Traînant derrière lui un chapelet de diatribes, Rule Of Rose pose enfin un pied sur le territoire français. Fils illégitime de Silent Hill et de nombreuses oeuvres cinématographiques évoluant dans les sphères horrifiques, le titre de Punchline nous sert sur un plateau d'argent une oeuvre sombre et traumatisante. Loin de verser dans la surenchère gore, Rule Of Rose se veut plus subtile dans son approche en distillant une atmosphère oppressante, en sublimant le macabre au point de pervertir l'innocence. Quand les ténèbres touchent à la pureté, le monde s'écroule sous nos pieds, la réalité s'efface au profit d'un imaginaire pernicieux, suintant, où chaque rire effraie, où chaque pas nous terrorise.
Si Rule Of Rose dérange, la raison en est simple. Suivant la voie toute tracée par la série de Konami, le titre de Punchline ouvre le grand livre de la morbidité psychologique qui use du hors champ, de l'invisible, de l'ombre pour magnifier une atmosphère opaque, lourde, suscitant le mal-être du joueur. Rule Of Rose est donc une sorte de conte funèbre à la croisée des chemins d'Alice aux pays des merveilles et de Silent Hill. L'intérêt de la chose n'est donc pas tant de choquer que de maximiser l'impact émotionnel en souillant la naïvetée, l'insouciance liées à l'enfance. De ce postulat de départ, est née une histoire fragile empreinte de cruauté où la frontière entre le réel et l'irréel n'est jamais clairement définie. D'ailleurs, l'épicentre de Rule Of Rose se situe au coeur même de cette interrogation. Ce que nous voyons existe-t-il ? N'est-ce pas finalement qu'une projection mentale de petites filles, maîtresses de leur propre monde ? Et comment se fait-il que nous, Jennifer, soyons si proches de ces gamines dont les tempéraments, pourtant si différents, se rejoignent sous la bannière du Grotesque. Si toutes ces questions trouveront une réponse à un moment ou à un autre, il est pour le moment temps d'ouvrir le livre afin d'en déchiffrer le contenu.
Tout commence de la manière la plus singulière qui soit. Suivant une belle cinématique, dérangeante à souhait, le joueur se retrouve plongé dans un univers kafkaïen où rien ne semble à sa place. Ainsi, comme émergeant d'un cauchemar nacré, lumineux, un ange du nom de Jennifer se retrouve soudainement au fin fond d'un bus miteux dont la destination nous est inconnue. Un jeune garçon s'approche de nous et nous supplie de lui lire la fin de l'histoire concernant les déambulations d'une petite princesse. A peine avons-nous le temps de nous apercevoir que la plupart des pages de l'ouvrage sont vierges de toutes lettres que le chenapan sort du véhicule pour s'enfuir prestement. Sans même réfléchir, Jennifer le suit, laissant derrière elle le bus qui s'enfuit dans un nuage de fumée. Ne reste plus qu'à suivre l'unique route que la lune tente vainement de découper dans la nuit noire. Si de prime abord, le début de Rule Of Rose ressemble à s'y méprendre à celui de Silent Hill 2 (dont il reprend également le côté granuleux de l'image), les deux jeux bifurquent très rapidement dans la façon de procéder. Ainsi, si on fait abstraction de l'ambiance années 30 qui apporte un charmant côté désuet à l'ensemble, le titre se laisse découvrir très rapidement par l'entremise d'une visite d'un vieux manoir, "personnage" indispensable de tout bon survival horror qui se respecte.
A ce moment, le joueur ne sait pas vraiment où il se trouve d'autant que nos mésaventures nous sont, en parallèle, décrites à travers plusieurs journaux gribouillés qui servent encore un peu plus l'extravagance de l'aventure qui devient de plus en plus surréaliste à mesure qu'on avance. Ce n'est qu'après avoir retrouvé le garçon susnommé que le tout prend un nouveau départ. Cette transition s'opère à l'aide d'une scène effrayante où, après une purification sommaire, Jennifer se voit poussée dans un cercueil puis transportée par plusieurs enfants dans un dirigeable flottant au-dessus d'une Angleterre endormie. C'est dans ce lieu insolite que se dénoueront les fils de l'intrigue. C'est également ici que vous rencontrerez pour la première fois Diana, Meg, Elenor, Wendy et Amanda, les cinq piliers du club des Aristocrates du Crayon Rouge, dont nous faisons maintenant partie. Il vous faudra donc nous plier aux règles régissant cette secte enfantine et se plier aux convenances de ces jeunes demoiselles.
Votre premier objectif sera alors de trouver un cadeau mensuel, une offrande plutôt, afin d'ouvrir une porte réclamant son dû. Pour se faire, vous pourrez compter sur l'aide de Brown, un pauvre chien maltraité qui vous suivra comme votre ombre une fois que vous aurez réussi à le libérer. Outre le côté affectif du canidé, il vous permettra également de découvrir plusieurs objets cachés ainsi que des indices. Dans l'absolu, si l'idée provient de Haunting Ground, Brown se veut tout de même plus débrouillard que Hewie vu qu'il a le mérite de ralentir nos ennemis en aboyant ET de nous aiguiller lorsque nous nous retrouvons coincés face à une énigme. Cependant, cette aide providentielle réclamera un peu de jugeote de votre part vu que chaque objet en votre possession peut potentiellement être flairé par Brown. A vous de voir dans ce cas, ce qui peut vous être utile. A ce sujet, sachez que vous pourrez déposer les objets superflus dans des paniers en osier disséminés un peu partout et dont le principe de vases communicants rappelle fortement celui des coffres de Resident Evil à ceci près que le tout est ici légitimé par une absence totale de normalité. Il ne sera donc pas surprenant d'entendre parler une porte ou d'obtenir des informations de la part d'un personnage de fortune composé d'un balai et d'un seau qui nous proposera aussi de sauvegarder notre partie.
Maintenant si l'aspect scénaristique nous offre une fantastique mise en abîme de l'enfance, une projection désaxée d'un royaume prétendument intouchable, le gameplay nous ramène sur terre via des approximations trop flagrantes. Entre autres choses, on citera les phases de combats qui manquent singulièrement de finesse. On frappe le plus souvent dans le vide, les ennemis nous agrippent pour nous pomper notre énergie et on se retrouve affaibli sans avoir rien pu faire. Heureusement que ces affrontements ne représentent en aucune façon le fondement même du jeu. La même incompréhension concerne ces incessants allers-retours plombant une construction par ailleurs peu originale, malgré la présence de notre cabot personnel. A ce sujet, les ordres qu'on peut donner à notre compagnon à quatre pattes nous permettent de lui dire de nous suivre, de ne pas bouger ou bien évidemment de chercher des objets. Rien de bien spectaculaire mais sa compagnie vous évitera néanmoins de sombrer trop facilement dans la folie. Toutefois, Rule Of Rose vaut davantage pour son ambiance que pour son gameplay vieillissant. Malgré tout, le bébé difforme de Punchline a ce petit quelque chose qui nous oblige à avancer pour comprendre ce qui se déroule sous nos yeux. Je ne saurai dire si l'explication sera à la hauteur des questions soulevées mais il est certain que cette lugubre métaphore sur la candeur souillée ne pourra vous laisser de marbre. En attendant, la petite fille pleure toujours dans ce couloir étroit en attendant que quelqu'un ou quelque chose lui tende une main secourable.
- Graphismes13/20
Rule Of Rose accuse un certain retard au niveau graphique, du moins par rapport à Silent Hill 4 auquel il emprunte l'image granuleuse. Nonobstant cette relative austérité picturale, le jeu propose quelques belles planches sorties de l'Angleterre des années 30. De plus, outre les superbes cinématiques en CG, le côté décalé des ennemis ou de l'univers attise la curiosité.
- Jouabilité13/20
Reprenant le système de coffres de Resident Evil, les paniers de Rule Of Rose permettent de stocker de multiples objets qui pourront être utilisés par Brown pour dénicher des indices. Les phases d'action, elles, sont archaïques et il est agaçant de devoir subir plusieurs allers-retours afin de rallonger quelque peu la durée de vie. Enfin, le fondu au noir qui intervient à chaque fois qu'on inspecte un objet finit par lasser au bout d'un moment.
- Durée de vie11/20
Difficile à juger sachant que je n'ai pas eu le temps de terminer l'aventure. On peut cependant tabler sur une durée de vie d'environ 8 heures, soit la moyenne actuelle des survival-horror, vu que la difficulté est toute relative.
- Bande son15/20
Un doublage américain possédé pour une prestation remarquable. Les musiques ont ce petit côté obsolète qui transcende certains passages placés sous le signe du Malin. Par contre, on reprochera par moment, l'utilisation abusive du violoncelle utilisé au détour d'une ritournelle de notes qui intervient à de très nombreuses reprises. L'effet est délicieux mais cette redondance musicale finit par crisper.
- Scénario15/20
Si je n'ai malheureusement pas eu le temps de terminer le titre, le parti pris de démystifier quelque chose d'intouchable (dans le cas présent l'enfance) pour le pervertir emporte mon adhésion. De plus, la façon de mélanger réalité et fiction, conte pour enfants et univers kafkaïen apporte un cachet unique à l'oeuvre. Situé entre les oeuvres de Lynch, Burton et Balaguero, Rule Of Rose nous met face à l'indicible, à l'incompréhension la plus totale pour nous retourner tout entier. Magique... Et effroyable.
Reprenant des idées d'Haunting Ground, de Resident Evil et de Silent Hill, Rule Of Rose semble n'être qu'un parent pauvre sortant dans l'ombre de ses modèles. Pourtant, outre son manque d'originalité et sa jouabilité imparfaite, le jeu de Punchline crée l'envie, nous poussant à assister aux pires atrocités pour connaître le fin mot de l'histoire. Tout ceci vous demandera du courage mais si vous désirez sortir du rêve, vous devrez serrer les poings et oser regarder ce qui vient d'émerger des ténèbres.