"Lookin' back, on the track, for a little green bag..." Quelques mots posés sur une ligne de basse irrésistible, 6 truands en costard et lunettes de soleil déambulant au ralenti, voilà comment on peut marquer à vie des millions d'hommes qui ralentissent le pas et se recoiffent au milieu du rayon lessive quand le fameux morceau est diffusée au supermarché. Reservoir Dogs, ça n'est pas seulement une oreille tranchée, c'est aussi le Super Sound of the 70's.
Sans se lancer sur un terrain qui n'est pas notre sujet, force est de rappeler la qualité du film Reservoir Dogs pour bien comprendre à quel point il est audacieux, pour ne pas dire inconsidéré, d'en faire un jeu vidéo. Huis clos oppressant bien plus orienté vers les dialogues que l'action, en dépit de sa violence, le film de Tarantino laisse volontairement planer le doute sur le déroulement du braquage qui a conduit à l'escalade de violence physique et psychologique à laquelle on assiste dans l'entrepôt. Des scènes suggérées qu'Eidos a décidé de qualifier de manquantes, souhaitant alors concevoir le jeu comme le complément indispensable du film. Que s'est-il passé exactement ? Comment et où Mister Pink a-t-il caché les diamants ? Comment Mister Blonde s'est retrouvé avec un flic dans son coffre ? Etc. Pari osé, discutable aussi, que Tarantino n'a d'ailleurs pas soutenu d'un pouce et qui rencontre un premier problème, seul Micheal Madsen (Mister Blonde) a donné sa voix et son image (faut le savoir) au jeu, pour les autres, on fera sans et avec des modèles de personnages anti-charismatiques au possible.
Car, n'y allons pas par 4 chemins, prenons plutôt l'hélicoptère pour aller droit au but, si vous attendez de Reservoir Dogs, le jeu, un complément au film, vous risquez la déception. Certes, de nombreuses scènes du film ont été retranscrites afin de servir d'introduction au flash-back faisant office d'action, mais le rendu au final n'a rien de satisfaisant. La mise en scène poussive et l'obscurité de l'action n'ont que peu de choses à voir avec le film. A ce titre, seule la bande-son nous remet vraiment dans l'ambiance puisque l'on retrouve la fabuleuse B.O. de Tarantino et un bon nombre des dialogues du film.
Tout comme EA a fait du Parrain un jeu d'action au dam de Coppola, Eidos à fait de Reservoir Dogs un gros jeu d'action complètement bancal. La meilleure partie du gameplay du jeu réside sans doute dans ses brèves phases de conduite. Simplistes, elles consistent systématiquement à rejoindre un point donné dans le temps imparti et n'ont en vérité rien de très passionnant, mais voilà, c'est un fait, c'est la meilleure partie. Le reste prend la forme d'un jeu de tir à la troisième personne des plus médiocres au cours duquel on incarnera tour à tour les membres de cette bande malchanceuse, tantôt fuyant les lieux du crime, tantôt partant planquer la marchandise. Le gameplay offert propose de tirer parti des otages et du contrôle de ce qu'on appellera "la foule". En s'emparant d'un otage, vous avez la possibilité de vous débarrasser des gêneurs. Un simple garde de la sécurité posera immédiatement son arme, alors qu'un agent de police devra être convaincu de façon plus persuasive, par exemple en collant un taquet à l'otage. Une fois les forces de l'ordre désarmées, on peut à loisir les locker et les déplacer à volonté jusqu'à les coller contre un mur. Oui, si vous les laissez en plants, ils reprennent leurs armes par contre si vous les envoyez face contre un mur, ils ne mouftent plus. Je sais, sûrement un truc qu'on apprend dans la police. Seuls les membres du SWAT n'hésiteront pas à vous contourner pour vous faire la peau par derrière.
Bon, le coup de la prise d'otage, on ne peut pas dire que ce soit révolutionnaire, sympathique, oui, révolutionnaire non. Et de là à en faire la moitié d'un gameplay, il y a une marge. L'intérêt de la chose étant des plus discutables tant il est laborieux de se trimballer en permanence avec un type dans les bras. Evidemment, il reste la solution du rentre-dedans, du bon shoot à l'ancienne. Erreur fatale, c'est pire encore. Tout est là pour rendre le jeu repoussant. L'IA est à mourir de rire, moins réactive qu'une moule qui a au moins le réflexe de se fermer pour se protéger du danger. L'exercice du tir est un calvaire avec une zone de dispersion des balles qui donne à croire qu'on fait feu à blanc. Quant à la résistance des ennemis, elle fait trembler à l'idée qu'un être humain puisse avoir une boîte crânienne assez résistante pour encaisser 3 balles dans le front avant de commencer à bien vouloir se fendiller. Et dans la série "pourquoi faire du cohérent quand on peut faire du débile", on ajoutera que civils et forces de l'ordre déclenchent fréquemment des alarmes lorsqu'ils vous repèrent. Ce qui peut se comprendre dans la bijouterie ou dans un centre commercial, passe en revanche nettement moins bien dans les bâtiments désaffectés d'une gare inutilisée. Mais quelle que soit la méthode que vous choisirez, de toutes façons, d'un niveau à l'autre, seul le décor change, et l'ennui perdure.
A noter toutefois le recours à une jauge d'adrénaline à remplir en tirant ou en menaçant des civils, une fois pleine, elle vous donnera accès à un état de rage classique, bullet time et angle de caméra assurant le spectacle. Que dire de plus, si ce n'est que malgré quelques efforts de présentation pour conserver l'esthétique du film, la bande des hommes au nom de couleurs ressemble plus à une troupe de pochards pointant devant le Bar du Commerce qu'au fantasme masculin qui a fait vendre des quintaux de costumes noirs. Avec une réalisation tout juste décente, Reservoir Dogs, le jeu, n'a sans doute qu'une seule réelle qualité : donner envie de revoir Reservoir Dogs, le film.
- Graphismes7/20
La réalisation est particulièrement fadasse avec des modèles grossiers, des textures moches, des effets de lumières gérés à l'emporte-pièce. La version PC n'est qu'un simple "copier-coller" de la version PS2. Le support n'est pas du tout exploité.
- Jouabilité7/20
La prise en mains est rapide et force est de reconnaître que le système de gestion de la foule n'est pas bête, mais certainement pas suffisant pour composer une moitié de jeu. Vu la qualité de ce qui reste, on passe son chemin.
- Durée de vie8/20
Avec ses 15 chapitres, le titre vous tiendra à peine 8 heures, et encore, sans trop presser le pas.
- Bande son16/20
Le seul vrai point fort du jeu, sa bande-son. Celle du film reste mythique, on la retrouve ici dans son intégralité. Les dialogues, s'ils ne sont pas assurés par les acteurs originaux, hormis Micheal Madsen (Mr Blonde) sont très corrects. Dommage cependant que la musique n'intervienne que très rarement.
- Scénario10/20
Le jeu reprend certaines scènes du film afin d'introduire les "scènes manquantes" mais le collage est franchement brouillon et jamais on a le sentiment d'apprendre quoi que ce soit. Il y a de l'orgueil mal placé dans ce scénario.
Avoir conçu un système de gestion de la foule, c'est bien, mais dans n'importe quel autre jeu cela n'aurait constitué qu'une possibilité du gameplay, ici, on essaie de nous vendre ça comme son coeur. L'autre solution consistant en un run'n gun non seulement squelettique dans sa structure, mais bourré de défauts qu'on digère mal. Ultra répétitif, Reservoir Dogs n'a aucun intérêt sur le plan ludique et n'apportera rien aux fans de Tarantino.