Tentant tant bien que mal de s'imposer en Europe, le Tactical-RPG est passé par des heures plutôt sombres pour ressurgir récemment avec une verve sans commune mesure. Entre Phantom Brave, Disgaea et Phantom Kingdom, vous aviez le choix des armes et surtout de l'originalité. Néanmoins, et malgré leurs grandes qualités, ces derniers ne parvenaient pas forcément à enlever de l'esprit des amateurs d'import le légendaire FF Tactics, voire des titres moins connus comme Saiyuki : The Journey West ou encore Tactics Ogre. C'est donc après une petite période de disette ponctuée d'un Suikoden Tactics que surgit Stella Deus. Est-ce que cette entrée en scène se trouve justifiée ?
Paru il y a de longs mois au Japon et un peu plus récemment aux US, Stella Deus aura largement pris son temps pour arriver chez nous. Un débarquement passant pour le coup quelque peu inaperçu, occulté par la publicité pour un Magna Carta. De ce fait, même si l'on se réjouit de cette sortie française, on ne peut que regretter le mauvais traitement subi par le soft, non traduit, et disposant d'un manuel imprimé à la va-vite. Et si le 60 Hz apaise un tantinet ces émotions négatives, il est regrettable de voir encore une fois les méfaits d'une localisation déséquilibrée. Car Stella Deus est autrement plus intéressant que son compagnon d'infortune cité ci-dessus, et ce pour les quelques raisons qui vont suivre. Vous plaçant dans le monde gangrené de Solum, son scénario se pare dès ses prémices d'une profondeur attirante et laissant espérer une évolution apocalyptique autant que mystique. En effet, les terres sur lesquelles vous évoluez sont atteintes d'un mal incurable, nommé Miasma (Le Miasme). Ce brouillard toxique s'étend davantage chaque jour, lentement, mais dirigé vers une conclusion qui ne peut être qu'atroce. C'est à partir de ce point de vue pessimiste tout autant que réaliste qu'une Eglise d'un genre nouveau se lève et commence à diffuser sa philosophie de l'abandon. Les fondements du culte Aeque reposent précisément sur le fait que le peuple mourra obligatoirement un jour ou l'autre devant la fatalité que représente le Miasme et qu'il n'est donc pas utile de se battre pour conserver des acquis d'ores et déjà perdus. Conférant aux hommes une barrière contre leur peur de la mort, évoquant le fait que chacun trouvera sa place au côté de Dieu, cette religion prive pourtant ses fidèles du désir simple d'exister. Plongés dans une sorte d'apathie, ces derniers attendent donc sans passion la Fin Paisible que leur promettent les dignitaires de l'Eglise. Cependant, certains n'acceptent pas cette résignation et luttent pour leur survie.
C'est le cas de Dignus, un être violent et fier, décidé à réveiller cet amas d'immobilisme qu'est la population de Solum. Massacrant quiconque s'oppose à cette prise de conscience brutale, ce dernier se proclame Lord et s'empare du monde petit à petit, rassemblant toujours plus d'hommes prêts à combattre. Là où il aurait été facile d'insérer un bonne tranche de manichéisme, Stella Deus dépasse cette simplicité et expose une trame particulièrement riche, fondée sur la peur. Effectivement, et même si elles paraissent démesurées, les réactions des deux camps sont en résumé des sortes de masques destinés à éloigner le plus possible l'idée du Miasme de leur esprit. Offrant deux visions typiques de l'être humain lorsqu'il est confronté à un danger qui le dépasse (la résistance ou la capitulation), l'histoire de ce T-RPG joue sur les variations d'intérêt et sur le questionnement incessant du jeune héros, Spero, ne sachant réellement s'il sert les intérêts des siens en suivant la voie la plus logique, dictée par son meilleur ami. Tortueux, même si assez classique dans le fond, le scénario de Stella Deus dispose d'une excellente narration, diffusant habilement ses rouages et mettant en lumière des personnages travaillés, notamment un protagoniste principal pour une fois intelligent. Cette finesse due au talent de conteur de Ryô Mizuno, auteur de la série Chroniques de la Guerre de Lodoss et de ses dérivés, épouse avec douceur le travail artistique fascinant de Shigeki Soejima, déjà à l'oeuvre sur Persona 2 ou encore Devil Summoners Hack. Chargé du character design, cet artiste de talent parvient à donner vie à des individus aux traits fins tout en restant proche de ses univers habituels, usant d'une grande originalité quant aux apparences vestimentaires des guerriers présents.
Si les combattants les plus importants se voient dépositaires d'un visage expressif et le plus souvent magnifique, les unités secondaires ne font montre d'aucune humanité, cloisonnées par des masques et des armures torturées. Ce parti pris apporte une sorte de malaise, tant ces soldats irradient une absence de sentiments pratiquement palpable. S'insérant parfaitement dans un univers où les couleurs semblent avoir disparu à jamais, laissant uniquement des variations de gris, de beige, et d'un bleu sablonneux, ces êtres symbolisent la déshumanisation de ces terres au fur et à mesure de la progression du Miasme. Une atmosphère un tantinet dépressive et mélancolique évoquant aisément le côté onirique et vaporeux de Shadow Of The Colossus. Grace à sa 2D de qualité, riche en détails, Stella Deus suit la trace de FF Tactics et joue sur les mêmes pistes. Il privilégie la communication des émotions par des mimiques précises et très claires profitant des capacités de la 2D à évoquer un sentiment avec une certaine naïveté, mais souffre quelque peu de carences au niveau de l'animation à proprement parler. Les mouvements se révèlent en fait assez raides et manquent de dynamisme, notamment lors des affrontements. Mais ce n'est là qu'un détail qui permet de passer au contenu propre au soft, à savoir les batailles tactiques. Car il va falloir que vous révisiez votre manuel de stratège avant de pénétrer dans le monde de Solum. Au premier abord, pourtant, le gameplay paraît simple.
A chaque rixe, vous êtes projeté sur un terrain particulier, en rapport avec l'endroit où vous vous trouvez, dans lequel vous allez diriger votre troupe en suivant quelques règles particulières. Si le déroulement singe dans les grandes lignes le vieux Tactics Ogre qui ne démérite pas, la grande et imposante nouveauté vient de la gestion des AP. A chaque début de tour d'un personnage, vous disposez d'un capital d'Action Points qui vous permettra à la fois d'agir et de vous déplacer. De ce fait, il faut à tout moment vérifier si vous n'êtes pas allé trop loin afin de pouvoir utiliser un sort coûtant un grand nombre d'AP. Un système qui pousse sans cesse à la réflexion et oblige à prévoir ses coups à l'avance, un peu comme aux échecs. D'autant que ce soft voit l'apparition d'une barre temporelle rappelant celle de Final Fantasy X et qui autorise à définir au mieux vos priorités. Dans les faits, dès que vous choisissez un mouvement à entreprendre, l'icône de votre combattant progresse dans ladite barre afin de vous donner l'occasion de visualiser son prochain tour par rapport à ceux de vos alliés ou ennemis. Un principe déjà passionnant, notamment dans la prise en compte des soins, qui devient génial grâce à une petite subtilité. En effet, il vous est possible de faire varier votre stock d'AP, dans la limite de ceux disponibles, afin de retarder votre manoeuvre, cela dans le but de suivre de près l'action d'un coéquipier, de passer avant un compagnon pour le protéger, etc. Une dimension stratégique imposante se répand alors et fait oublier la relative monotonie des pugilats. D'autant que Stella Deus comprend également un système d'attaques combinées impliquant jusqu'à quatre protagonistes et nécessitant les capacités et le placement adéquats pour être lancées. Impressionnants et sublimes, ces assauts rivalisent d'inventivité, liant spectaculaire et effets lumineux apocalyptiques. En sus de tout cela, vous aurez l'opportunité d'équiper vos hommes de diverses compétences préétablies, en échange de SP (Skill Points) gagnés au fil des combats. Ces dernières et d'autres bien plus rares peuvent d'ailleurs être obtenues par le biais d'un système de fusion d'objets inhérent à la Guilde, une "boutique" vous permettant aussi de participer aux innombrables sous-quêtes du jeu.
Le T-RPG d'Atlus s'enrichit donc de nombreuses données face à la concurrence jusqu'à atteindre un degré d'exhaustivité assez conséquent. D'autant que le plaisir de jeu qui en résulte s'avère souligné par la bande-son exceptionnelle, menée de main de maître par le duo gagnant Sakimoto Hitoshi et Masaharu Iwata, deux compositeurs parmi les plus importants du monde vidéoludique. Déjà crédités ensemble sur Tactics Ogre, sa déclinaison Knight Of Lodis ou encore Final Fantasy Tactics, ces deux musiciens parviennent à chacune de leur apparition à diffuser cette atmosphère dans laquelle ils semblent totalement se retrouver, à savoir un mélange mystico-glauque pétri d'envolées lyriques. Les morceaux inclus dans le jeu s'avèrent en adéquation parfaite avec le ton général, appuyant avec un certain génie sur le moindre évènement afin d'en tirer la quintessence. Si cette bande sonore ne joue pas réellement dans une appréciation objective du titre, elle n'en demeure pas moins une composante indispensable tant elle le sert à merveille. Par son ambiance graphique, son choix musical et son gameplay précis et innovant, Stella Deus se place comme l'un des meilleurs T-RPG disponibles sur la console de Sony. Si on peut lui reprocher son classicisme de fond et ses carences au niveau de l'animation, il est bien plus difficile de contester sa force ludique et sa richesse. Un très bon Tactical, point final.
- Graphismes16/20
Basé uniquement sur des tons de beige, de gris, et de quelques variantes vaporeuses, Stella Deus peut étonner au premier abord, voire même rebuter. Néanmoins, ceux qui apprécient les univers désespérés et oniriques, à la Shadow Of The Colossus prendront un grand plaisir à évoluer dans le monde de Solum. Enrichi par un chara design épatant et un travail sur l'architecture fascinant, le soft d'Atlus aborde un parti pris dangereux mais innovant. On pourra simplement lui reprocher ses problèmes au niveau de l'animation.
- Jouabilité15/20
Si l'on peut regretter le classicisme de fond des combats et le cruel manque de rythme de certaines batailles, on ne peut en revanche nier que Stella Deus apporte un peu d'air frais sur la forme, surtout en ce qui concerne la gestion des tours et des AP. D'autre part, et à travers le plaisir tactique diffusé lors des rixes, vous vous sentirez éminemment puissant lors des attaques multiples spectaculaires. De plus, la mise en place des compétences et le système de fusion vous donneront l'occasion de peaufiner au mieux votre troupe.
- Durée de vie16/20
D'une durée de vie de 60 heures en ligne droite, Stella Deus peut facilement atteindre la barre fatidique des 100 heures si vous vous décidez à gravir les cinquante étages des catacombes, à terminer toutes les quêtes relatives aux armes secrètes et à chercher à enrôler l'ensemble des personnages bonus. De fait, vous ne vous ennuierez pas et en aurez largement pour votre mise de départ. D'autant que la tension scénaristique ne baisse que rarement.
- Bande son18/20
Faisant partie des bandes sonores les plus réussies dans le domaine vidéoludique cette année, celle de Stella Deus profite amplement du talent sans cesse renouvelé du duo Sakimoto et Iwata. Pétrie de passages épiques donnant quasiment envie de sortir de chez soi une épée à la main, d'envolées mystiques aux choeurs profonds et de mélodies complexes, cette bande-son mériterait presque que l'on mette en retrait les effets sonores et le doublage en pleine partie. Ce dernier point est d'ailleurs sujet à quelques problèmes de mixage, les voix se mettant plus ou moins en avant.
- Scénario15/20
Même si la trame reste assez classique dans le fond, les questionnements qu'elle soulève sur la religion, et sur le rapport de l'être humain à la peur restent très intéressants et aboutissent à des retournements de situation agréables et rarement téléphonés. De plus, la psychologie des personnages s'avère réellement bien travaillée, notamment dans le cas de Spero qui lance des réflexions sur son statut vraiment matures et qui campe le rôle d'un héros particulièrement intelligent.
Passant étonnamment après Magna Carta au niveau de l'importance dans le catalogue 505 GameStreet, Stella Deus se révèle pourtant nettement meilleur et surtout continuellement digne d'intérêt. De fait, même si vous pouvez oublier une traduction intégrale, le soft d'Atlus se pose comme l'un des meilleurs RPG sur la console de Sony, réinjectant dans l'esprit des amateurs des petites doses de FFT. Convaincant au niveau du design, du gameplay et rythmé par une bande-son fantastique, Stella Deus vaut nettement l'attente qu'il a suscité. Si certains mettront en avant un certain classicisme, cela ne retire en rien la force ludique de ce soft. Profitez de son prix et partez pour des heures et des heures de stratégie.