Dans les étendues sauvages de collines pelées et poussiéreuses, le moindre coup de feu résonne comme une sorte de tonnerre macabre, le hurlement strident d'un quelconque monstre légendaire. Mais là où la populace ne ressent qu'une crainte diffuse, les mercenaires, hors-la-loi et autres hommes armés ne daignent même pas dresser l'oreille. Ce n'est qu'un souffle d'air inhabituel, un son commun, banal, qui n'éveille plus aucun sentiment en eux. C'est pourtant comme cela que tout a commencé dans un paisible village. Un pistolet, un mort, une cavale. Si cela pourrait être le titre d'un mauvais western, il est néanmoins le résumé de la déchéance de Billy la Bougie et du révérend Ray. Tous deux bravent la loi à l'ouest du Pecos.
Dans le monde assez peu représenté des FPS à haute teneur en western, un étranger arrive en claquant des éperons. Profitant de cette niche où il est de fait aisé de se faire une place, Call Of Juarez vient juste après un fort ancien Outlaws, célèbre pour ses massacres de poules en série. Sans éloigner ce dernier des confins de la ville à grands renforts de goudron et de plumes, Call Of Juarez joue tout de même dans une autre cour, notamment au niveau du travail sur l'ambiance. Scripté de manière totalement assumée et n'essayant jamais de le masquer sous de quelconques artifices, le soft semble animé par la volonté profonde et louable de dispenser au joueur une véritable expérience cinématographique. Ménageant ses effets et ne sombrant jamais dans un trop-plein d'admiration pour ses inspirations descendant en ligne droite des longs-métrages de Sergio Leone, il parvient à donner un cadre moins grandiloquent à la notion de western et change ouvertement de cible, comparé à des titres comme GUN ou Red Dead Revolver. Ceux-ci cherchaient en effet davantage à se rapprocher de la notion convenue du Far West comblé de grands espaces et de canyon interminables. Il est peu aisé de passer après John Ford et sa science du panorama pratiquement infini sans tomber dans une petite caricature. Call Of Juarez évite donc cet écueil en offrant des décors assez variés, alternant entre des endroits confinés et des collines plus aérées, peuplées de crotales et de coyotes. Toutefois, même à l'extérieur, vous ressentirez un certain cloisonnement, notamment à cause d'une absence de réelle notion d'espace. En fait, vous trouverez pratiquement tout le temps une paroi pour venir boucher votre vision ou un léger brouillard trahissant le manque de profondeur de champ. Un parti pris qui ne serait sujet à aucune remarque si seulement les personnages étaient parvenus à acquérir plus de profondeur. Car, lorsqu'on ne ressent pas de notion de liberté, la tendance logique est de se tourner vers ce qu'il reste, à savoir les protagonistes.
En effet, à la différence des westerns de Sergio Leone ou plus récemment de Clint Eastwood, dans lesquels la part humaine est la base du scénario et le ciment du film, Call Of Juarez puise dans les clichés pour nous ressortir une nouvelle fois l'homme d'église extrémiste et le jeune aventurier pré-pubère en fuite après un meurtre qu'il n'a pas commis. Si ces deux-là parviennent après de longues heures à illuminer un tant soit peu de ce tableau d'époque, les intervenants secondaires sont désespérément transparents. Les divers bandits rencontrés alignent les phrases toutes faites et manquent singulièrement d'une réelle personnalité, d'un petit détail capable de les rendre uniques et dignes d'attention. L'implication générale en souffre vraiment et trouve son salut principalement dans l'atmosphère terriblement prenante que diffuse le soft. Parcourir les rivières de montagnes tumultueuses, prendre le temps de profiter de l'ombre sur une corniche avant de descendre dans la poussière d'une pente pistolets aux poings. De multiples saynètes auxquelles on participe avec plaisir, jouant tour à tour son rôle de proie faiblarde ou de justicier implacable. Malheureusement, ce sentiment fort et quasi sauvage d'être perdu dans l'environnement hostile des Etats-Unis du milieu du 19ème siècle est terni par une absence dommageable de liberté. Vous n'aurez que très rarement l'occasion de dévier de votre chemin préétabli, malgré cette nature dense, généreuse qui ne cesse de vous appeler à partir dans une sorte d'aventure solitaire. Un déséquilibre se forme donc entre les "promesses" du jeu et les possibilités qui en découlent, portant le doux nom de frustration.
Heureusement, le gameplay ne tarde pas à venir au secours de cet écueil, secondé par une construction certes très classique, mais assez habile du jeu. Dans les faits, les mécanismes ludiques changent suivant le personnage que vous dirigez faisant de chacun une "expérience" unique. Billy, en premier lieu, est un individu assez pâle (au niveau de la densité et du charisme) et possède une approche dynamique, voire acrobatique. En effet, il est le seul à pouvoir grimper sur des saillies rocheuses et à avoir la capacité de se balancer sur des branches grâce à son fouet. Il va donc sans dire que le titre suit la voie tortueuse des FPS avec des vrais bouts de plates-formes dedans, qui sont d'ailleurs le plus souvent synonymes de crises de nerfs. Billy prend donc ce risque et subit de plein fouet quelques problèmes de précision. Car si les phases le mettant en scène restent plus "fines", davantage basées sur l'infiltration et l'utilisation de l'environnement, cela ne leur retire pas pour autant un côté perfectible. Il est effectivement assez désagréable de subir les foudres d'une I.A très limitée, réagissant de manière peu cohérente et ne permettant du coup pas vraiment de gérer convenablement ses phases d'infiltration. De plus, l'aspect tatillon des passages nécessitant de se servir de son fouet pour passer au-dessus de précipices annule le côté aventurier de la chose. Il vous faudra en effet viser la moindre branche de manière millimétrée, ce qui coupe l'action et l'ampute de son rythme. Et comme si cela ne suffisait pas, vous devrez passer de longues minutes à tenter de distinguer l'endroit où vous allez atterrir tant le calcul de la distance d'un saut une fois accroché est problématique. Pourtant, ces instants passés avec le jeune garçon sont les seuls où l'on ressent une sorte d'évasion aérée.
Le révérend, lui, dispose d'une orientation beaucoup plus violente, dans le sens où vous aurez rarement l'occasion de faire autre chose qu'aligner des corps sans vie dans la continuité de votre chargeur. Sorte de croisement entre Don Lope de Aguirre dans le film "Aguirre, La Colère de Dieu" de Werner Herzog et le héros de "Pale Rider" de Clint Eastwood, Ray est, selon ses dires, le bras droit de Dieu. En tout cas, son maniement des armes à feu le rend impitoyable et apporte une sorte de souffle épique dans un gameplay somme toute classique. Une personnalité certes vide, mais suffisamment imposante et charismatique pour susciter cet élan. D'autant que ce pasteur défroqué maîtrise deux techniques très sympathiques, à savoir un tir au ralenti permettant durant quelques secondes de viser avec une précision diabolique et la capacité de se servir du chien de son six-coups pour faire feu deux fois plus rapidement que n'importe qui. Une ode à la destruction donc, qui trouve ses limites dans l'architecture bien trop convenue des épisodes incluant l'homme à l'armure de conquistador. Ne pouvant pas accéder à des buttes de plus de 1 mètre de haut, ce dernier n'a donc d'autre choix que de faire des détours plus que synthétiques, dévoilant de manière évidente les rouages du soft. Malgré tout, la folie furieuse de ce personnage, sa force palpable et l'intensité des scènes le mettant en avant donnent une dimension supplémentaire à sa présence. Il agit vraiment comme une pause un peu bête et sucrée entre les phases plus arrêtées de Billy, offrant des montées d'adrénaline salvatrices. Car le soft a souvent besoin de coups de fouet pour rester dans la course.
Très classique dans sa forme, Call Of Juarez ne parvient jamais vraiment à surprendre, tout en restant correct dans ses acquis. Pourtant, il est fatigant de se retrouver encore une fois devant des lieux communs comme l'utilisation maladroite de l'aspect plate-forme alourdissant le gameplay ou le peu d'inventivité en ce qui concerne les possibilités d'action des deux héros. D'autre part, le thème du western comporte suffisamment de variations et de profondeur pour y puiser une certaine originalité. Il est alors dommage de se contenter d'un survol psychologique et d'une ambiance qui, si elle est excellente, manque d'épaisseur et d'une vraie singularité. Cependant, le titre de Techland parvient à se hisser hors du gouffre grâce à quelques passages, évidemment scriptés mais prenants, et surtout par l'apport de bonnes idées honnêtes et intéressantes. Notamment le principe du duel qui reste une expérience d'une rare intelligence. Le fait de considérer la souris elle-même comme l'arme est une trouvaille fantastique, plaçant le joueur dans une position quasi analogue à celle d'un tireur prêt à faire feu, effleurant à peine son outil de mort. Au final, Call Of Juarez est un titre de bonne qualité, mais plutôt décevant dans son déroulement et ses mécanismes de jeu. En espérant un second opus plus dense et profond dans un futur proche.
- Graphismes15/20
Malgré son univers attachant et ses grands espaces boisés, Call Of Juarez subit un problème de déséquilibre au niveau de sa réalisation technique pure. En effet, autant les visages demeurent de qualité, disposant d'un grain de peau réaliste, autant certaines textures laissent un peu à désirer. Preuve en est l'environnement global, qui propose des végétaux et des rochers très crédibles, mais des flancs de collines assez grossiers. De plus, le côté un peu trop lisse de l'ensemble donne un aspect décor synthétique à certains panoramas. Toutefois l'ensemble reste très immersif.
- Jouabilité12/20
Proposant de bonnes idées par petits paquets, le titre de Techland tente par tous les moyens de divertir le joueur sans y parvenir totalement. Faisant le choix de mettre en place deux gameplays différents, modifiant à chaque fois l'approche ludique du joueur, il bute malheureusement sur un point commun à chacun, le côté plate-forme. Obligeant à des sauts imprécis à de nombreuses reprises, le soft semble ne pas se retrouver dans ce choix et perd également le joueur. Malgré des apports intéressants, le peu d'évolution des capacités ne motive pas à s'impliquer.
- Durée de vie14/20
L'aventure principale est assez courte, se tenant dans l'éventail habituel des FPS, mais vous forcera à recommencer de nombreuses fois certains passages uniquement basés sur de la plate-forme pure et dure. A côté de cela, le mode multi reste assez sympathique, même si son choix de types d'"épreuves" demeure assez limité et fort classique, offrant des dérivations thématiques au Deatmatch et au CTF. A noter l'absence de respawn, qui peut se montrer problématique suivant la durée des manches.
- Bande son13/20
Les différents thèmes restent assez convenus, malgré quelques envolées fameuses, notamment lors des affrontements. Si la couleur de ces morceaux reste dans le spectre du western, ces derniers sont tout de même un peu fades et ne réussissent pas à poser véritablement une ambiance. Le doublage est quant à lui globalement réussi, même si Billy semble extérieur à ce qui se déroule sous ses yeux. Le révérend Ray est bien plus convaincant dans son rôle de purificateur fou.
- Scénario12/20
Se basant sur une histoire assez classique qui aurait pu être le scénario d'un western de série B, Call of Juarez tient toutefois en haleine notamment grâce à l'ingénieuse idée de la course-poursuite, voire de la traque, entre le révérend et Billy. Les destins se croisent et se recroisent dans un ballet agréable. Les personnages en revanche sont des clichés vivants auxquels on ne s'attache pas vraiment.
Faisant partie des rares FPS essayant de changer de registre en quittant le triptyque Seconde Guerre Mondiale, science-fiction, fantastique, Call Of Juarez avait tout pour plaire. Une ambiance western détonnante, une réalisation convenable, un vrai caractère qui malheureusement s'effacent un peu devant certains écueils difficilement oubliables en tant que joueur. Peu précis dans ses très (trop) nombreuses phases de sauts, assez maladroit dans sa construction et celle de ses personnages et surtout trop dirigiste, le titre de Techland déçoit. Néanmoins, loin d'être un mauvais jeu, il mérite d'être parcouru simplement pour son atmosphère.