Ce qu'il y a de vraiment chouette quand les petits gars d'Intelligent Systems s'occupent du cas Mario, c'est l'assurance d'y trouver, à tous les étages, un grain de folie désopilant et souvent de bon goût. Le ridicule achevé du petit rouge devient alors une arme de dérision massive parmi tant d'autres. Après deux Mario&Luigi sur DS déjà gravement atteints, on ne s'attendait certes pas à ce que les troisièmes aventures du moustachu en papier soient plus académiques. Mais on ne soupçonnait pas autant de bouleversements ! Fini la prédominance du RPG, terminé l'univers rondouillard et plan-plan, exit la rivalité entre Mario et Bowser : la carrière du plombier transalpin n'est décidément pas réglée comme du papier à musique.
L'aspect RPG n'est donc plus la pierre angulaire du gameplay. Mine de rien, c'est une tradition entamée depuis 1996 sur Super Nintendo qui prend fin, du moins pour cet épisode. Place désormais à une mise en (plate-)forme qui semble a priori plus traditionnelle et rétrograde, dans la veine d'un Super Mario World. Le plus gros changement concerne évidemment les combats puisqu'on peut oublier le tour par tour. Cela dit, l'héritage RPG passe simplement en second plan et Intelligent System a tenu à conserver quelques essentiels. Le joueur possède toujours un inventaire, dans lequel il ne stocke plus que des petits sorts et bonus temporaires. Il y a encore un système d'expérience avec des montées en niveau, même si ces derniers ne lui servent plus qu'à gagner davantage de points de vie. Enfin, le jeu reste presque aussi bavard que ses prédécesseurs. On le remarque dès les 15 premières minutes de jeu, hélas plutôt longuettes puisque réservées exclusivement à exposer les intervenants et le début de l'intrigue. La voici en quelques mots. Un certain Comte Blech, agité par des pulsions apocalyptiques, a réussit à déchirer l'enveloppe dimensionnelle. Il doit cette performance à des artefacts maléfiques, les Chaos Hearts, et le mariage forcé entre Bowser et Peach (?). Mario, qui est arrivé sur les lieux du drame trop tard, ne peut que constater la catastrophe. Un trou noir perce désormais le ciel, et, grossissant, condamnera à terme toute forme de vie.
Donc les enfants, retenez bien cette leçon : ne jouez jamais avec des Chaos Hearts et ne forcez pas une princesse et un roi Koopa à s'épouser ! Bon, c'est évidemment du grand n'importe quoi et ce canevas constitue une base aussi débile que prévue. Mario devra dès lors reboucher la fissure avec l'aide de 8 Pures Hearts, les éléments inverses des Chaos Hearts, dispersés dans des mondes franchement atypiques. Guidé par un vieux sage, Merlon, il sera progressivement rejoint par Peach, Bowser, Luigi, et une dizaine de Pixls, des "familiers numériques" possédant chacun une capacité salutaire. Chaque monde visité est l'occasion de nous narrer, en quatre actes, une petite histoire différente. On reconnaît là encore le patrimoine des anciens Paper Mario. Mais c'est surtout un excellent moyen de repropulser l'aventure, surtout que ces trips magiques et sans queue ni tête dans l'espace, sous terre ou dans une usine inhumaine ont quelque chose des Formidables Aventures Du Baron De Munchausen, ce qui n'est pas pour déplaire. Le titre s'autorise aussi des sorties de piste surprenantes dans le cadre d'un Mario : une séance meetic entre Peach et un geek libidineux, un interlude sur les problèmes intestinaux d'un Pixl, une sorte de "question pour un champion" incongru en plein milieu d'un combat contre un boss... Ca surprend. Pour revenir, en aparté, sur l'alliance Mario/Bowser, il faut préciser que ce n'est en rien une nouveauté puisque le Super Mario RPG de la Famicom avait déjà osé ce sacrilège.
Le jeu se découpe donc en deux terrains bien distincts : les 8 mondes et leurs 32 niveaux d'un côté, les villes jumelles Flipside/Flopside de l'autre. Pour accéder au prochain monde et récupérer son Pure Heart au terme des quatre stages qu'il propose, il faut d'abord ouvrir un portail en ville. C'est là que le jeu conserve quelques mécanismes de RPG : parler aux PNJ, résoudre des toutes petites quêtes (apporter tel objet à tel personnage), être libre de consulter des boutiques ou d'accomplir des tâches annexes. Soyons objectifs, cette partie reste légère par rapport à un véritable jeu de rôle. Elle a même tendance à ralentir considérablement le rythme puisque les deux villes s'échelonnent sur plusieurs étages, et les déplacements par le biais d'ascenseur sont vraiment trop lents. Par contre, cela profite évidemment à la variété et la longueur du titre, avec moult mini-jeux et à-côtés : achat, vente et mélange d'items, survie contre 100 vagues d'ennemis dans un environnement Game&Watch, recherche des coffres aux trésors... Flipside et Flopside sont ainsi des environnements assez vastes et ouverts, remplis de passages secrets. Pour les découvrir, vous devez mettre à contribution toutes vos "transformations", qu'il s'agisse de changer de personnage ou de Pixl. Ces derniers remplacent en quelque sorte les objets du genre feuille, tulipe ou queue de raton-laveur que l'on rencontrait autrefois directement dans les niveaux. Boomer vous permet de poser des bombes, Carrie de flotter au-dessus du vide, Thudley d'effectuer la fameuse attaque "sauté/piqué", etc... Pour un total de quinze familiers. Evidemment, une fois assignés, leurs effets sont permanents. Le problème c'est que dans les stages comme dans les villes, les changements sont ultra fréquents, ce qui signifie des passages incessants dans les menus. Ce ne serait pas si gênant que ça si la prise en main, Wiimote à l'horizontale, avait été mieux pensée. Concrètement, la disposition des touches n'est pas idéale et on sent l'absence d'un stick ou de gâchettes qui aurait permis des transformations et des changements de Pixls à la volée.
La grande idée de Super Paper Mario RPG reste cependant la possibilité, uniquement avec Mario, de passer à volonté du classique scrolling 2D à une vue de dos, donc dans un environnement 3D. Intelligent System a merveilleusement exploité ce principe dans la pratique. Comme les ennemis restent des à-plats 2D quel que soit le plan, vous pouvez les esquiver et les prendre à revers. Dans le même ordre d'idée, un assemblage de blocs qui constitue un obstacle sur le plan 2D ne pose plus de problème une fois que vous avez changé de point de vue. Des passages se dévoilent également sur la profondeur : les peintures de fond laissent entrevoir des ouvertures, des ponts de terre surgissent au premier plan, certains précipices cachent des fonds que l'on ne peut voir que si on passe en vue de dos... Les malices ne s'arrêtent pas là. Quelques PNJ sont tournés à 90°, donc visibles uniquement sur le plan 3D. Un type de bloc précis peut également changer son orientation, ce qui permet d'accéder à d'autres passages en hauteur. Des portes se cachent sur la profondeur, des coffres sont masqués par des éléments de premier plan, l'illusion d'optique est permanente ! On a véritablement l'impression d'avoir affaire à une petite révolution du jeu de plate-forme. Ces mécanismes pourraient déjà suffire à couper court à l'ennui, mais c'est sans compter sur les changements perpétuels de Pixl et de personnage, l'utilisation de certains bonus issus de New Super Mario Bros (le Mario géant, les pièces-hélicoptères), ou des changements radicaux de gameplay. Le titre se transforme ainsi, au gré des délires imposés par le scénario, en shoot'em up, en simulateur de drague ou en beat'em all. Ces séquences insolites ne sont pas toutes pertinentes. Le stage 6-1, par exemple, avec sa succession de duels sans intérêts, est aussi mauvais qu'inutile. Mais Super Paper Mario récolte indéniablement le fruit de ses nombreuses mutations : un gameplay totalement dynamique, changeant, parfaitement calibré pour éviter toute forme de routine et qui laisse, évidemment, une grande part à la rejouabilité.
Le changement d'orientation de la série semble donc suffisamment maîtrisé pour remporter l'adhésion (ou du moins la mienne). A contrario, il est très difficile, voire impossible, de ne pas penser que Super Paper Mario est, et aurait dû rester, un jeu GameCube. Certes, utiliser la Wiimote à l'horizontale, façon pad NES, c'est gentil, ça colle au trompe l'oeil «rétro mario» du jeu, tout ça, mais franchement on a vu plus ergonomique. Je me répète mais le manque de boutons, et l'absence de stick ou de gâchette rend la prise en main plus laborieuse qu'elle ne l'aurait été avec la Wavebird. En prime, les fonctions avancées de la télécommande ne sont pas vraiment considérées. Seule Tippi, le Pixl que l'on vous alloue dès le début du jeu et qui sert à balayer l'écran pour dégager des éléments invisibles, pourrait constituer une raison plus ou moins valable. Les autres exploitations se cantonnent à secouer vaguement le périphérique ou viser des fantômes dans un des mini-jeux. Le titre présente aussi une grande pauvreté technique, que l'originalité du visuel ne peut pas dissimuler bien longtemps. Il n'existe pas assez de mots terriens suffisamment cyber bizarroïdes pour décrire la direction artistique. Les artistes d'Intelligent System ont assurément fait un tour dans la matrice et ceux qui regrettent d'avoir droit aux mêmes ambiances guimauves depuis 20 ans devraient se réjouir. Mais le titre collectionne aussi tout ce qu'il ne faut plus faire depuis au moins 5 bonnes années : textures misérables, clipping à moins de 10 mètres, aliasing à outrance sur la vue 3D. On pourra encore se rabattre sur l'argument du rétro assumé. Il est vrai que le titre est parcouru par de fréquentes références, avec notamment une attaque du château de Bowser tournée en dérision. Mais la nostalgie n'excuse pas tout et, encore une fois, on ne comprend pas un instant pourquoi le titre n'est pas proposé, au moins en sus de la version Wii, sur notre bonne vieille GameCube.
Super Paper Mario est déjà la coqueluche des Japonais qui lui ont fait une place douillette dans le top 10 des ventes depuis sa sortie. Ce succès est peut-être la clé pour comprendre que peu importent tous les défauts précités, auxquels il conviendrait d'ailleurs d'ajouter une difficulté générale assez faible. D'abord divertissant, le titre monte en puissance et s'affirme, au fil des niveaux et de leur formidables tours de passe-passe entre 2D et 3D, mais aussi par le constant renouvellement des possibilités, comme une évolution fascinante du jeu de plate-forme. Voilà typiquement le genre de titre assez contestable et pourtant aussi fun qu'inestimable. Les possesseurs de Wii PAL peuvent entamer une puissante litanie pour qu'il soit enfin annoncé en Europe !