Les éditeurs semblent s'être passé le mot pour sortir coup sur coup pléthore de RPG sur PS2. Espérons qu'entre les très attendus Valkyrie Profile : Silmeria et Rogue Galaxy, le troisième chapitre de la série Shadow Hearts parviendra tout de même à tirer son épingle du jeu, car il le mérite largement.
En seulement deux épisodes, le studio japonais Nautilus, anciennement Sacnoth, est parvenu à concurrencer les ténors du RPG avec une série qui jouit maintenant d'un certain prestige. Conçu en quelque sorte comme le prolongement du jeu Koudelka, le premier Shadow Hearts posait déjà les bases d'un univers et d'un système de jeu qui allaient être portés aux nues dans Shadow Hearts : Covenant. Et si vous ne connaissez pas encore cette série hors normes je ne peux que vous recommander de rattraper cette erreur au plus vite afin de ne pas passer à côté de quelque chose de vraiment unique dans le domaine du jeu de rôle sur consoles.
Avec ce troisième volet, cependant, les développeurs ont pris un risque énorme en choisissant d'évincer le personnage de Yuri, pourtant emblématique de la saga et doté d'un charisme inégalable, au profit d'un blondinet américain. Une décision qui implique aussi la perte du cimetière et surtout la dérive du scénario vers quelque chose qui n'a plus la saveur du contexte glauque établi dans les deux premiers chapitres de la série. Les premières minutes de From The New World, nous donnent plutôt l'impression que les concepteurs ont donné la priorité à l'humour et à la dérision, certes déjà présents dans les précédents volets mais accentués ici de manière surprenante et presque déroutante. Le début du jeu pourra ainsi faire à certains le même effet que Final Fantasy X-2 après FFX, à savoir que l'ambiance dénaturée nous fait craindre que le soft ne s'égare complètement dans une atmosphère dépossédée de tout ce qui aurait dû faire son charme.
Fort heureusement, l'alchimie improbable ayant servi à mettre au point cet opus finit par libérer toute sa saveur après quelques heures de jeu, lorsqu'on commence à entrevoir le canevas qui donne un sens à l'histoire, et qui unifie l'ensemble des protagonistes que tout semble pourtant opposer. Plus que jamais, on se retrouve avec une galerie de héros sortis de nulle part, que l'on a presque envie de haïr et que l'on finit pourtant par adorer malgré leur anti-charisme absolu. On commence les présentations en douceur avec Johnny Garland, un jeune détective blondinet qui n'arrive pas à la cheville de Yuri mais qui sert tout de même de pilier à l'équipe et de fil conducteur à l'histoire. Shania, seul élément classe de votre équipe, est aussi belle qu'intéressante à jouer puisqu'elle dispose des fameuses fusions, indissociables de la série. Natan, son acolyte indien adepte du gun-fu, est rapidement éclipsé par les tarés du groupe que sont Franck, un vieux gaijin qui se prend pour un ninja, Mao, un chat obèse de taille humaine qui tourne des films à Hollywood, et Hilda, une fille change-forme qui dévore les calories des ennemis pour modifier son poids à volonté ou prendre l'apparence d'une chauve-souris. Ricardo, votre dernière recrue, relève un peu le niveau en apportant le sérieux qui sied à un tueur guitariste coiffé d'un sombrero...
On retrouve là bon nombre de clins d'oeil à des idées déjà présentes dans les opus précédents, l'intérêt étant surtout de découvrir de nouvelles techniques à mettre en place à chaque fois qu'un nouveau personnage rejoint votre équipe. Les néophytes risquent d'ailleurs d'être un peu dépassés par la complexité du système de jeu qu'il faut pourtant prendre le temps d'apprivoiser pour en maîtriser toutes les subtilités. En plus des techniques propres à chacun, les combats prennent en compte tous les éléments qui découlent de l'utilisation de la roue du jugement, avec un système de combos fantastique car optimisé grâce à l'ajout de la notion de stock, qui rappellera pas mal de souvenirs aux adeptes de Xenosaga II. Les magies découlent directement des pierres que vous aurez placées sur une sorte de plateau inspiré des constellations et des signes astrologiques occidentaux, leur attribution pouvant être personnalisée suivant plusieurs critères (efficacité, niveau, coût en MP). Le Judgment Ring reste lui aussi customisable à volonté pour ce qui est des effets secondaires infligés, du nombre et de la taille des zones de frappe, sans oublier le type de l'anneau utilisé, et ce de manière individuelle pour chaque personnage. Enfin, on retrouve évidemment les points de santé mentale qui s'épuisent à mesure que le combat se prolonge, impliquant la menace constante de voir les membres de votre groupe devenir fous.
On ne fait là que survoler les innombrables possibilités du système de jeu, le but n'étant pas de les expliquer ici en détail mais simplement de mettre en évidence toute la richesse du titre d'un point de vue purement ludique et stratégique. Si ce troisième volet n'égale pas son aîné sur de nombreux points, il le dépasse, à mon avis, largement, pour l'efficacité de son système de jeu. Ainsi, à défaut de restituer intactes toutes les sensations d'un vrai Shadow Hearts, From The New World parvient à faire oublier rapidement la déception qu'il engendre durant ses premières heures, tant il brille par des affrontements menés de main de maître. Pourtant, la fréquence des rencontres aléatoires fait certainement partie des plus faibles parmi les RPG, et ce sont surtout les boss qui seront l'occasion de tester votre habileté à tirer parti de toutes les subtilités du gameplay.
Si le scénario n'est pas toujours très cohérent, la variété des environnements visités se justifie par le fait que l'histoire découle directement des investigations du détective Johnny et de son équipe, qui prolongent leur périple à mesure que les indices récoltés les aiguillent vers de nouvelles destinations. C'est ainsi que le voyage, débuté dans les quartiers de New York, s'achève au beau milieu des temples aztèques, après quelques détours du côté de Roswell, Chicago, le Grand Canyon, la prison d'Alcatraz, Hollywood, la baie des Caraïbes, Las Vegas, Rio de Janeiro, sans oublier le Machu Picchu. Une expédition à grande échelle qui sert de prétexte à l'intervention de personnages inspirés de la réalité, comme Al Capone ou Howard Lovecraft. L'Amérique dans son entier a visiblement inspiré les concepteurs de ce troisième volet, à mille lieues des péripéties vécues dans le Japon et la vieille Europe de Shadow Hearts : Covenant. Au final, tout juste pourra-t-on déplorer l'absence de traduction, puisqu'il s'agit du premier opus de la série à nous imposer les textes en anglais. Quant à la durée de vie, si elle ne dépasse pas la trentaine d'heures pour ce qui est de la quête principale, attendez-vous à une somme impressionnante de quêtes annexes qui ne sauraient être mises de côté, ne serait-ce que pour découvrir jusqu'où les développeurs ont eu l'audace de pousser le délire par rapport à certains personnages principaux.
- Graphismes16/20
Si l'esthétique de Shadow Hearts 3 vous déplaît, ce sera sans doute davantage à cause du design exagérément atypique de certains personnages plutôt que de la réalisation en elle-même. Les graphismes et les cinématiques sont en effet très réussis, mais le bestiaire est toujours aussi dérangeant.
- Jouabilité18/20
Avec ce troisième volet, la série a réussi à mettre en place un système de jeu vraiment fabuleux, extrêmement riche et encore plus abouti que celui de Covenant, notamment grâce à la notion de stock qui optimise la gestion des combos de façon subtile. A cela s'ajoutent les différentes techniques spéciales propres à chacun des membres de l'équipe.
- Durée de vie14/20
Moins long que le précédent volet, From The New World propose une quête principale d'une trentaine d'heures, complétée par une pléthore de quêtes annexes qui sauvent la durée de vie un peu faiblarde.
- Bande son15/20
Tout aussi indispensable que les autres OST de la série, la bande-son de ce nouveau Shadow Hearts est loin des sonorités classiques de la plupart des RPG, et s'apprécie même en dehors du contexte du jeu.
- Scénario14/20
Un voyage construit comme une sorte de jeu de piste à travers l'ensemble du continent américain, avec toujours autant de références réelles couvertes de mysticisme. Le duo inédit composé de Lady et Killer est là pour faire monter la pression à mesure que le scénario se complexifie ; dommage que Roger Bacon nous donne l'impression de faire de la figuration.
Moins indispensable que l'excellent Shadow Hearts : Covenant, From The New World brille tout de même par un système de jeu proche de la perfection qui enrichit les bases de gameplay déjà établies dans les volets précédents. Le contexte se veut cependant beaucoup plus loufoque qu'avec l'histoire de Yuri, mais reste complètement assumé, avec des personnages qui poussent le délire et l'absurdité à leur paroxysme. Les fans déploreront sans doute ce changement d'orientation global, l'absence de traduction et la courte durée de vie du soft, mais ils ne regretteront certainement pas d'avoir laissé sa chance à un RPG qui reste malgré tout exceptionnel.