Après avoir sagement fait ses classes sur la série Age Of Wonders, brillante repompe sans complexes de Heroes Of Might And Magic, Triumph Studio poursuit avec une oeuvre un peu plus personnelle. Car Overlord est présenté par ses créateurs comme une entreprise de démolition, un pastiche sans pincettes des sous-Tolkienneries abrutissantes dont le jeu vidéo nous abreuve depuis la nuit des temps (Age Of Wonders inclus, d'ailleurs). Et pour ne pas être taxé de faire eux-mêmes comme les autres, les développeurs ont opté pour un gameplay atypique, sorte de beat'em all auréolé de micro gestion à la Pikmin. Malgré la réussite incontestable de ce mélange, il y a quand même peu de chances qu'Overlord fasse date, la faute à des défauts trop criants. On l'appréciera plutôt comme un excellent rafraîchissement, que l'on oubliera poliment sitôt la période estivale terminée.
On vous a très souvent institué homme providentiel pour combattre un quelconque tyran, mais beaucoup plus rarement pour en devenir un. C'est pourtant dans cette intention que vous êtes réveillé et tiré de votre caveau sous crypte par une assemblée de gobelins braillards. Leur chef, Gnarl, vous explique sans détour la situation. Il fût un temps où les terres du monde étaient toutes gouvernées par un seul maître malveillant : L'Overlord. C'était le bon temps, celui des rires, et surtout des pleurs. Et puis de sombres abrutis se sont mis en tête de devenir des héros en descendant le despote et en ruinant sa tour de Babel. Seuls reliquats du royaume, les créatures susdites, appelées larbins, ont décidé que vous prendriez la succession de leur ancien souverain. Gnarl vous donne les directives principales, à savoir tuer les sept héros responsables de la catastrophe, remettre en état le bâtiment déchu et rétablir la mainmise du mal sur le monde. On voit bien où se situe le titre par rapport à tous ses cousins héroico-fantastiques : ici, c'est le processus inverse des épopées perlimpinpins, la fleur à l'épée. Un peu comme si le Mordor prenait sa revanche après la chute de Sauron. La comparaison n'est d'ailleurs pas fortuite tant le look de l'Overlord ressemble à celui du grand méchant dans l'adaptation cinématographique de Jackson.
A partir de ce point d'ancrage, les développeurs peuvent se permettre de parodier tout le cirque habituel. Les hommes sont lâches, misogynes et aussi idiots que les bouseux du Sacré Graal (lequel fait d'ailleurs office de référence directe à quelques reprises). Le héros nain a développé un complexe en raison de sa petite taille et souffre de boulimie. Les elfes sont des illuminés mi-hippies mi-mormons incapables de défendre correctement leur royaume. Bref, ça taille dans le gras à la moindre reprise. Ces satires ne sont pas des plus originales et il faut bien reconnaître que les traits d'humour ne font pas toujours mouche. A contrario, quelques gags sont franchement drôles, à l'image des rapts de bergères ou du fermier toqué qui entend ses citrouilles fomenter une conspiration. En cela, les doublages français font plaisir à entendre. Codemasters a affecté de véritables comédiens aux micros, aptes à donner de la personnalité à un personnage avec une intonation à coucher dehors, voire une simple voyelle prononcée de manière particulière.
Si d'apparence le jeu est un beat'em all en vue à la 3ème personne bien bourrin, il échappe à cette étiquette en mettant intelligemment l'Overlord au second plan. Les larbins sont les véritables vedettes du gameplay. Ce sont elles qui vont batailler, transporter les pièces de Narl, ouvrir les portes ou détruire les obstacles pour vous. Concernant leur comportement c'est à peu de chose près le même principe que Pikmin : faiblement autonomes (au mieux, si vous vous faites attaquer, elles viendront naturellement vous défendre), il est préférable de leur affecter manuellement des tâches. Il existe trois méthodes pour arriver à ses fins. Avant de les décrire, mieux vaut vous prévenir que l'utilisation d'une manette qui bénéficie au moins de deux sticks reste obligatoire, même pour cette version PC. Il n'est pas particulièrement désagréable d'utiliser le combo clavier/souris, mais certains mécanismes n'ont tout simplement pas été pensé pour la chose. C'est bien dommage. Les trois méthodes donc. D'une, utiliser le stick droit pour contrôler directement le déplacement des créatures. De deux, les envoyer tout de go vers l'avant avec la gâchette droite, en espérant qu'elles feront de leur mieux. De trois, locker précisément le mécanisme ou l'ennemi qui vous intéresse grâce à la gâchette gauche puis envoyer un nombre précis de larbins avec des coups de gâchette droite. Cette dernière solution s'avère la plus pratique à la longue puisqu'elle permet de répartir vos péons efficacement. Accessoirement, se passer du lock n'est pas inintéressant pour mettre rapidement à sac certains endroits. Car les larbins, jamais à court de dévotion, vous rapportent tout ! Certaines zones sont ainsi remplies d'objets destructibles qui dissimulent de l'or, des potions de soins ou de magie, tandis que des prairies grassouillettes nourrissent la panse de moutons dont les âmes innocentes ne demandent qu'à être fauchées. Tuez ces bêtes stupides, récupérez les petites pastilles incandescentes et vous alimenterez un stock qui vous permettra d'appeler d'autres larbins auprès de puits incantatoires. Évidemment, les âmes peuvent se récolter sur n'importe quelle entité, qu'elle soit neutre ou ennemie. Entre parenthèses, les amateurs de STR reconnaîtront l'influence directe de Myth et Sacrifice à ce niveau-là.
L'emploi du stick droit comme contrôle direct des larbins est requis pour que l'Overlord et son escorte se séparent en deux groupes avant de se rejoindre plus loin. Ces passages intéressants interviennent quand vos bestioles ne peuvent franchir certains obstacles, le feu par exemple. Ce qui nous amène naturellement aux quatre types de larbins. La couleur de leur parure les distingue : marron, rouge, vert et bleu. Les premiers sont adaptés au corps-à-corps et s'équipent automatiquement avec tout ce qu'ils trouvent sur le champ de bataille. Les seconds étouffent les feux et attaquent à distance. Les troisièmes font de même avec les gaz toxiques, et peuvent surprendre furtivement les ennemis dans leur dos. Les bleus, enfin, franchissent les étendues aquatiques et ressuscitent automatiquement. L'apparition successive des larbins colorés a cette qualité de donner un léger aspect stratégique aux combats. Chaque race peut être utilisée comme un corps d'armée particulier, de l'artillerie aux assassins en passant par l'infanterie. Il faut d'ailleurs procéder de manière différente selon les ennemis, sous peine de perdre bêtement tous les larbins d'un même type inadapté à la situation. Sans atteindre la finesse d'un vrai STR, le gameplay réussit à transporter le joueur loin des terres arides du beat'em all minimaliste. Même si le titre est bien trop simple pour peu que vous fassiez prudemment le plein d'âmes, un peu de jugeote vous permettra au moins de conserver au maximum vos chers compagnons tout en flattant votre aura de tacticien. En cela la partie combat est une vraie réussite. On ne peut pas en dire autant du level-design...
En théorie, la structure du titre ne devrait pas être prise de tête. La progression est uniquement cloisonnée par votre nombre de larbins, et leur type. En d'autres termes, certaines zones marécageuses ou intoxiquées vous sont interdites pendant quelque temps. En attendant, il y a déjà de quoi faire : les domaines sont grands et vous pouvez y accomplir les quêtes dans l'ordre qui vous plaît. Grossièrement, l'espace de jeu est fait de plusieurs territoires, tous connectés à Narl par le biais de téléporteurs. Vous ne pourrez donc passer d'un domaine à un autre qu'en faisant d'abord un saut par Narl, ou en y allant à pied si les deux domaines sont raccordés. Hélas, dans les deux cas, le rythme du jeu est piétiné par des temps morts franchement regrettables puisque les chargements entre les zones sont affreusement longs. La liberté que voulaient insuffler les développeurs en prend un coup dans l'aile. D'autant plus que le level-design souffre de graves insuffisances : quêtes répétées à foison (avec les classiques convois d'objets et autres portes à ouvrir), architectures en couloirs trop fréquentes, respawn des ennemis assez gavant... Sans jamais sombrer dans la platitude, le titre connaît quand même de sérieuses baisses de rythme, surtout pendant les premières heures. Et ce n'est pas la supposée puissance de l'Overlord lui-même qui va offrir quelques frissons supplémentaires au joueur. Bien trop fragile, il doit se contenter, pour sa propre préservation, de regarder ses larbins faire 90% du boulot. A peine notre gaillard peut-il se risquer à quelques coups d'épée laborieux et de menues boules de feu, son seul pouvoir magique en ces instants de solitude.
Votre calvaire prendra fin dès que vous commencerez à vous comporter en vrai salopard. Outre le meurtre totalement gratuit des PNJ qui ne vous reviennent pas, quelques quêtes vous proposeront de sadiques options plutôt que la voie du juste. Gnarl nous prévient alors, fort justement, qu'il faudra quand même vous attendre à quelques contreparties. A vous de choisir et de contrôler, juste ce qu'il faut, vos pulsions perverses. Mais peut-être est-ce là le vrai délice coupable du titre : supporter une bande d'idiots pour mieux se venger plus tard. En salissant votre réputation, vous obtenez des points maléfiques, lesquels servent dans une fonderie à créer des équipements, armes et sorts supplémentaires, moyennant également un certain quota de larbins. Et la reconstruction de Narl dans tout ça ? Pareillement : il vous faudra d'abord trouver une maîtresse qui fera office de fée du logis, puis dépenser vos deniers durement acquis dans divers aménagements. Ce petit agrément reste cependant cosmétique. Avec ces mécanismes, les développeurs aèrent une nouvelle le fois le gameplay, en le colorant légèrement de RPG. Et c'est bien toute cette richesse qui fait d'Overlord un titre incontestablement sympathique et plaisant à jouer. On pourra regretter que ses handicaps soient aussi grossiers : chargements trop longs et fréquents, difficulté faiblarde, beaucoup de passages répétitifs, mode multijoueur très accessoire (c'est la raison pour laquelle on ne prendra même pas la peine d'en parler). Triumph Studios n'était pas bien loin du hit, c'est bête. Mais en ce beau mois de juin, et avant l'habituelle période de disette, l'heure n'est pas à la fine bouche. Overlord répond à tous les canons estivaux : simple, original, beau, drôle... Le divertissement idéal entre deux rayons de soleil, non ?
- Graphismes15/20
Le rendu, dopé aux effets next-gen, met en scène les décors typiques du fantastique occidental. Le champêtre aux mille fleurs répond au sous-bois bleuté des Elfes, les terres brûlées par les sillons de lave précèdent des cités médiévales fortifiées, aucun environnement cliché ne vous sera épargné. Les extérieurs sont toujours enchanteurs, mais les intérieurs manquent de richesse. Le travail sur l'animation est moyen : autant les larbins ont une gestuelle développée et convaincante, autant celle de l'Overlord manque de naturel. Les effets spéciaux des environnements sont également limités.
- Jouabilité14/20
Jouir d'une bande de galopins dévastateurs pour faire tout le boulot de tyran à sa place est un plaisir que l'on croit d'abord sans fin, avant de commencer à s'ennuyer devant la répétitivité des quêtes et le manque d'aptitudes de l'Overlord lui-même. Heureusement, l'apparition de plusieurs types de larbins et le développement de son avatar par le biais de la fonderie permettent au titre de se relancer efficacement, jusqu'à ressembler à un mini STR lors des combats. Le combo clavier/souris de cette version PC est mal adapté, prenez une manette. La difficulté du jeu est trop basse.
- Durée de vie12/20
Passons sur les modes multijoueurs, qui sont quasiment sans intérêts : brouillons, simplistes, mal pensés. A oublier. Il vous faudra dans les dix heures pour remettre Narl et l'influence de l'Ovelord en état. Il y a bien peu de quêtes annexes, rajoutez une heure ou deux à tout casser pour valider l'intégralité.
- Bande son16/20
Les musiques orchestrales, flamboyantes envolées baroques toujours à la limite de la caricature, créent souvent un contraste avec le loufoque de la situation : un gros métalleux qui défonce des petits bonshommes (ou des moutons). Tout simplement excellent, d'autant plus que le titre n'est pas trop bruyant et sait réserver de longues plages de silence. Rien à dire sur les bruitages, parfaitement reproduits. Et mention très bien aux doublages français, colorés, marquants, naturels. On rêve de voir ce genre de professionnalisme devenir la norme.
- Scénario15/20
Prenez la fin du Seigneur Des Anneaux et imaginez un instant que Sauron se relève de ses cendres. Essayez maintenant de visualiser la dégénérescence des Terres Du Milieu après le départ des sages : elfes indolents, hommes idiots, nains boulimiques. Vous tenez le gros du propos d'Overlord. Porté par un excellent character design, et quelques gags tout à fait savoureux, cet humour parodique, dans la lignée du Discworld, fait souvent mouche. Accessoirement, les larbins sont les méchants les plus drôles et attachants de l'année.
Overlord devrait être la petite starlette des productions estivales. On retiendra son esprit moqueur qui tranche radicalement avec le tout-venant des jeux PC nourris à l'heroic-fantasy. Et on louera son gameplay, qui se permet de piocher un peu de micro-gestion, un peu de STR, un peu de RPG, un mélange finalement heureux pour un titre inconstestablement agréable. Mais pas exceptionnel. Certaines conditions ne sont pas satisfaites pour devenir un incontournable : l'obligation pour cette version PC d'utiliser une manette avec deux sticks, beaucoup de répétitions dans le level-design, et une difficulté bien trop faible. A quelques encablures du hit, Overlord reste cependant une expérience tout à fait convaincante. L'essayer sera peut-être l'adopter.