, leur malhonnêteté et leur cupidité ne sont rien à côté des vôtres. Une fois dans la peau du personnage, vous devez garder à l'esprit que votre bourse et votre jauge de vie ne font qu'une et que plus vous dépensez, plus vous prenez le risque de vous rapprocher du game over. Il n'est donc pas question de rendre le moindre service sans obtenir une généreuse récompense en retour, ni de faire quoi que ce soit gratuitement. Le faciès de Tingle n'étant pas des plus engageants, les habitants n'auront que de la suspicion à votre égard tant que vous n'aurez pas acheté leur confiance avec quelques pièces sonnantes et trébuchantes. La tension qui plane ainsi lorsque vous entrez en ville est retranscrite au moyen d'une musique dérangeante qui montre que vous n'êtes vraiment pas le bienvenu. Les marchands vont même jusqu'à fermer boutique et baisser leurs stores à votre approche, exactement comme dans les films de western quand des bandits menacent de saccager une ville. Le soft a d'ailleurs le mérite de proposer une atmosphère réussie et une réalisation assez atypique, comparable dans une certaine mesure à celle de Viewtiful Joe pour ce qui est de la technique graphique employée.
Une fois que vous avez réussi à convaincre votre interlocuteur d'engager le dialogue, il reste encore à deviner la valeur des renseignements qu'il est en mesure de vous prodiguer. Chaque mot se paye et c'est uniquement en tâtonnant que vous parviendrez à trouver la somme qui vous permettra d'obtenir ce que vous voulez sans gaspiller de l'argent. Chaque dialogue débouche généralement sur une phase de marchandage dont le but consiste à inscrire la somme que vous acceptez de donner à votre interlocuteur via une calculatrice qui s'affiche sur l'écran tactile. Si celle-ci est jugée insuffisante, non seulement vous devez recommencer, mais en plus il vous faut retenter l'opération jusqu'à vous rapprocher le plus possible du prix attendu. Dans le cas où on vous demande quelle récompense vous désirez recevoir suite à un service rendu, le principe est le même sauf que vous devez viser la somme la plus haute, mais en restant dans les limites autorisées par les moyens de votre interlocuteur. Bien que l'idée soit plutôt intéressante sur le papier, on se rend compte qu'elle ne fait que ralentir énormément la progression, puisque le fait de n'avoir aucune indication sur les sommes vous oblige systématiquement à abuser de la fonction Reset. Soit vous tâtonnez jusqu'à trouver le meilleur prix puis relancez la partie une fois celui-ci trouvé, soit vous faites preuve de largesses mais prenez le risque de finir à sec en moins de quelques minutes. L'argent s'obtient difficilement dans le jeu et il n'est donc pas question de gaspiller le moindre rubis, d'où l'obligation de tricher constamment en relançant le jeu, ce qui finit par devenir assez contraignant.
C'est d'autant plus dommage que le principe est plutôt original et que l'aventure comprend également des phases d'exploration assez sympa. Dans chaque nouvelle zone visitée, Tingle doit repérer des éléments cachés et les rajouter sur son plan pour revendre ensuite ses découvertes à une vieille dame du village. En cas de rencontre avec un monstre, le lutin ne trouve rien de mieux à faire que de se jeter tête baissée sur l'ennemi pour le tabasser et le joueur n'intervient que pour abréger le combat en tapotant rapidement sur le nuage de fumée qui englobe les deux belligérants. La subtilité vient du fait qu'il faut essayer de rassembler le plus possible d'ennemis dans la mêlée afin de gagner un maximum d'objets en récompense. Certes, vous y laisserez des plumes, mais vous serez quand même gagnant puisque ces items vous permettront de créer des potions que vous pourrez revendre ensuite à prix d'or à certains NPC. Il suffit pour cela de jeter les ingrédients dans la marmite et de mélanger le tout rapidement avec le stylet pour obtenir une mixture à verser dans un flacon. Mais vous imaginez bien que Tingle n'est pas du genre à se salir les mains, d'autant qu'il est d'une constitution plutôt fragile et qu'il laissera forcément des plumes dans ces combats. C'est pourquoi il ne faudra surtout pas hésiter à engager des gardes du corps pour le protéger. Ces derniers vous suivront n'importe où, y compris dans les donjons, mais il faudra prendre en compte leur taille et leur poids puisque les plus robustes, par exemple, ne pourront pas se faufiler dans les endroits étroits ni crocheter les serrures.
La présence de ces compagnons apporte aussi une touche d'humour non négligeable dans l'aventure, leur comportement étant souvent inattendu, à l'image de cet ogre qui dégaine sa stéréo en plein donjon pour faire entendre le bruitage symbolisant l'ouverture des coffres dans Zelda... D'une manière générale, le soft est bourré de petits événements amusants et c'est avant tout pour ces moments loufoques que l'on s'efforce de passer outre les défauts du jeu pour découvrir au fur et à mesure ce que cette quête insensée nous réserve. Généralement courts, les donjons ne comportent que peu d'énigmes mais s'achèvent systématiquement sur des boss à abattre de façon souvent très originale. Je pense notamment à ce squelette pirate qui vous affronte en duel dans un écran dessiné à la manière d'un jeu de combat de l'époque Amiga ou Atari ST, chaque confrontation avec un boss étant l'occasion pour les concepteurs de faire appel à toute leur créativité pour nous surprendre. Ceci nous ferait presque oublier les lacunes des phases d'exploration qui sont gâchées par une certaine imprécision et par l'aspect limité et répétitif des combats contre les adversaires de base. On a rarement le temps de rassembler plusieurs ennemis à la fois, et le compagnon a beau nous être d'une aide non négligeable, il ne réagit jamais au quart de tour et donne l'impression d'être un gros boulet à traîner.
Le déroulement de la progression se renouvelle d'ailleurs assez peu, l'objectif récurrent étant d'amasser la somme nécessaire pour passer au niveau suivant. Encore une fois, ceci n'est possible qu'à la condition de ne gaspiller aucun rubis durant les marchandages, et compte tenu du temps qu'il faut pour conclure au mieux la moindre transaction avec un NPC, la durée de vie se trouve rallongée de manière un peu factice. Le soft n'en avait pourtant pas besoin, car l'aventure dans sa totalité est étonnamment longue, les niveaux étant de plus en plus vastes au point d'atteindre parfois des proportions assez rebutantes. Reste à savoir si le côté laborieux de la progression ne vous donnera pas envie de jeter l'éponge bien avant. Quoi qu'il en soit, Tingle's Rosy RupeeLand n'est pas un jeu à mettre entre toutes les mains, mais il vaut tout de même le coup d'oeil si vous aimez les jeux curieux, osés et totalement immoraux.
- Graphismes15/20
Les graphismes ont un style très particulier, plutôt cartoon avec un petit côté Viewtiful Joe dans le tracé des décors. Le double-écran est utilisé de façon intelligente et les affrontements contre les boss sont l'occasion d'assister à quelques originalités sur le plan visuel.
- Jouabilité12/20
Avec son gameplay entièrement tactile, le titre est plutôt agréable à jouer, mais le système de combat est vraiment limité. La gestion des compagnons est également quelque peu chaotique, quant aux négociations, elles obligent à abuser de la fonction Reset pour tricher jusqu'à trouver le prix le plus avantageux.
- Durée de vie15/20
La durée de vie est beaucoup plus longue qu'on ne pourrait le croire, pas seulement parce qu'on est obligé de recommencer souvent les négociations, mais aussi parce que les niveaux sont nombreux et de plus en plus vastes.
- Bande son12/20
Même s'il n'est pas très marquant sur le plan musical, le jeu se rattrape au moyen de quelques effets amusants qui renvoient, pour certains, à la série Zelda.
- Scénario12/20
Les péripéties de notre ami Tingle ne sont finalement pas aussi loufoques qu'on pourrait le croire au tout début de l'aventure, malgré la présence de personnages vraiment étranges et le caractère immoral de la quête du lutin.
S'adressant à ceux qui n'ont cessé d'espérer voir ce titre sortir un jour dans notre pays, Tingle's Rosy RupeeLand est une curiosité qu'il convient d'essayer au moins une fois pour son concept original bien que totalement immoral. On y découvre un univers où tout le monde peut être acheté moyennant quelques rubis et où la cupidité est le seul moteur de l'aventure. Dommage qu'en terme de gameplay le titre souffre d'autant de lourdeurs qui risquent de donner envie à la plupart des joueurs de baisser les bras avant d'en voir la fin.