Adepte de la première heure de la vengeance punitive, Tony Montana a toujours été l'homme derrière le flingue, celui qui menace, celui qui décide, celui qui appuie sur la gâchette. Mais aujourd'hui, Tony a pour la première fois mis un genou à terre. Son empire s'est écroulé, ses amis d'antan lui ont tourné le dos et sa fortune s'est évaporée dans les méandres des banques de Miami. Pourtant, l'homme conserve encore son sourire carnassier et si le tigre est en sommeil, il ne tardera pas à surgir de l'ombre.
Alors que Grand Theft Auto a depuis longtemps la mainmise sur un genre dont il est l'instigateur, de très nombreux concurrents ont néanmoins réussi à s'approprier des parts du gâteau. De True Crime à The Getaway en passant par le récent Saints Row, les challengers ne manquent pas. Tout comme Le Parrain d'Electronic Arts, Scarface profite d'entrée de jeu de son nom pour attirer le chaland qui aime faire rouler les douilles entre ses doigts. Chef-d'oeuvre cinématographique supporté de bout en bout par un Al Pacino déchaîné, le film de Brian De Palma se présentait comme une visite en règle d'une ville vivant par et pour la drogue. Ainsi, bien avant Miami Vice, le fulgurant coup de poing de Michael Mann, Scarface nous ouvrait les portes d'une cité où le vice, la luxure, l'argent et le sang étaient les fondements mêmes d'une société toute entière dédiée au profit et aux règlements de compte entre gangs. Dès lors, tout comme les questionnements, légitimes, concernant la trilogie de Coppola ou la future adaptation des Soprano, difficile d'imaginer qu'on puisse retrouver dans le cas présent toute la verve destructrice, la folie galopante et la déchéance d'un homme à travers un jeu vidéo. En effet, il est inutile de se voiler la face : adapter une oeuvre cinématographique sur consoles est un exercice périlleux qui demande de s'approprier un univers avec des règles déjà établies pour y puiser de quoi offrir au joueur une expérience complémentaire à celle qu'il a vécu en regardant le long-métrage.
Si Le Parrain avait opté pour une histoire se déroulant en parallèle de celle du film éponyme, Scarface choisit quant à lui de débuter à la fin du métrage pour mieux installer son scénario. De fait, alors qu'on nous jette directement dans la mêlée, seul face à des dizaines et des dizaines de cibles armées, Scarface en profite pour mettre les points sur les "i" : le jeu reprendra à la virgule près tout ce qui faisait la force de son modèle à commencer par son pilier central : Tony Montana qui échappe de justesse au massacre final. Le joueur incarne donc cette figure de légende qui dégaine aussi rapidement les insultes que ses flingues. Ayant tout perdu, excepté sa combativité, Tony va devoir remonter la pente en commençant par récupérer ce qui lui revient de droit, sa villa. Sorte de préambule, cette première mission va donc consister à dégoter 1000 dollars afin de graisser la patte des fédéraux afin que ces derniers nous permettent de retrouver notre palace d'où nous pourrons réellement contrôler nos affaires. Cette occasion nous sert alors de didacticiel (en complément d'un premier tutorial centré sur les gunfights) pendant lequel on pourra voler nos premiers véhicules pour aller faire un tour dans les environs. Une fois ramassé nos premiers biftons, après avoir refourgué un peu de dope à des junkies en manque, les grilles de notre palais s'ouvriront enfin et le business pourra enfin reprendre de plus belle.
A ce stade du jeu, si vous avez déjà arpenté les ruelles mal famées d'un GTA-like, vous ne devriez pas être dépaysé pour un sou. Une ville toute entière vous tend les bras, le car-jacking est une activité comme une autre, des vendeurs d'armes n'attendent que vous, les petits boulots pullulent et les crapules adorent se faire dessouder par grappe de trente. Bon, vous l'aurez certainement compris mais Scarface n'est pas ce qu'on peut appeler un titre brillant par son originalité. On y trouve bien deux ou trois idées nouvelles par-ci par-là mais globalement le soft mise beaucoup plus sur son anti-héros que sur l'expérience ludique procurée. Quoi qu'il en soit, il faut avouer que le travail accompli par Radical Entertainment propose de ressentir de furieuses montées d'adrénaline lors de fusillades démesurées où les corps tombent au rythme des crépitements d'armes automatiques. A ce sujet, autant vous parler de ces fameux gunfights qui se déroulent selon la règle établie du 1 contre 50. Néanmoins, si on peut tout de même s'étonner de toujours affronter des cohortes de sales types armés jusqu'aux dents, on se rend compte de la futilité d'une telle démonstration de force face à un Tony Montana surpuissant. Ainsi, en plus d'avoir accès à une vaste panoplie d'armes (sélectionnables par le biais de la croix directionnelle), vous pourrez à tout moment invectiver vos adversaires pour compléter une jauge de Rage, celle-ci se remplissant également en fonction de l'ajustement de vos tirs. Une fois la jauge pleine, vous pourrez alors passer en mode Furie pour cibler plusieurs cibles en même temps. De plus, votre puissance sera plus grande, vous serez invincible pendant un court moment et chaque homme éliminé vous fera remonter votre santé. Autant dire qu'une fois qu'on a goûté à la chose, on ne se prive pas pour lancer quelques insultes dès qu'on aperçoit un adversaire et ainsi booster sa jauge.
Bien que les affrontements soient une occasion rêvée pour ramasser du fric ou de la drogue, vous devrez très vite parler aux bonnes personnes pour obtenir des missions de plus en plus importantes. Si celles-ci se résument le plus souvent à aller à un endroit donné pour buter tout ce qui bouge, vous devrez parfois effectuer des livraisons (en camion ou en bateau) pour le compte d'un commanditaire, voler des véhicules, etc. Bien sûr, plus vous ferez de grabuge et plus votre côte de popularité montera auprès des flics. Dans ce cas-là, inutile de vous dire qu'il faudra souvent offrir quelques pots de vin pour faire baisser la pression. Un autre moyen d'éviter les ennuis, si toutefois vous vous faites arrêter par un policier, consistera à le baratiner. Pour se faire, vous devrez réussir un mini-jeu qui se présente sous la forme d'une roue composée de plusieurs zones. Il faudra alors appuyer longuement sur une touche afin d'atteindre la zone de réussite. Si vous y parvenez, vous serez tiré d'affaire, sinon, vous n'aurez plus qu'à vous préparer au pire. Il est à noter que ledit mini-jeu est aussi mis à profit lorsque vous vendez de la drogue, intimidez des personnes (histoire de faire monter votre niveau de Cojones -réputation-) ou blanchissez de l'argent dans une banque. D'ailleurs, cette dernière option est très importante puisque ce blanchiment d'argent est la seule solution pour conserver vos deniers lors d'un Game Over. En somme, si ce petit défi se veut simpliste (et pas toujours évident), il est souvent utilisé pour apporter un peu de tension à certaines transactions périlleuses.
Gagner du respect et de l'argent, pourquoi pas, mais à quoi bon si on ne peut pas s'y retrouver dans tout ce joyeux bordel. Pas de panique, les développeurs ont pensé à tout. Prenez donc un peu de votre temps et veuillez appuyer sur la touche L2 pour ouvrir une sorte de menu d'inventaire. Ici vous trouverez tout ce qui vous intéresse, le tout étant regroupé en diverses catégories. La première, Musiques, vous proposera de modifier votre Track List (regroupant une palanquée d'artistes tels Earth Wind & Fire, Iggy Pop, Johnny Cash, LL Cool J, Manu Dibango) pour faire ressortir les morceaux les plus reggae, hip-hop, latino ou directement issus de la B.O. de Scarface. La seconde catégorie, Exotique, sera le passage obligé pour recruter des hommes (pilote de bateau, chauffeur, vendeur d'armes, gros bras, assassin), acheter des véhicules ou des hors-bord, acquérir des meubles ou des objets uniques (juke-box, vidéo projecteur, tigre empaillé, plantes tropicales, statues), pour votre bicoque ou investir dans des entreprises comme Montana records, Montana holdings, Montana fitness... Un autre choix vous proposera de vérifier l'état de votre empire. En plus du pourcentage de territoire conquis dans chacune des quatre zones (Little Havana, Downtown, South beach et North beach) ou du choix de votre prochaine mission, c'est ici que vous verrez comment se portent vos relations avec les flics ou les gangs du coin. D'ailleurs, sachez que vous devrez prendre en compte le cycle jour/nuit pour pouvoir défier les différentes bandes qui revendiquent tel ou tel territoire.
Au bout du compte, si on pouvait craindre le pire concernant ce Scarface, le résultat final n'est pas si mauvais que ça. Si cette adaptation ne s'imposait pas, elle a au moins le mérite de profiter d'une bonne ambiance et d'une réalisation dans la moyenne des productions du genre. Certes, on est loin de la liberté d'action d'un GTA ou de la qualité graphique d'un True Crime, certains oublis déçoivent (l'impossibilité de changer de vêtements quand bon nous semble par exemple) mais le produit livré par Radical a plusieurs atouts dans sa manche. De plus, comme les jeux précités ont déjà fait très fort dans le politiquement incorrect, on ne s'étonne même plus de pouvoir faire les poches d'un dealer qu'on vient de descendre ou d'entendre le mot "fucking" toutes les dix secondes. De même, le fait que les développeurs aient pioché à droite et à gauche (système de dérapages ou de cascades rapportant du mérite, possibilité de jouer sur des machines à sous) ne surprend pas dans le sens où on attend plutôt une véritable évolution du genre grâce au prochain GTA 4. Toutefois, ayez bien en tête que tout comme Le Parrain, Scarface perd de son intérêt si vous ne connaissez pas son pendant cinématographique et ce malgré la charte des possibilités offertes qui est plus ou moins respectée.
- Graphismes11/20
L'aliasing et le clipping à ma droite et une vaste surface de jeu à ma gauche. La modélisation des personnages est moyenne, les textures et effets spéciaux ne valent pas vraiment mieux et on est très loin de la beauté d'un True Crime New York City.
- Jouabilité14/20
La jouabilité ne montre pas de gros problèmes mais le mini-jeu associé à plusieurs situations (intimidation, deal, blanchiment d'argent) souffre d'une sensibilité un brin irritante. L'éventail des possibilités est moins conséquent que celui d'un GTA ou d'un True Crime mais permet au joueur de fonder un empire à grand renfort de pots de vin et de balles fumantes.
- Durée de vie14/20
Comme c'est souvent le cas dans ce genre de jeu, la longévité du titre dépend de votre façon de l'appréhender. Si vous allez à l'essentiel en effectuant uniquement les missions principales, vous en verrez vite le bout alors que si vous désirez tout débloquer, le nombre d'heures pourra être facilement doublé.
- Bande son15/20
Une pléthore d'artistes constituent la bande-son éclectique de Scarface et vous pourrez modifier votre Tracklist pour jouer au son des rythmes latino, hip-hop ou reggae qui vous conviennent le mieux. Le doublage anglais est réussi et ce malgré l'absence d'Al Pacino dans le casting vocal.
- Scénario10/20
Autant dire que l'adaptation de Scarface ne mérite pas vraiment l'oscar du meilleur scénario. Bourré de poncifs et de dialogues se terminant par des "fucking", le jeu vidéo n'atteint à aucun moment la qualité de mise en scène de son modèle. De plus, un Tony Montana de pixels reste un Tony Montana de pixels et ne peut dès lors rivaliser avec son homologue filmique campé par un Al Pacino impérial.
On s'attendait tellement à une adaptation indigne de ce nom que Scarface parvient à nous surprendre. Sans prétendre au titre de meilleur GTA-like, le jeu de Radical Entertainment respecte à la lettre les codes du genre en offrant une vaste surface de jeu où vous pourrez laisser votre perversité s'exprimer. Sans atteindre la puissance évocatrice du long-métrage, ne pouvant éviter quelques écueils légitimes (faible qualité graphique, mini-jeu récurrent mal calibré...), cette incursion dans le monde de Tony Montana a tout de même le mérite de nous confronter une nouvelle fois à une ville tombée sous la coupe du Mal. Reste à savoir si vous souhaiterez l'éradiquer ou en faire partie.