L'une des séries emblématiques du jeu d'aventure revient sur le devant de la scène avec une nouvelle histoire uniquement dédiée aux joueurs PC. Après deux excellents premiers épisodes et un troisième volet largement en dessous, comment se porte aujourd'hui ce bon vieux George Stobbart ? Pas trop crevé après dix ans de prépipéties vidéoludiques ?
Tout le monde a un don. Chez certains, ce don sera plus ou moins évident à déceler, mais nous avons tous quelque chose qui nous distingue de notre voisin, vous pouvez me croire. Tenez moi, par exemple, mon don c'est de terminer des bols entiers de cacahuètes en moins de temps qu'il ne faut pour les remplir. Impressionnant n'est ce pas ? George Stobbart, lui, a le don de se mettre dans des situations pas possibles. Un peu comme si nager dans la mouise était un besoin vital pour lui. Depuis le premier épisode des Chevaliers de Baphomet, jusqu'à ce quatrième volet, ce cher George semble attirer les ennuis comme un Quick peut attirer les McDo. Cette fois, c'est par l'intermédiaire d'une charmante jeune femme que les problèmes arrivent. Elle s'appelle Anna-Maria, elle est blonde, plutôt jolie, et implore George de l'aider à se débarrasser des mafieux qui la poursuivent. Ah oui, elle aurait aussi en sa possession un manuscrit qui mènerait à un immense trésor, si tant est que quelqu'un parvienne à le déchiffrer, cela va de soi. Voilà donc George contraint de quitter son trop paisible bureau de cautionnement new-yorkais pour repartir à l'aventure, et tout ça, pour les beaux yeux d'une inconnue.
Tout d'abord, mea culpa encore une fois pour l'appréciation faussée du Manuscrit de Voynich, le précédent épisode. Infectées par de gros soucis de gameplay, par une surabondance d'insupportables énigmes à base de caisses à pousser, par plusieurs bugs aussi, et surtout par une histoire inintéressante au possible, les troisièmes aventures de Stobbart ont été largement sur notées dans nos colonnes. Charles Cecil, le créateur de la série, nous l'a d'ailleurs confié récemment, ce n'était pas un bon volet et il en assume pleinement la responsabilité. Voilà donc pour les excuses. Retour au présent et aux Gardiens Du Temple De Salomon, quatrième segment en date de l'univers Baphomet. Pour cette suite, pas question de répéter les erreurs du passé. Exit donc les pseudos séquences d'action, George est le roi de l'aventure, pas de la plate-forme. Même s'il lui faudra encore jouer les acrobates sur des balcons ou des échafaudages, il n'est plus question d'avoir à le faire sauter partout telle une chèvre irlandaise surexcitée.
Pour cela, la jouabilité s'est vue dégraissée et rétablie à du bon vieux point and click comme on les aime. Concrètement, vous passerez toute l'aventure souris en main à cliquer partout pour diriger George et le faire interagir avec son environnement. La maniabilité est plutôt simple à aborder. Un clic droit pour ouvrir une petite bulle rassemblant les diverses actions possibles à cet endroit précis (examiner, prendre, pousser, parler...), un clic gauche pour confirmer le geste ou se déplacer. Dit comme ça, tout paraît évident, pourtant ce n'est pas si simple. La faute à la représentation 3D qui impose des plans de caméra pas toujours optimaux desquels découle une imprécision générale tout au long du jeu. Se mouvoir dans les espaces exigus (tels que les cages d'escaliers) devient alors un vrai calvaire. Même chose lorsqu'il faut sortir d'une pièce et que la caméra ne fait qu'esquisser le cadre de la porte. Cela dit, la maniabilité réserve tout de même une bonne surprise, puisqu'il suffit de laisser le bouton de la souris enfoncé et de balader ensuite le curseur à l'écran pour que George nous suive sans broncher. Cette technique nous évite ainsi la foire aux clics et se montre salvatrice dans bien des situations.
Revenons quelques instants sur la représentation 3D. Les historiens de la série Baphomet se souviennent sans doute avec émotion de l'incroyable richesse des décors visités dans les deux premiers volets. Débordant littéralement de détails, chaque écran était un délice pour les yeux, entraînant le joueur dans un vrai dessin animé, riche et coloré. En répondant aux sirènes de la troisième dimension, la série a certes de plus grandes ambitions cinématographiques avec justement des plans de caméra plus audacieux (quoique, ce point reste encore discutable) mais elle se voit en revanche dénuée de ce qui faisait l'une de ses grandes forces : une qualité visuelle irréprochable. Effectivement, on ne rentre pas autant de détails dans un décor 3D qu'un décor 2D. Alors qu'il suffit de peindre un objet sur une planche bidimensionnelle, il faut carrément le modéliser dès lors que l'on souhaite ajouter de la profondeur. Pas facile du coup d'offrir des décors aussi étoffés que dans les deux premiers jeux. Indéniablement plus joli que Le Manuscrit De Voynich, Les Gardiens Du Temple De Salomon n'est pourtant pas une franche réussite sur le plan visuel. Les environnements paraissent en effet bien vides. On sent que des efforts ont été réalisés pour les garnir au maximum, mais cela ne suffit pas à les rendre aussi vivants qu'espéré. C'est comme si chaque endroit ne comportait que les objets importants, ceux qui vous serviront à avancer. J'exagère, bien sûr, mais l'idée est là.
Les personnages s'en sortent un peu mieux, malgré des animations parfois trop raides et des coiffures horribles - pour certains, on a l'impression que les cheveux lévitent au-dessus du crâne, c'est limite craignos. Dotés d'une palette d'expressions faciales assez large, ce sont surtout leurs voix qui leur donneront vie. Le doublage est à ce titre de bonne qualité avec toujours pour George ce fameux accent américain qu'il trimballe partout. Cela dit, l'audio n'est pas dénué de reproches non plus. Il y en a un en particulier qui nuit grandement à l'immersion et qui fait que l'on entend par moments un personnage parler avec la voix d'un autre. Amusant la première fois, ça l'est beaucoup moins lorsque l'on se rend compte que ce problème arrive à plusieurs reprises durant le jeu, allant même jusqu'à gâcher en partie le scénario. En effet, l'intro nous fait très clairement entendre la voix de George tandis que celui-ci découvre un important artefact trois ans avant le vrai point de départ du jeu. Précision : on ne voit pas George, on ne fait que l'entendre. Pendant toute l'aventure, on attend alors que le scénario apporte des éclaircissements à cette scène et nous explique ce que Stobbart cherchait à ce moment-là. Mais non, jamais le jeu ne reviendra sur ce passage. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce n'est pas George qui prononce cette phrase, mais une autre personne dont on ne connaîtra jamais vraiment l'identité (à moins de commencer le jeu dans une autre langue, puisque seule la version française semble souffrir de ce "bug"). Si mes explications semblent obscures à certains, je vous renvoie vers notre section "Vidéos" où ce problème est mis en lumière dans un Gaming Live approprié.
Pour autant, et malgré l'accumulation de défauts énumérés ci-dessus, Les Chevaliers de Baphomet 4 n'est pas un mauvais jeu. Il parvient même à mériter toute notre attention une fois plongé dans l'enquête. Le scénario est effectivement intéressant - on y parle de trésor, de conspiration et de... Moïse - et nous abreuve régulièrement de dialogues exquis. Réputé pour son humour sarcastique, George ne se gêne pas pour chatouiller nos zygomatiques à la moindre occasion. Par exemple, alors qu'il visite une fabrique d'hosties, il demandera aux Soeurs si elles se servent du four à hosties pour cuire des pizzas. Pour les autres lieux à explorer, sachez que le jeu nous fera voyager d'une fabrique de salamis new-yorkaise au Palais de Topkapi en Turquie puis du Vatican au désert de Phoenix, en Arizona. On va donc voir du pays, conformément à la charte de la série. En parlant de charte, vous vous demandez sans doute ce qu'il en est de Nico, la fidèle acolyte de George. Je ne pense pas trahir le secret en indiquant que la charmante journaliste est bien présente dans l'aventure, mais il faudra être patient avant de l'apercevoir...
Question difficulté, enfin, ce nouveau Baphomet fait dans le traditionnel en mêlant de la collecte d'objets à des énigmes de pure logique. Plutôt simple (à part une énigme de boucliers incompréhensible, et à laquelle il faudra vous en remettre au hasard le plus total), le jeu ne nous retient jamais bloqués très longtemps. De toute manière, il suffit généralement d'essayer un à un les objets de son inventaire pour se tirer d'une situation donnée. Et puisque Baphomet 4 ne s'éparpille pas vraiment et enchaîne les problèmes les uns à la suite des autres, l'avancement dans l'histoire va assez vite. Trop vite même car la fin arrive un poil abruptement au point de se demander s'il ne manque pas une dernière cinématique pour clore l'histoire. C'est en tout cas ce qu'il m'a semblé. Mais peut-être est-ce juste là le sentiment d'un joueur qui en voulait encore plus, signe que, malgré tous ses défauts, le jeu lui a quand même bien plu.
- Graphismes12/20
Très inégal tout au long de l'aventure, le jeu semble peiner pour retrouver l'excellence graphique de ses débuts. Vides, les décors manquent réellement de vie. Les personnages s'en tirent mieux même s'ils manquent tous cruellement de naturel. Ca manque de souplesse tout ça !
- Jouabilité14/20
Sans forcément revenir sur les petites imprécisions liées aux plans de caméra, on retiendra surtout le retour du "tout à la souris", efficace et bien plus confortable pour apprécier un jeu d'aventure.
- Durée de vie15/20
Le niveau de difficulté se montre plus ou moins égal aux deux premiers épisodes. On vous demandera donc de faire marcher votre "logique" pour trouver le bon objet à utiliser au bon endroit. On trouve aussi des séquences de piratages informatiques qui prennent la forme de petits casse-tête plutôt amusants à résoudre. Le tout vous demandera entre quinze et vingt heures d'effort pour arriver à la fin.
- Bande son13/20
Au niveau de la musique, rien à dire. Conformément à la charte de la série, la partition est délicieuse, apportant juste ce qu'il faut de soutien à chaque action importante. Le doublage pose quant à lui plus de problèmes. Si les voix sont plutôt bonnes et le casting bien choisi, de graves problèmes nuisent à l'immersion. En effet, on entend à plusieurs reprises, un personnage parler avec la voix d'un autre.
- Scénario14/20
L'histoire s'intègre parfaitement à la mythologie de Baphomet. Les Templiers y sont évoqués, ainsi que les croyances anciennes liées à leur formidable trésor. Par certains côtés, on pourrait donc qualifier cet épisode de retour aux sources. Cela dit, l'intrigue n'est pas toujours bien menée et quelques problèmes de narration se font sentir. On se demande notamment s'il ne manque pas un morceau à la toute fin du jeu...
Avec une histoire et des énigmes plus intéressantes, Les Gardiens Du Temple de Salomon rattrape largement l'impression mitigée laissée par le précédent épisode. Grâce à son humour et à ses situations décalées, on prend donc du plaisir à progresser dans le jeu et à se demander quelle sera la prochaine trouvaille de George pour se tirer de ses nombreuses situations improbables. Pour autant, le titre n'est pas dénué de défauts (techniques et narratifs) qu'il faudra corriger au prochain essai si la série veut renouer avec sa gloire passée.