Beaucoup de petits ninjas en herbe, s'enroulant des serviettes noires autour de la tête et brandissant des sabres en plastique gagnés au 14 juillet attendaient avec impatience le retour d'Acquire sur la scène des crimes furtifs. Abandonné par son disciple Tenchu, parti vers d'autres seigneurs plus imposants, le studio a tout de même rallié à sa cause Shinobido, un jeune assassin plein d'espoir. Et s'il n'a pas l'expérience des vieux maîtres habitués au masque sombre, il a la fougue et l'entrain de l'adolescence. Deux qualités qui sont une bonne base à une évolution vers la voie de l'invisibilité. Aujourd'hui, c'est bel et bien en pleine lumière qu'il apparaît.
Alors qu'un nouveau Tenchu vraiment réussi se fait attendre sur les consoles "middle gen", l'épaisse forêt de bambous s'ouvre sur une piste secrète que peu avaient osé emprunter. C'est sur cette dernière que repose Shinobido Way Of The Ninja, le dernier-né du studio Acquire. S'il ne fait apparaître ouvertement qu'il est le digne successeur de la saga mettant en avant Rikkimaru, les premières secondes de jeu laissent immédiatement éclater la vérité. Mais pour l'occasion, le tueur à la balafre et aux cheveux gris est remplacé par un collègue on ne peut plus charismatique, nommé Corbeau. Vêtu entièrement de noir et arborant un regard d'une froideur macabre, ce personnage déclenche un attrait pratiquement instantané tant il impose sa présence. Une personnalité qu'il va d'ailleurs rapidement devoir effacer afin de se fondre dans les moindres recoins ombrés. Car si le ninja doit s'adapter à son environnement, il lui est également nécessaire de s'incliner face aux dirigeants rencontrés. Ici, vous n'aurez jamais l'avantage d'un foyer confortable en tant qu'assassin à la solde d'un seul homme. Perdu, abusé et en proie à de graves troubles de la mémoire, vous devrez vous associer à trois seigneurs de guerre quel qu'en soit le prix. Une obligation dérangeante, dans le sens où ce côté mercenaire est lié à un grave accident. En effet, les souvenirs de Corbeau ont été séparés en huit pierres magiques qu'il lui faut retrouver coûte que coûte, afin de comprendre enfin qui il était. Une quête douloureuse donc, qui le force à aller contre ses sentiments et à servir la cause de personnages pas vraiment sympathiques.
Une torture pour ce héros ténébreux et effilé, mais une bénédiction pour le joueur qui peut alors définir sa propre manière de progresser en choisissant librement de servir telle ou telle personne, voire de la trahir. Car c'est sur ce point précis que Shinobido Way Of The Ninja devient vraiment prenant. Il vous est possible, voire même conseillé, de jouer sur plusieurs tableaux différents avec vos "associés". En fait, il vaut mieux être en bons termes avec chacun d'entre eux afin d'obtenir le plus d'indices sur les gemmes bleutées conservant la mémoire du ninja. Il ne sera donc pas rare d'apercevoir deux missions contradictoires dans le flot qui vous est proposé. Par exemple, vous aurez souvent l'occasion de vous voir offrir la protection d'un maître samouraï et dans le même temps de répondre à une demande d'assassinat du même individu. Il est très important de comprendre quelles vont être les conséquences de vos actes, sachant que chaque épreuve réussie donnera un peu plus de puissance à l'une ou l'autre des factions. Le but intéressant étant d'éviter une guerre totale, mieux vaut équilibrer ses "contrats". En plus de tout cela, si vous parvenez à donner satisfaction à vos maîtres, leur confiance pour vous augmentera et ils vous confieront plus facilement des informations et des missions importantes. Vous pouvez très bien préférer ne travailler que pour un seul homme, mais dans ce cas-là attendez-vous à une vengeance violente des deux autres. Un principe assez vicieux, mais passionnant, dans le sens où vous prendrez un malin plaisir à suivre l'évolution politique de la province.
Parallèlement, Shinobido intègre un système de gestion de son habitation habilement travaillé. Au lieu de devoir supporter un menu basique et sans inventivité, vous devrez vous déplacer dans un petit cabanon dont chaque pièce correspond à une action. Plus précisément, vous passez dans le fond de votre maisonnette si vous désirez vous équiper, ouvrez une petite trappe pour découvrir les options, ou avancez sur le palier pour lire les parchemins de mission. Une initiative qui casse les schémas habituels et qui conserve une dernière subtilité de taille. En effet, il est possible que vous vous fassiez attaquer par des sauvages jusque dans votre logis. Il faudra donc vous défendre en posant des pièges aux alentours, en disposant des renforts de pierres ou en creusant des fossés. Un petit aperçu de l'éditeur de mission présent dans le soft, intelligemment utilisé et permettant en plus de personnaliser son jardin en y ajoutant quelques plantes et décorations. Une mise en bouche plutôt alléchante, qui se poursuit dans les phases de jeu plus classiques. Pour résumer, si vous êtes habitué à la saga Tenchu, vous n'aurez aucun mal à comprendre le gameplay. Un désagréable sentiment de copier-coller se dégage un petit peu de ce dernier, mais ne nuit pas du tout à l'enthousiasme que déclenche le soft. Après le calamiteux Time Of The Assassins sur PSP, c'est un véritable bonheur de trancher à nouveau des gorges furtivement. Si cela peut sembler troublant dit comme cela, le plaisir de la surprise et de savoir que l'on peut agir sans être vu est bien réel. Une constante des titres d'infiltration qui est ici un peu mise à mal à cause d'une caméra légèrement défaillante. Rien de bien grave, mais il aurait été sympathique de proposer un recadrement automatique ou des changements d'angle au bord d'un toit par exemple. De petites erreurs évitables qui empêchent parfois de gérer complètement son meurtre.
En revanche, Shinobido dynamise vraiment le gameplay de base des Tenchu en s'axant davantage sur la vitesse d'exécution et la fuite. Il vous est désormais possible d'utiliser des accélérations sur une courte distance et de courir sur les murs afin de tromper vos poursuivants. Une vivacité qui permet de rendre le jeu bien plus nerveux et d'éviter des duels au sabre assez laborieux et souffrant de l'absence d'un vrai bouton de garde. De plus, évoluer comme une sorte d'animal, sautant de toit en toit est une expérience étonnante, donnant parfois l'impression de se trouver au creux d'un anime. On est loin du côté pataud de nombreux softs prenant place dans le monde des ninjas. Par contre, là où la ressemblance est totale, c'est bien dans la qualité des compositions présentes dans le jeu. Variant de petites touches traditionnelles à des passages bien plus actuels et intenses, les mélodies ne déçoivent pratiquement jamais et s'accordent totalement avec l'ambiance très sombre du titre. Une obscurité qui parvient quand même assez difficilement à cacher certaines petites déceptions, comme un manque flagrant de types d'assassinats et une intelligence artificielle toujours aussi peu crédible. Même si les ennemis vous traqueront avec une vraie motivation jusque dans la moindre armoire normande, il leur arrivera souvent de rester coincés par un mur, de vous tourner le dos après vous avoir vu ou enfin de se jeter eux-mêmes dans des puits. Mais bon, sachez qu'ils demeurent quand même suffisamment longtemps à leur poste pour que vous puissiez faire votre métier tranquillement. D'ailleurs, cela faisait longtemps que ce job n'avait pas été aussi agréable.
- Graphismes14/20
Possédant des environnements assez restreints mais relativement détaillés, Shinobido souffre en revanche de textures un peu faiblardes. Heureusement, on note enfin un réel désir de construire des niveaux intéressants et la présence d'objets mobiles parfois bien utiles. Les personnages sont quant à eux assez bien modélisés, même si les ennemis ont tendance à un peu tous se ressembler. En tout cas, le héros est un modèle de charisme et s'impose comme le successeur de Rikkimaru.
- Jouabilité15/20
Possédant toujours ce gameplay jouissif basé sur le plaisir de la maîtrise et du fait de voir sans être vu, Shinobido se voit pourtant un peu gêné aux entournures par une gestion de la caméra perfectible. Pourtant, avec un peu d'habitude ce défaut tend à s'amenuiser, même s'il vous arrivera de pester. De plus, les systèmes du cabanon et des missions "libres" sont des idées très intéressantes qui densifient vraiment le jeu. Enfin la présence d'un dynamisme plus important rend le tout bien plus agréable.
- Durée de vie14/20
Devant le nombre de missions disponibles et la présence d'un éditeur de mission très facile d'accès, vous allez passer de longues soirées (ou journées pour les faux ninjas) à parcourir les toits de petits villages perdus ou des hectares de forêts. De plus, si vous désirez découvrir l'ensemble des objets récupérables dans le soft et les divers mélanges que vous pourrez faire avec, vous n'allez pas voir le temps passer.
- Bande son15/20
Proposant une bande-son de très bonne qualité, Shinobido se permet en plus d'offrir des sonorités de grand standing permettant de rentrer dans l'aventure avec un grand plaisir. D'autre part, l'utilisation habile d'effets sonores crée une ambiance très particulière, un peu troublante, étouffante, qui colle parfaitement à la thématique du jeu.
- Scénario14/20
Si la trame n'est pas vraiment originale, la manière dont elle est traitée l'est nettement plus, dans le sens où vous devrez subir les ordres contradictoires de divers personnages peu recommandables pour arriver à vos fins. Une sorte de jeu du plus cynique où la traîtrise occupe une place de choix. Peu de titres ont réussi à mettre le joueur dans une position de manipulateur avec tant de force.
Ceux qui pensaient que seule la série Tenchu valait le coup dans le monde merveilleux des ninjas cagoulés vont peut-être revenir sur leurs certitudes. En effet, Shinobido Way Of The Ninja est un concurrent de poids à cette saga et en surpasse pratiquement tous les épisodes. Réfléchi, comportant de très bonnes idées, dynamique et donnant un réel plaisir, le soft d'Acquire aurait pu se détacher définitivement si seulement... Car on retrouve ces satanés problèmes de caméra, cette réalisation en demi-teinte, et une I.A. détestable. Dommage, ce soft étant vraiment une très bonne surprise que toute personne sortant de nuit avec un kaginawa se doit de posséder.