Faisant partie des premiers RPG disponibles sur PSone à sa sortie, Suikoden a réellement illuminé la console de Sony par son souci du détail et son système de combat innovant à six personnages. Sa fabuleuse suite, véritable légende du jeu de rôle console, s'est imposée rapidement comme l'un des titres les plus denses jamais conçus, notamment grâce au personnage de Jowy, d'une finesse rare. L'arrivée de la saga sur PS2 n'a pourtant pas réitéré ce tsunami qualitatif en proposant des softs presque sympathiques (Suikoden 3 et Suikoden Tactics), voire relativement moyens (Suikoden 4). Fort heureusement, ce cinquième opus renoue avec ses racines et diffuse un charme old school électrisant. Les 108 étoiles s'apprêtent-elles à resplendir une nouvelle fois ?
Ménageant ses effets, la saga Suikoden s'est toujours tenue à une annonce des évènements douce et presque sensuelle. Chacun des titres de la série met un point d'honneur à proposer un prologue très long, permettant de bien ancrer les personnages et de mettre en branle l'univers supportant vos pas au gré d'une avancée se dynamisant au fil du temps. Néanmoins et à la différence de Suikoden 4, les premiers instants de votre aventure ne s'avèrent pas du tout empreints d'une sorte de vacuité maladive. Bien au contraire. Même si l'entrée en matière vous tiendra en haleine dix bonnes heures, l'ensemble se révèle d'une grande force narrative, par le biais d'un script admirablement bien écrit. Certes, il est aisé de dénicher quelques clichés et des situations un peu prévisibles, mais les évènements s'enchaînent de manière si fluide que ces quelques broutilles disparaissent rapidement, passant de défauts à détails. D'autant qu'à l'image du mythique Suikoden 2, les divers intervenants font preuve d'une réelle profondeur et se fondent donc dans un terreau qui favorise la pousse d'une trame intelligente et épaisse. Chaque individu réagit de manière totalement humaine face aux évènements, incluant bien évidemment les petites caractéristiques qui font de lui un être à part entière. Réussissant le tour de force de s'insérer dans l'histoire en quelques phrases, les personnages principaux contiennent une vie tellement bouillonnante que l'on s'accroche à eux en une poignée de minutes, s'inquiétant pour leur sort et vibrant lors de batailles les mettant en scène. Le soft de Konami réussit parfaitement son rôle de RPG narratif par excellence, à savoir construire son monde, le rendre cohérent et donner à tout cela une existence palpable.
Un travail salvateur a été effectué dans le domaine de l'incrustation du héros dans le scénario. En effet, la série Suikoden possède la particularité de proposer un avatar totalement muet et n'interagissant que par le biais d'un système de question/réponse suivant la situation. Passant pour une sorte de grand naïf psychotique avec ses yeux largement ouverts à longueur de temps, le héros de Suikoden 4 semblait toujours étranger à ce qui se passait et ne représentait pas forcément le chef de guerre attendu. Un écueil contré par la 2D de l'époque des premiers opus qui ne donnait pas l'occasion d'admirer le manque d'implication et laissait donc le joueur faire appel à son imagination. Heureusement, les équipes de Konami ont enfin réussi à dépasser cette lacune et à utiliser les expressions faciales et les mouvements corporels pour faire passer l'émotion. Une idée qui n'exclut pas quelques absences de réactions étranges, tout du moins si l'on prend le héros comme intervenant à part entière et pas comme moyen d'implication du joueur, mais qui réussit à ne pas déstabiliser. Le prince de Faléna réagit donc physiquement à la moindre sollicitation et expose des sentiments relativement riches qui retirent le côté pesant de ces silences auxquels les jeunes RPGistes ne sont plus habitués. Le joueur est également bien plus mis à contribution par des fréquentes requêtes concernant son avis. Sachant qu'une réponse peut parfois avoir de lourdes conséquences, il vaut mieux prendre soin de bien réfléchir à sa réponse, sachant qu'il ne vous est pas impossible de vous montrer parfois cassant afin de rompre avec le protocole royal dont font preuve certaines personnes. Un principe qui a fait ses preuves et qui se montre ici habilement pensé, notamment dans le cas où certaines répliques seront automatiquement validées si vous ne parvenez pas à fixer votre avis, surtout dans l'urgence. Un rapport gameplay/histoire illustrant la gestion de la panique très bien vu, qui suit de près dans sa réussite le côté ludique pur.
Revenant au passionnant système de combat à six guerriers, Suikoden V ne modifie quasiment en rien ce dernier et plonge donc sa main dans la tradition avec une joie enfantine qu'il communique au joueur. Dynamique et reposant sur une stratégie de la prise en compte de la vitesse de chaque individu, ce principe demande, non pas une concentration de tous les instants à l'instar d'un Baten Kaitos, mais une vraie vision de la bataille dans son ensemble. Assez classique dans le fond, l'architecture des combats se base une nouvelle fois sur l'utilisation plus ou moins habile des Runes, l'équivalent "light" des Matérias de Final Fantasy VII. Dans les faits, vous devez équiper ces pierres magiques sur une ou plusieurs des parties du corps de chaque personnage afin d'avoir accès aux sorts qu'elles contiennent. Cette incrustation vous obligera à aller rendre visite à un spécialiste de ces orbes à chaque fois que vous désirerez en équiper ou en retirer une. Il est impératif de bien connaître ses besoins et de concevoir son équipe de manière à obtenir un équilibre sans avoir à revenir au village précédent juste pour changer de rune. Encore une fois, cet aspect rentre pleinement en relation avec le scénario principal mettant en exergue trois pierres particulières (les habituelles True Runes) dont celle très importante du soleil. Toutefois, ces affrontements en petits groupes ne définissent pas la seule et unique manière de prendre les armes. Si une âme de général dort en vous, vous prendrez un immense plaisir à participer aux phases d'affrontement à grande échelle, que ce soit sur terre ou en mer. Opérant un retour en fanfare après les batailles navales en demi-teinte de Suikoden IV, ces passages "tactiques", s'ils sont anecdotiques en soi, permettent de d'enrichir de manière très agréable l'avancée globale du jeu. Répondant à la règle assez simple du pierre-feuille-ciseau, ces derniers apportent une immersion conséquente en donnant l'impression au joueur de participer à des sortes de combats de la dernière chance, ouvertement épiques. Si notre action est au final mineure, les petits rebondissements périodiques, toutefois moins prenants que ceux de Suikoden II, suffisent à motiver la poursuite de ces mêlées.
Vous aurez également l'occasion de participer à des duels répondant à des règles identiques (chifumi). Dans ceux-ci il est vital de bien saisir la suite d'une situation donnée. En effet, à chaque fois que votre adversaire va tenter une attaque, il déclame un phrase particulière. A vous ensuite de la "décoder" et de définir le type de son assaut. Une fois certain de votre choix, il ne vous reste plus qu'à effectuer vous-même un coup particulier. Si cela peut paraître enfantin au premier abord, sachez toutefois que les mots de votre opposant changent assez régulièrement et qu'il est souvent peu aisé de choisir avec sagesse une option dans l'urgence. Très dynamiques et renvoyant aux films de cape et d'épée des années 60, ces phases s'inscrivent fort bien dans le flot du jeu. Hors du champ de bataille sanglant, vos fiers guerriers bénéficieront d'un système d'évolution classique mais très ingénieux, reposant sur l'obtention de points d'XP évidemment, mais également de Points de Compétence (PC). En rapport direct avec les capacités personnelles des intervenants, ces PC permettent de faire croître ces mêmes capacités afin d'en augmenter la puissance, en utilisant les services d'entraînement physique et magique disponibles dans la majeure partie des villes. Chaque personnage en possède deux et vous pouvez à tout moment choisir de les remplacer au gré de vos besoins. Vous aurez le choix parmi une liste assez complète, allant d'une augmentation de l'attaque à la possibilité de réduire le temps d'invocation en passant par l'amélioration des contre-attaques. Une liberté qui se goûte avec plaisir, alliant simplicité et efficacité. Dans le même registre, vous pourrez comme d'habitude augmenter le niveau de vos armes chez le forgeron, voire même créer vos propres globes (runes) en mélangeant des parchemins magiques ou en associant les morceaux épars de ces orbes.
Mais le plus hypnotisant reste bien entendu la célèbre quête des 108 étoiles de la destinée, symbolisée par divers individus que vous pourrez inclure dans votre équipe, que ce soit en tant que personnages jouables ou en tant que guerriers de soutien, diffusant leur aide automatiquement, sans prendre part aux pugilats directement. Un firmament qu'atteint pratiquement ce cinquième épisode de la saga Suikoden, surpassant sur tous les points son prédécesseur. Se rapprochant plus que jamais du second opus en terme qualitatif, le titre de Konami affiche des atouts on ne peut plus probants. Disposant d'une trame dense et intelligente, d'un environnement musical de qualité et d'un classicisme aux contours fermes et inattaquables, il pèche simplement par sa sobriété graphique et son manque de rythme lors de premières heures de jeu, qui pourront laisser de nombreuses personnes au bord de la route. Mais ceux qui oseront gratter cette croûte austère découvriront un très bon RPG, tout simplement.
- Graphismes13/20
Si plastiquement le titre de Konami accuse au moins trois années de retard bien pesées, il compense cette faiblesse évidente par des atouts de choix. En effet, mettant le doigt sur l'animation des personnages durant les cut-scenes et surtout sur les expressions faciales, le titre donne une vie à ces individus de pixels. Ils semblent accuser leur poids, leur rang, leur stature avec un réalisme prenant, voire parfois émouvant. Vient s'ajouter à cela un chara-design de haute volée proposant des personnages très charismatiques et des héros qui en imposent.
- Jouabilité15/20
Réutilisant des bases tombées pratiquement dans l'inconscient collectif, le gameplay parvient tout de même à conquérir le joueur très rapidement, notamment grâce à un aspect "stratégique" misant tout sur la gestion du temps d'action des personnages. De plus, la présence des duels et des batailles navales autant que terrestres apporte une variété salvatrice qui distingue encore une fois le représentant de la série Suikoden. A noter par contre quelques petits problèmes d'angles de vue lors des périples en ville.
- Durée de vie16/20
Lorgnant vers la quarantaine d'heures de jeu, Suikoden V, malgré une longue mise en place des évènements, ne perd jamais son rythme et avance de surprise en surprise, de rebondissement en rebondissement, entraînant le joueur avec lui. On ne s'ennuie donc que rarement dans ce titre, et si malheureusement vous ressentiez le besoin de vous évader davantage, la quête des 108 étoiles devrait vous convenir aisément. La présence de mini-jeux permet d'accentuer encore un peu la durée de vie.
- Bande son15/20
Si certains morceaux, notamment ceux des premières villes rencontrées, ont tendance à rapidement tourner en boucle et à donner parfois envie de sortir de l'enceinte de ces cités, la qualité sonore évolue très bien par la suite. Mixant des sonorités asiatiques traditionnelles, des mélodies assez profondes et des morceaux emphatiques s'adaptant on ne peut mieux aux moments importants, la bande sonore joue un rôle non négligeable dans l'intérêt porté au jeu. Le doublage reste dans le haut du panier.
- Scénario16/20
Prenant son temps pour mettre en place les évènements et pour construire l'univers, la trame de Suikoden V laisse décanter l'intérêt jusqu'à l'extrême limite. Semblant comprendre le joueur, le soft laisse éclater sa qualité juste au bon moment, faisant démarrer l'histoire sur les chapeaux de roue en quelques minutes seulement. Brassant des personnages profonds, dont un jeune homme charismatique relativement fourbe mettant en action des plans d'un machiavélisme fascinant, le titre sait comment retenir son public et parvient à renverser des situations de manière crédible et immersive.
Après un épisode IV assez moyen malgré des qualités évidentes, Suikoden V vient apposer son sceau sur la PS2 et montrer à ses fiers prédécesseurs que la relève est arrivée. N'atteignant pas encore la qualité du second opus, le titre de Konami se place néanmoins dans le giron des meilleurs RPG de cette rentrée, mêlant un scénario riche, un gameplay attirant et un univers passionnant. De plus et malgré ses lourds problèmes graphiques et son aspect narratif très poussé qui pourra déplaire à certains, son prix de vente ne peut qu'orienter votre décision. Et de toute façon pourquoi refuser un bon RPG ?