Avec un développement démarré en 1997, Prey bat des records de longévité. Disparu dans les limbes comme par magie, c'est de la même façon que ce FPS est soudainement réapparu dans l'actualité, réussissant le pari fou de se placer en tête de liste des candidats au rang de meilleur FPS de l'année. Et c'est aujourd'hui dans la torpeur estivale que ce shooter anti-gravité pénètre le foyer des joueurs.
Prey, c'est avant toute chose un démarrage en fanfare qui vous arrache à votre petite vie quotidienne, comme il le fait avec son héros, Tommy, indien cherokee, mécano de profession qui ne rêve que de quitter la réserve dans laquelle il vit en compagnie de son grand-père Enassi et de la fille de son coeur, Jen. En tout cas jusqu'à cette nuit d'horreur durant laquelle une bande d'extraterrestres impolis décident d'attaquer la Terre et d'aspirer par kilomètres des morceaux de ville qu'ils téléportent à bord de leur gigantesque vaisseau spatial (la Sphère). Parcelles d'humanité au nombre desquelles figure le bar où se trouvait cette petite compagnie et dont le juke-box n'aura même pas le temps de terminer le morceau "You Got Another Thing Coming" avant qu'il ne soit trop tard. A vous de retrouver et de sauver la jeune Jen et de comprendre dans quoi vous avez mis les pattes. Nous voici donc projetés dans un environnement étrange, horriblement malsain, fait de métal et de matière organique, un vaisseau plus ou moins vivant à bord duquel on trouve des armes qui paraissent respirer quand elles ne se mettent pas carrément à nous regarder en pointant vers nous un pédoncule terminé par un globe oculaire. Ce qui sera la moindre des surprises.
Allez, dégrossissons le trait avec quelques mots : FPS, linéaire, sans cinématiques, combats, exploration et énigmes, originalité et idées déconcertantes. De quoi vous donner une idée de ce qui vous attend dans les prochaines lignes. La vraie grande force de Prey réside clairement dans son level design et son ambiance. Inutile de s'attarder trop longtemps sur les décors qui mélangent des parties métalliques aux relents industriels à des sortes d'organes vivants, donnant le sentiment que l'on évolue dans une sorte d'immense estomac cybernétique conçu pour avaler et digérer toutes sortes de... choses. La taille compte ici tant on va de surprise en surprise, étonné de voir ce que nos nouveaux copains aliens sont capables d'attirer dans leurs griffes. Ce simple fait suffit déjà à rendre l'exploration jubilatoire, du moins pour un temps, car l'effet de surprise, ça ne dure pas. Mais bien sûr, le level design de Prey a su se faire désirer pour deux autres raisons : sa gestion de la gravité et ses portails dimensionnels. Pas trop d'affolement ceci dit, malgré la présence de ces deux excellents artifices, le jeu est tout ce qu'il y a de plus linéaire, aimant d'ailleurs à nous faire stagner entre deux portes et autant de combats le temps que l'on résolve une énigme souvent stupide (parfois à tel point que l'on reste coincé pour rien).
Néanmoins difficile de ne pas apprécier la façon dont la progression dans le jeu est affectée par ces principes. Les rails anti-gravité qui nous font grimper aux murs et plafonds, ou les interrupteurs qui inversent la pesanteur (nous faisant tomber dans tous les sens) sont régulièrement mis à contribution afin de compliquer notre avancée tortueuse, chamboulant totalement nos vieux repères. Passer du haut au bas, du haut aux côtés a de quoi dérouter et le simple fait de faire feu sur des ennemis qui ont la tête en bas est suffisamment original pour être divertissant à souhait. Et il va de soi que l'on aura droit à de nombreux puzzles en rapport avec ces rampes et interrupteurs.
Quant aux portails, idem, en faire usage est tout ce qu'il y a de plus amusant. Il faut avouer que voir ces cercles ou ces portes qui ne donnent sur rien tant qu'on ne les regarde pas dans le bons sens est un pas dans la construction d'un univers SF interactif, et on ne se lasse pas d'en faire le tour et de jouer avec ces passages qui semblent n'aller nulle part. Seul défaut regrettable, on ne contrôle absolument rien ici, la progression étant linéaire en diable, ce qui, en termes de gameplay, relègue l'idée à une porte, une porte tout ce qu'il y a de plus classe certes, mais une porte quand même. N'empêche, l'idée permet de glisser des entrées et sorties dans les lieux les plus saugrenus, ce qui suffit à modifier les habitudes et à remuer un peu les codes du level design, tout en s'imposant comme un élément d'ambiance efficace et véritablement spectaculaire à observer puisque l'on voit à travers ces portails ce qui se passe de l'autre côté, tout en ne voyant que ce qu'il se passe "ici" si l'on porte les yeux sur le bord.
La troisième touche "en plus" est votre capacité à projeter votre esprit hors de votre corps. L'usage premier de la chose étant de pouvoir passer à travers les champs de force bloquant fréquemment le passage, ou bien d'emprunter des passerelles spirituelles, enfin dans un cas comme dans l'autre, le but est de vous permettre d'atteindre un bouton quelconque grâce auquel vous pourrez débloquer votre corps de chair et poursuivre l'avancée. Prey comporte ainsi une grande quantité d'énigmes et de puzzles, malheureusement trop simplistes et tout juste du niveau de ce que l'on a vu dans Half-Life 2, dans un style différent bien sûr. Très peu variées, ces embûches souffrent clairement de leur redondance. L'autre apport de ce corps astral est une tentative d'innovation de Human Head, la possibilité de gagner le monde des esprits lorsque vous mourez. Armé de votre arc, vous aurez un temps limité dans une arène pour capturer des âmes valant autant de points de santé acquis lors de votre retour à la vie. De fait, on ne meurt jamais dans Prey, ce afin d'éviter la frustration du game over. L'idée est bonne, du moins l'intention, et parfois même salutaire pendant les combats contre de gros boss. Seulement voilà, des quicks saves infinies, une impossibilité totale de mourir et un mode hard accessible seulement après avoir fini le jeu (?!) la déduction est simple : Prey est facile, trop facile. Jamais on ne se soucie vraiment de mourir, puisque de toutes façons, on ne peut pas. Et fatalement, la durée de vie s'en ressent, car en sus d'être simple, Prey n'est pas particulièrement long n'excédant pas la dizaine d'heures de jeu, moins pour les joueurs les plus aguerris (ou les moins prompts à rester bloqués pour un détail idiot passé inaperçu).
Tout un chacun aura donc noté que nous sommes ici passés à l'énoncé des défauts du titre. Un chapitre dans lequel on regrettera que malgré sa grande qualité, le design du jeu souffre d'un sérieux manque de diversité, selon le sacro-saint principe de l'unité de lieu, on observe bien peu de changements esthétiques d'un bout à l'autre de la Sphère. Il en va de même pour les ennemis, peu nombreux, à la fois sur le plan du type d'adversaires que du nombre simultané d'ennemis affrontés dans une scène de combat. Ceci étant, certains nous opposent une résistance farouche, soit par une IA suffisante pour qu'ils soient capables de sa mettre à couvert ou de se replier, soit par une taille et une agressivité conséquentes. Enfin, il est assez dommage que l'intrigue s'étiole finalement très vite dans le jeu, au profit d'une action qui s'emballe crescendo vers la fin à travers quelques combats aux relents épiques.
Et c'est avec le mode multijoueur que nous poursuivons, un mode bridé qui ne contient qu'un deathmatch et un team deathmatch, tous deux limités à 8 joueurs pour un total de 6 cartes. Même si les particularités du mode solo (anti-gravité, portails et esprit) sont présentes, il est clair qu'avec un multijoueur aussi étriqué, cette section du jeu fait long feu, en dépit de maps bien construites, une fois la surprise passée, on retombe vite sur nos pieds. Dommage. En vérité, on réalise vite que Prey est finalement un jeu ultra classique dans le fond, mais que Human Head a su lui donner une forme diablement originale, inhabituelle, qui fait sa véritable force et tout son intérêt. L'univers créé pour le jeu, la Sphère, est une source de surprises régulières, de drôles de choses s'y produisent, des choses parfois spectaculaires et qui font passer les autres FPS hollywoodiens pour des films à petits budgets et c'est plus par un capital séduction que Prey nous attire que par un gameplay totalement révolutionnaire.
- Graphismes18/20
Prey use du moteur de Doom 3 à merveille et nous sert un design organique dérangeant et glauque qu'on ne peut qu'apprécier, nanti de superbes modèles 3D et surtout d'effets souvent bluffants, les portails dimensionnels en tête. Tout ceci à condition de jouer en HD.
- Jouabilité16/20
Prey prouve que les codes du level design du FPS peuvent être secoués, même si une fois l'effet de surprise digéré, on réalise qu'il reste un FPS très classique, dissimulé sous un enrobage particulièrement original. Qu'importe, on se laisse prendre mais on aura du mal à faire l'impasse sur la progression trop dirigiste et des énigmes/puzzles franchement dépourvus d'intérêt.
- Durée de vie11/20
On comptera 10 heures, voire 7 pour les plus rapides. Malheureusement la moyenne basse des FPS actuels, avec une rejouabilité douteuse et un multi assez anecdotique.
- Bande son16/20
De bons effets sonores même si l'ambiance à ce niveau n'est pas ce qu'on fait de meilleur. Les voix sont fort bien doublées (test en version anglaise) avec des aliens qui tentent de s'exprimer dans un anglais basique et laborieux (drop your weapon). La musique s'emballe très rarement et ses montées parcimonieuses accompagneront souvent des temps forts.
- Scénario14/20
En dépit des apparences, le scénario est vite laissée de côté, mais il reste l'ensemble des éléments visuels pour donner vie à un vaisseau qui en a déjà un peu trop, de vie.
S'il est indubitablement un excellent titre, on attendait peut-être un peu trop de Prey. Vrai faux FPS classique, le titre de Human Head fait tourner la tête en chamboulant complètement nos petites habitudes grâce à ses systèmes anti-gravité et ses portails dimensionnels. Dommage cependant que ces derniers ne soient finalement que des portes évoluées, que l'usage de la gravité soit utilisées de façon si homogène et que le soft regorge de puzzles souvent crétins alternant avec les gunfights. Il nous reste tout de même un shooter original dans sa façon d'aborder un gameplay classique, aux ficelles renversantes et souvent impressionnantes avec lequel on passera tout, sauf un mauvais moment. A acheter les yeux fermés.