Incompréhensible. Sur le poste de télévision, deux mecs, drapés d'amples peignoirs, rompent un tango agité pour s'ébrouer violemment au sol. La lutte, invisible, imperceptible se poursuit. Il faut rendre au judo cette noblesse - cette imperméabilité pour l'ignorant - qui le rend si attirant et unique. Alors oui, mille fois oui, on attendait le titre de 10Tacle Studios, souligné depuis son annonce comme une solution d'apprentissage par le jeu. Dans la notice : à prescrire au simple joueur (c'est accessible et fun), comme aux jeunes débutants (le Judo de A à Z) comme aux champions régionaux entourés dans leurs ceintures noires (technicité et authenticité). David Douillet Judo contente t-il tout le monde ?
Faisons de votre personne l'abstraction d'un joueur qui ne connaît rien du judo et qui en a limite rien à faire. Il acceptera donc en bloc les règles qui codifient chaque partie de David Douillet Judo. En voici la descripion. Après avoir fait saluer votre judoka, les deux masses se tiennent mutuellement le kimono. Dans les cinq minutes qui suivront le "Hajime" de l'arbitre, cri d'allumage de l'affrontement, il vous faudra placer un ensemble de prises pour obtenir, par ordre d'importance, des Kokas, Yukos, Waza-Aris et Ippons. Vous l'emportez si vous parvenez à placer en une seule prise un Ippon, ou deux Waza-Aris (Waza-Ari Awasete Ippon). Si aucun mouvement n'a mené à ces gratifications, c'est le décompte des points des Kokas (3), Yukos (5) et Waza-Aris (7) au terme des 5 minutes qui départage les deux participants. Des pénalités sont aussi attribués si vous refusez de saluer l'adversaire ou si vous sortez trop longtemps de la zone de combat. La première reverse un Koka à l'opposant, la seconde un Yuko, la troisième un Waza-Ari et la dernière provoque un Hansoku-Make, soit l'élimination directe du fautif. Enfin, le combat s'arrêtera aussi au terme d'une clé d'étranglement, c'est à dire une séquence à terre où un des combattants doit maintenir son homme sous pression jusqu'à ce que celui-ci signale son abandon. Voilà pour ce qui est de l'organisation retenue par 10Tacle Studios pour cette toute première adaptation du judo sur nos machines de jeu. Elle est bien loin de couvrir tout ce que l'on observe normalement pendant un combat, et notre expert se chargera de détailler cela plus loin. En attendant, le simple joueur prend le titre en main avec le tutorial. En fait d'accessibilité, ce long explicatif en 7 étapes est inattaquable. Tandis que David Douillet fait ronronner sa voix de mentor, l'utilisateur se forme complètement, et pourra se lancer sans un seul flottement dans l'un des trois modes de jeu principaux : championnat, carrière et partie rapide, cette dernière permettant aussi le multijoueur.
Dévorer le judoka adverse dans le jeu comme dans la vie peut se mener de diverses manières. Naturellement, vous pouvez prendre l'initiative et déplacer votre adversaire en lançant directement un mouvement. Chaque technique est amorcée par un bouton spécifique. S'ensuit une séquence de combinaisons et il faut valider chaque étape de cette technique par la bonne touche dans un intervalle de temps donné. Il existe pour autant un instant "chaud" pour déclencher le mouvement, le moment idéal. Si vous entrez la commande à un instant proche de ce moment clé, l'attribution des points sera plus conséquente. Dans la même optique, trois types de prises peuvent être menées : par impulsion des bras, du bassin ou des pieds. Cet ordre indique la difficulté, ici décroissante, pour sortir les commandes, puisque les délais d'exécution sont moins importants selon le type de prise. Par contre, une prise par les bras mènera plus aisément au Wazari, voire au Ippon qu'une prise par les pieds. Cette disposition est simplement reprise de diverses manières pour les autres mécaniques de jeu. Et elles ne sont malheureusement pas très nombreuses. On a déjà parlé de la clé d'étranglement, il s'agit simplement d'une séquence de pur rythm games, où une farandole de commandes doivent être entrées rapidement. Les adversaires peuvent aussi lancer des prises ou vous déplacer, ce qui vous place en situation faussement défensive. En réalité, il existe autant de prises adverses que de contres, lesquels réutilisent exactement le même système de partitions de touches à entrer au bon moment. Enfin, chaque mise à terre, chaque prise subie, mine votre sportif et fait descendre sa barre d'endurance. Avec peu d'endurance, le judoka est davantage exposé, les mouvements de son opposant rentrent mieux, bref, les prises adverses remportent davantage de points.
Ainsi établi de manière très fonctionnelle, David Douillet Judo évoque un jeu à actions contextuelles dynamiques, et non pas un jeu de combat. A la manière d'une simulation automobile poussée, il y a une notion importante d'aide de jeu. Les techniques peuvent donc être affichées à l'écran, sous la forme la plus directe qui soit, c'est à dire les boutons de la manette. Un premier cran de réalisme peut être injecté avec la substitution de cette iconographie pour une représentation par partie du corps : pieds, bassin ou bras. Enfin, vous pouvez enlever totalement cet encart et jouer non pas à l'instinct mais en apprenant par coeur les techniques proposées, grâce à un menu séparé, puis les exécuter en suivant un tempo présidé par les animations des joueurs à l'écran. Pour achever l'explication du fonctionnement des prises de combat, le mode carrière vous permettra de les rendre plus puissantes grâce à l'attribution de points d'expérience que vous obtenez à chaque match, perdu comme gagné. Ce sont ces mêmes points que vous pouvez distribuer dans les compétences principales de votre sportif, toujours dans le mode carrière. Et là, problème : après une dizaine de minutes de jeu, il suffit d'augmenter la compétence de l'endurance pour traverser cette carrière sans être jamais freiné. Là où ça coince, c'est que le comportement ordinateur est objectivement anémique. Incapable de multiplier les tentatives, défaillant 3 fois sur 4 au moment d'esquiver ou parer, et assez peu doué pour les clés d'étranglement, il devient ouvertement insultant à force de répéter mollement les mêmes prises et les mêmes déplacements. Il existe 7 de ces mannequins et voir leur bobine à chaque tournoi de votre carrière (une vingtaine, par niveau départemental, régional, national et international) force aussi l'irrespect envers ce mode fantôme que l'on achèvera en trois petites heures.
Pour autant, tout n'est pas à jeter dans ce versant. Quelques actes événementiels face à David Douillet viennent pimenter un peu la progression, tandis que la récolte des points d'expérience pour obtenir le judoka ultime demande tout de même plusieurs heures. Mais ces heures vont être assez ennuyeuses, même si vous jouez à l'aveugle, c'est à dire sans la partition en bas de l'écran. Car, je me répète, les ennemis ne vous "observent" pas. Ils ne retirent rien des rencontres et se font passer par les mêmes prises éternellement. Dès lors, toute technicité est amoindrie et il faudra chercher l'alternative dans le mode championnat en difficulté extrême ou dans des parties rapides à deux joueurs. Avec la première configuration, vous obtenez des adversaires effectivement plus prévenant mais qui, hélas, semblent posséder un seul type de contre : celui qui consiste à vous mettre à terre pour lancer une clé d'étranglement. L'affrontement totalement humain est sans doute le plus beau profil de David Douillet Judo. La simple réactivité d'un ami prouve que c'est tout ce qui manque à l'ordinateur pour offrir quelque chose qui ressemble vraiment à du judo : des esquives en pagailles, beaucoup de déplacements, des rounds d'observation, et de belles prises de part et d'autre. Mais il y a tout de même des points communs entre affrontements solos et multijoueurs qui ne cessent de gratter la conscience du joueur, et principalement de celui qui a passé des heures et des heures à pratiquer dans les dojos.
David Douillet Judo vous met d'abord au défi de mener un combat jusqu'au terme du temps réglementaire. Impossible. En fait, neuf fois sur dix vous sortez un Ippon ou deux Waza-Aris au bout de 30 secondes. Ainsi, deux boutons vous séparent d'un Ura Nage quand trois vous permettent de lancer des Katas Gurumas à la volée. Les spécialistes reconnaîtront que c'est un peu dur à avaler. Le titre de 10Tacle Studios se montre aussi particulièrement fantaisiste quant à l'attribution des points. La barre d'endurance enclave trop le jugement de l'arbitre. Un Ura Nage, qui est tout de même une prise définitive et liée à une prise de risque conséquente, même exécutée avec le parfait tempo, ne vous octroiera rien de mieux qu'un Yuko en début de tournoi, quand les adversaires sont encore frais (puisque tous les judokas gardent leur perte d'endurance d'un match à l'autre en plein tournoi). En contrepartie, cette barre d'endurance se vide trop rapidement. Finalement, votre Ura Nage, que l'adversaire est toujours incapable d'esquiver même après trente humiliations, vous offrira sur un plateau d'argent le Ippon convoité... après 40 secondes de temps de jeu. Mais si cette incohérence, ou d'autres comme la position de départ des judokas, que l'on ne voit que chez les plus débutants, ne rendent pas le jeu foncièrement détestable - seulement plus cash et direct - la vulgarisation de ce sport noble est toutefois dramatique quand on se rend compte que le combat au sol se réduit finalement aux séquences de clés d'étranglement. Il s'agit là d'une grave faute de représentation, qui risque de coûter l'attachement du public de passionnés à 10Tacle Studios. Moins grave, mais tout aussi frustrant, la rapidité avec laquelle vous obtenez vos Dans ne reflète en rien le long parcours sinueux d'un judoka, même professionnel. D'autres légèretés ont été prises mais ne constituent pas de quoi remplir une tribune à scandale. David Douillet Judo, à l'image des petites anecdotes contées par son parrain pendant le tutorial, est un titre un peu trop naïf, pas assez exigeant et trop consensuel. Il aura bien du mal à emporter les puristes et les curieux. Seuls les jeunes débutants, ou ceux qui veulent décrypter le judo par l'amusement ne seront pas sévères avec le titre. Mais ils devront le faire à plusieurs. Cette incursion est cependant sincère. Saluons-la avec enthousiasme !
Je tenais à remercier comme il se doit mon consultant personnel, Pierre "Fula" Michi, récent détenteur d'une belle ceinture noire. Son esprit avisé ne fût pas de trop !
- Graphismes11/20
Le rendu est chiche et peu démonstratif. De la sobriété des environnements au vide despotique qui règne sur les menus, il y a un pas : celui du développement certainement contraint par des moyens limités et une obligation multiplates-formes sur current gen. Le travail sur l'animation, dont on était en droit d'attendre la perfection, est heureusement très satisfaisant, même s'il substitera des confusions dans le coeur des puristes quant à la représentation de certains mouvements.
- Jouabilité9/20
Entre instinctivité d'un rythm game et adversité d'un Virtua Fighter, David Douillet Judo veut se proposer aux connaisseurs comme aux autres. Mais le joueur déconnecté des tatamis regrettera l'absence de résistance de l'adversaire et, de fait, la durée de vie très réduite. Le gourou de ce sport sera rapidement désolé par l'accumulation de vulgarisations, de facilités, voire de graves absences dans le déroulement des rencontres. Mais avec sa perméabilité, et la réussite du multijoueurs, DDJ parvient tout de même à être un pont solide vers la (re)connaissance de ce sport.
- Durée de vie8/20
Le mode carrière n'est déjà pas des plus consistants, mais c'est bien l'incapacité des adversaires à se montrer entreprenants et résistants qui empaille définitivement la notion de challenge. Un degré de difficulté extrême dans la partie championnat est le seul versant solo à éprouver la motivation du joueur, qui aura enfin l'utilité d'apprendre par coeur les prises. En multijoueur, les parties, toujours aussi courtes mais bien plus dynamiques et variées, peuvent être enchaînées sans lassitude. Le très faible nombre de juokas limite considérablement les surprises et les expérimentations.
- Bande son8/20
David Douillet Judo est un titre plutôt silencieux. Une petite ambiance d'accroche pendant l'écran titre fait place à de rares voix : celle de l'ancien champion du Monde, de l'arbitre, des judokas en pleine action et du public. La boucle sonore de ce dernier est bien trop courte et sa répétition une centaine de fois par rencontre exaspère. Il manque chez les sportifs une certaine expressivité qui les aurait rendu moins falots.
- Scénario/
-
Cette évaluation chiffrée est une pondération entre un titre bien trop limité et simpliste, qui a malheureusement poussé la vulgarisation du Judo un peu trop loin, peut-être jusqu'à perdre le public de passionnés qui lui tendait les bras, et un jeu bien calibré pour la découverte du judo, de préférence à deux, et sans aide visuelle. Le regrettable manque de challenge et de contenu le confine cependant à un essai non transformé. Il serait vraiment dommage que 10Tacle Studios en reste là.