Après des années de bons et loyaux services, la GBA s'efface progressivement pour laisser la place à sa frangine la DS, et c'est avec des titres aussi prestigieux que Final Fantasy VI que la portable tire sa révérence avec panache et dignité. Déjà réédité en France sur PSOne, l'épisode le plus bouleversant de la saga revient sur GBA pour s'assurer que sa légende sera perpétuée par les générations futures qui, n'en doutons pas, seront aussi sensibles à ce titre que leurs aînés lorsqu'ils ont découvert le soft en version originale sur Super Famicom.
Alors que, suite à des siècles de chaos, l'homme a fini par abandonner sa soif de magie au profit du développement des machines et de la technologie, l'empereur Gesthal s'apprête à réitérer les erreurs du passé en provoquant ce qui sera connu sous le nom de Guerre des Magi. En traquant les chimères mystiques pour leur extorquer leur puissance magique par la force, Gesthal ignore que le seul moyen pour une chimère de transférer ses pouvoirs à quelqu'un est de se sacrifier pour concentrer son essence pure dans une pierre appelée magilithe. De braves héros s'organisent alors au sein de la résistance pour contrer l'empire et neutraliser les agissements du bouffon Kefka, un lieutenant dont la cruauté et la soif de pouvoir sont sans égal. Voici résumé de manière très sommaire le point de départ du scénario de Final Fantasy VI, un scénario qui prendra bien vite une envergure inattendue et insoupçonnée à mesure que l'on découvrira les implications de chacun des intervenants de cette bouleversante épopée.
Après cinq épisodes réussis, Hironobu Sakaguchi et son équipe avaient compris que pour améliorer encore davantage la formule des Final Fantasy, il ne fallait pas seulement renouveler le système de jeu mais aussi soigner au maximum le background et la psychologie des personnages. Des préoccupations plutôt ambitieuses pour l'époque, alors que les consoles n'autorisaient que des performances limitées et que le RPG venait tout juste de prendre son essor. Déjà exceptionnel à ce niveau-là, FFIV se verra donc totalement supplanté par ce sixième épisode qui ne nous épargne aucune révélation bouleversante, aucune scène poignante, et encore moins les passages désormais cultes tels que l'exploration du train fantôme ou l'exceptionnel récital de l'opéra. Ceux qui n'ont jamais compris comment un titre 16 bits, constitué de personnages minuscules en SD (Super Deformed) et de sonorités préhistoriques, peut marquer les esprits à ce point, vont avoir une chance de se rattraper en se lançant à leur tour à la découverte de cet incontournable du RPG. Quant aux autres, ils n'auront sans doute nul besoin d'arguments pour se persuader de la nécessité absolue de refaire cet épisode sur GBA, ne serait-ce que pour arpenter les donjons inédits propres à cette version ou simplement replonger avec nostalgie dans cette histoire aux multiples destins.
Beaucoup plus nombreux que dans n'importe quel autre épisode de la saga, les protagonistes de Final Fantasy VI sont, à une ou deux exceptions près, tous plus fascinants les uns que les autres. Il sera donc d'autant plus difficile d'en laisser certains de côté pour constituer son équipe, surtout que l'aventure prend un malin plaisir à multiplier les passages exigeant de former des groupes distincts pour progresser. C'est d'ailleurs une des particularités de cet opus, de proposer des niveaux où il convient de diriger ses équipes en parallèle ou bien suivant des embranchements narratifs qui finissent par rejoindre ceux des autres personnages. On constate d'ailleurs avec amusement que les concepteurs ont eu la bonne idée de rendre le Mog jouable durant l'aventure, ce dernier ayant la faculté d'accomplir des danses rigolotes pour dérouter ses ennemis. L'inspiration aidant, les auteurs du jeu ont réussi à constituer une galerie de héros très intéressants, même pour les plus secondaires qui n'ont rien à envier aux autres en terme de charisme et de psychologie. C'est le cas du flambeur Setzer qui intervient tardivement pour mettre son aéronef au service de ceux qui l'ont dupé, ou du ninja Shadow, un assassin mystérieux et sans attache, capable de vous abandonner au moment où vous vous y attendez le moins.
Mais si l'histoire mêle les destins les plus inattendus, elle gravite essentiellement autour des cinq premiers personnages rencontrés au cours de la quête. Aventurier solitaire mais néanmoins capable de prendre des décisions de leader quand il le faut, Locke est un fieffé voleur qui n'hésite pas à délester ses adversaires de leurs possessions avant de les éliminer. Ayant commis des crimes contre son gré, Terra est une élite magitech qui a réussi à échapper à l'Empire qui la manipulait. Ses origines mystérieuses pourraient expliquer les liens qui l'unissent aux chimères, clé de voûte du scénario de FFVI. Partageant avec Terra le premier rôle féminin de l'histoire, Celes a elle-aussi déserté l'Empire pour mettre ses talents de chevalier runique au service de la résistance. La magie, insufflée dans son corps de manière artificielle, lui permet de vous faire profiter très tôt de ses sortilèges. Le roi Edgar de Figaro a beau être considéré comme un homme volage et peu recommandable, son caractère héroïque et ses connaissances en ingénierie lui ont appris à maîtriser des armes redoutables. Son frère jumeau, Sabin, a su tirer profit de son exil en tant que moine guerrier pour apprendre à dompter toutes les techniques de Ninjutsu que vous pourrez utiliser en combat à l'aide de manipulations héritées des jeux de baston. Car les talents de chacun interviennent bien souvent de manière particulière, exigeant une vigilance accrue de la part du joueur pour ne pas rater un coup.
A cette présentation viendront s'ajouter d'autres figures d'exception, comme Cyan, le fier samouraï dévoué à son royaume ou Gau, l'enfant sauvage capable d'assimiler les techniques des monstres qu'il affronte. Les derniers héros interviendront beaucoup plus tardivement dans l'aventure, et certains sont même optionnels et peuvent être manqués si vous n'essayez pas de mettre à jour tous les secrets du jeu. Plus encore que ses prédécesseurs, FFVI est un titre qu'il faut parcourir de longues heures avant de révéler toutes les subtilités de son système de jeu. La plupart des techniques spéciales s'apprennent progressivement à mesure que vous montez de niveau, et le fait que chaque héros dispose de talents propres les rend bien plus précieux et irremplaçables qu'avec un système de jobs. En combat, le gameplay conserve la jauge ATB (actif ou semi-actif) pour désigner le tour d'action de chaque unité, mais diverses compétences passives peuvent également être attribuées aux personnages en les équipant avec des accessoires particuliers. Ces reliques, qui font partie des nouveautés intéressantes apportées par cet épisode, sont d'ailleurs séparées du reste de l'équipement dans le sous-menu, car leurs effets sont permanents et influent sur l'état de leur porteur.
Les magies s'obtiennent en équipant les magilithes, et il faut donc patienter environ 8 heures de jeu avant de pouvoir mettre la main dessus et profiter des sortilèges et des invocations. Une fois le niveau de maîtrise atteint, les magies sont acquises définitivement, tout comme la chimère qui leur est associée. Tous les personnages peuvent s'équiper de ces magilithes, et donc bénéficier de magies et d'invocations, mais c'est au joueur qu'il appartient d'optimiser leurs talents selon sa convenance. L'aventure dissimule pas moins d'une trentaine de chimères dont la plupart apparaissaient pour la première fois dans la série, mais une grande partie d'entre elles sont optionnelles et ne peuvent être obtenues qu'au prix d'efforts particuliers. Autant dire que la durée de vie n'est pas prise en défaut, d'autant que cette version GBA rajoute deux donjons inédits : l'antre des dragons et le sanctuaire des âmes où vous devez remporter 128 combats à la suite sans pouvoir sauvegarder. Pour la première fois de son histoire, FFVI bénéficie d'une traduction française intégrale, dont la qualité impeccable nous fait juste regretter la traduction du mot Esper par chimère, mais ça ne choquera que les puristes.
Comme c'était déjà le cas avec les remakes de FFIV et FFV, la cartouche ne bénéficie pas des sublimes cinématiques rajoutées sur PSOne, qui permettaient de vraiment profiter du travail visuel fourni par Yoshitaka Amano sur le character design. Pour en finir avec les rarissimes défauts du titre, il est clair que le processeur de la console ne rend pas pleinement justice à la beauté des musiques qui comptent pourtant parmi les plus inspirées de Nobuo Uematsu, mais les thèmes sont tellement connus qu'ils sont déjà gravés dans la tête des nostalgiques. Après plus de vingt ans d'existence, la saga Final Fantasy continue de tenir tête aux RPG les plus novateurs, preuve que le génie ne dépérit pas lorsqu'il prend la forme de chefs-d'oeuvre tels que ce FFVI. Voilà en tout cas une merveille de plus à déposer sur l'autel de la GBA, et qui achève ainsi l'historique d'une saga dont nous n'avons pas fini d'entendre parler.
- Graphismes14/20
Sous le pinceau d'Amano, les personnages révèlent leur grandeur au moyen de profils visibles dans le sous-menu ou lors des phases de narration. Une fausse 3D en mode 7 est utilisée pour les déplacements sur la carte, notamment lors des phases à dos de chocobo. Le reste est toujours très old-school, mais c'est justement ce qui fait le charme de la réalisation.
- Jouabilité16/20
Si les bases du gameplay de la série sont conservées, les jobs sont abandonnés au profit de talents variés et originaux qui rendent chaque personnage irremplaçable. L'apprentissage des magies, qui va de paire avec l'invocation des chimères, est aussi une excellente trouvaille. Contrairement aux précédents volets, il n'y a plus de véritable Game Over, puisque lorsqu'on meurt, l'argent engrangé et les objets acquis sont perdus mais l'expérience est conservée.
- Durée de vie17/20
L'aventure s'étale sur deux mondes gigantesques et vous promet au minimum une bonne quarantaine d'heures de jeu, sans compter les quêtes annexes. Avec ses deux donjons optionnels inédits, cette version GBA est la mieux lotie en terme de durée de vie.
- Bande son17/20
Même si la qualité sonore de la GBA ne rend pas justice à la beauté des musiques, celles-ci comptent parmi les plus mémorables de la série. A commencer par le thème de Terra, dont le nombre incalculable de remix prouve son impact sur les mélomanes amateurs d'OST, notamment la version World of Ruin chantée (album Pray). N'oublions pas l'incontournable Aria di Mezzo Carattere, thème de Celes repris pour la scène de l'opéra, qui a d'ailleurs inspiré un véritable récital classique qui mérite à lui seul l'achat du DVD Voices du concert de Nobuo Uematsu.
- Scénario17/20
L'accent est clairement mis sur le scénario et la profondeur des personnages, et on peut dire que le pari était plutôt audacieux pour l'époque. On ne compte pas les scènes poignantes et les passages désormais cultes. Ceux qui découvriront tout cela avec cette version GBA profiteront d'une traduction intégrale en français.
C'est avec ce sixième chapitre de Final Fantasy que Square Enix achève son tour d'horizon des remakes GBA et conclut l'historique de la saga sur la période 8 et 16 bits. Disposant d'une traduction française et d'un supplément de contenu, cette version GBA est d'autant plus indispensable qu'elle permet de redécouvrir l'épisode le plus essentiel de toute la série, avant que le septième volet ne vienne lui faire prendre une nouvelle dimension.