Brassant les cendres encore fumantes laissées par Caim dans son désir de vengeance brutal et sanguinaire, le monde commence juste à regagner de la vigueur, remplaçant le chaos autrefois existant par une intransigeance omniprésente et stable. C'est dans ce contexte qu'officie l'Ordre, nouveau régime autocratique, basant sa force sur sa maîtrise des différents sceaux existants dans cet univers sombre. Jeune homme officiant en tant que chevalier au sein de cette gouvernance, Nowe étoffe sa réputation de bataille en bataille, par le biais de ses terrifiantes capacités de combattant. Surnommé l'enfant-dragon, ce dernier a justement été élevé par l'une des ces créatures portant le nom de Legna. Jurant qu'aucun autre humain n'aurait pu attirer son attention, la créature mystique demeure à tout jamais votre fidèle et âpre ombre, ancrée elle aussi dans une violence indécise.
Se déroulant plusieurs dizaines d'années après le premier opus de la série, Drakengard 2 opère un véritable retournement de situation quant au contexte traité. Alors que son vénérable ancêtre utilisait à très bon escient l'atmosphère désespérément poisseuse d'un conflit à grande échelle mâtiné de sacrifices et d'atrocités, ce nouveau volet s'axe plutôt sur une fuite éperdue vers une révolution attendue. D'un naturel plus conciliant, le titre de Cavia s'ouvre plutôt sur une notion d'espoir, où la violence se met au service d'un dynamisme héroïque. De fait, peut-être plus riche au niveau de la présentation d'un univers cohérent et paradoxal, il perd par contre ce qu'avait initié Drakengard en son temps. En effet, dérangeant et parfois même choquant, ce titre abordait des thèmes rarement présents dans le jeu vidéo, avec une sorte de folie sans concessions. Entre un héros prenant du plaisir à tuer et une femme obnubilée par les meurtres d'enfants, nous avions là deux extrêmes qui donnaient une bonne vision de ce qu'étaient au fond les bases du soft. Arrogant et puissant, il demeurait une expérience troublante, qui se répercute un tant soit peu dans cette suite, sans vraiment s'imposer. En effet, on retrouve une galerie de personnages qui, s'ils ne sont pas tous atteints par des émotions morbides, conservent tout de même cette absence de manichéisme et cette part ténébreuse commune à la série. Les réactions de Nowe par exemple, même si ce dernier approche quand même nettement plus du héros typique des derniers Final Fantasy en date sur PS2, se révèlent intelligemment décantées et confuses. Ce dernier hésitera notamment un long moment avant de se résoudre à accepter une vérité qu'il se refusait à admettre. Petit soldat aveuglé, il souffrira longuement de sa brusque compréhension maladroite. Une évolution lente et parsemée de rageuses ouvertures d'esprit qui donne à tout cela un aspect crédible, voire tout simplement humain. Bien évidemment, certains intervenants, pour la plupart ayant contracté un pacte avec un être légendaire, comportent encore cette construction faisant osciller nos sentiments entre la pitié et l'indignation. Deux impressions rapidement rattrapées par une imposante excitation.
En effet, et à l'image du premier opus, les phases de combats font montre d'une redoutable efficacité, dépassant cette quasi transe ressentie dans les affrontements de masse de Dynasty Warriors. Bien que l'on soit ici dans un cas de figure semblable, à savoir un ensemble d'affrontements à un contre cent, la force qui s'exhale de ces pugilats dépasse tout ce que l'on a pu voir dans des situations identiques. Ressentant pratiquement le poids de la lame pénétrant dans la chair, vous ne pourrez lâcher votre manette, agrippé furieusement à ce concentré acide d'action. Pouvant être comparés à des phases de beat'em all, les passages impliquant vos héros au sol reposent sur une acceptation brute et profonde d'une violence indispensable vis-à-vis des attentes de chacun des personnages. Encerclé par des dizaines de corps et vous escrimant à lacérer des hordes de guerriers aussi motivés que vous pouvez l'être, vous vous demanderez, comme Nowe : "Mais pourquoi est-ce que je fais tout ça ?" Une réponse que vous composerez vous-même, mais qui s'impose à vous à la vue du scénario passionnant du titre. Chacun des héros se bat ici pour réaliser son but, donner de la matière à un souhait, ancrant tout ceci dans un amas de certitudes. Le fil se révèle très ténu entre les notions de raison et de tort, plaçant tout ce petit monde dans un environnement hostile sans vraiment en connaître les tenants et les aboutissants. Portant fièrement votre lourde épée, c'est donc grâce à cette dernière que vous tenterez de redonner une certaine justice à une construction du monde difficilement acceptable. A ce propos d'ailleurs, les habitués du premier épisode retrouveront avec joie le système de la roue des armes, vous autorisant à changer d'équipement offensif n'importe où et n'importe quand durant les batailles.
Pour vous résumer un tantinet son fonctionnement, cette "roue" peut être affichée d'une simple pression sur la touche R2 et contient l'ensemble des outils que vous aurez eu la prudence d'y placer. Figeant l'action durant sa présence, elle vous laisse tout le temps nécessaire pour effectuer votre choix afin de disparaître. Une idée de gameplay très intéressante, qui évite un passage maladroit dans les menus et offre qui plus est un charme tout particulier au jeu. Dotée d'un design rappelant quelque peu certains éléments de Vagrant Story, elle s'insinue à merveille dans l'atmosphère du jeu. Elle occupe de fait une place de choix dans l'immersion ressentie, notamment grâce à ses effets sonores grinçants, évoquant une certaine lourdeur mécanique. De plus, et une fois que vous serez parvenu à enrôler d'autres compagnons dans votre équipe, cette interface ingénieuse vous permettra de les faire intervenir quand bon vous semblera. Il vous suffit de choisir l'une des armes se rapportant au type d'ustensiles que ces derniers utilisent habituellement (hache, bâton, lance, etc) pour remplacer votre valeureux héros par un autre guerrier tout aussi aguerri. Un principe marquant une avancée réelle, lorsque l'on sait qu'auparavant les autres membres du groupe devaient obligatoirement être invoqués durant un laps de temps très court. A vous dorénavant les joies de la variété, arrivant de paire avec un système d'affinités. Effectivement, chaque membre de votre troupe de révolutionnaires est lié à un type d'ennemi. Par exemple, Nowe peut occire les soldats avec une aisance sans pareil, tandis que Manah se voit cantonnée aux sorciers. Bien entendu, cela ne vous empêche pas de terrasser tout ce qui bouge sans vous soucier de ce détail, mais il se révèle d'importance assez souvent, et ajoute de plus une petite subtilité bienvenue.
En sus, et grâce encore une fois aux différentes armes, vous pourrez acquérir des combinaisons de coups au gré de l'évolution de vos outils de combat. En fait, à chaque fois que vous réduisez à néant un ennemi, vous empochez d'une part de l'expérience pour vous, et d'autre part pour votre arme équipée. Bloquée au niveau 4, chacune d'entre elles peut acquérir au minimum trois enchaînements avant ce niveau fatidique. Particulièrement diversifiées, ces dernières vous donneront donc accès à un nombre assez important d'attaques de plus en plus spectaculaires. Mais le plus fascinant demeure toutefois l'utilisation de votre dragon. Agissant de concert avec Nowe, ce dernier peut apparaître dans deux formes de gameplay différentes. Dans la première, il se contente de vous accompagner sur le terrain, officiant en tant que monture, et restant à votre disposition à tous moments si tant est que vous soyez à l'extérieur. Une fois sur le dos de ce saurien majestueux, vos mains frémissent de plaisir et vos yeux s'emplissent d'une lueur tremblotante et vive. Comblé par la puissance tétanisante de cette créature, vous prendrez un plaisir évident à oppresser les minuscules êtres grouillant au sol avant de vous jeter sabre au poing dans la mêlée, crevant les cieux d'un cri rageur. Rarement un titre n'a réussi à offrir un tel déluge de rage, dans une espèce d'incarnation éclatante d'une volonté de puissance. C'est dans ces accès de frénésie que l'on retrouve les braises encore rougeoyantes du précédent Drakengard. Mais finissons par l'un des pans majeurs du titre, à savoir les passages vous plaçant au creux des cotonneux nuages, semblant tirés tout droit d'un Panzer Dragoon après une cure de vitamine C. Virevoltantes, saisissantes, et réalisées avec un dynamisme prenant, ces envolées se ponctuent surtout de duels aériens épiques, où la vivacité de votre créature est l'unique rempart face aux tirs nourris des vaisseaux et aux attaques des griffons et autres monstres volants.
Aussi étourdissant qu'il était chez son illustre ancêtre, le fonctionnement de Drakengard 2 ne se contente pas de reprendre mot pour mot les anciennes bases,et parvient à en proposer de nouvelles, mais oublie également ses erreurs passées. Si vous pouvez désormais accéder à des villages pour acheter de l'équipement, restaurer le héros et son dragon avec des objets de soin, ou encore diversifier les pouvoirs de votre monture, il est encore dommageable de ne pas pouvoir profiter d'un lock digne de confiance et surtout d'une satanée touche pour recentrer la caméra sans être forcé de se protéger. Néanmoins et malgré ces quelques défauts, ajoutés à ceux déjà présents dans le précédent opus, Drakengard 2 opère une extension en force et se place comme un héritier digne de son nom. Plus abouti graphiquement, mieux construit, moins sauvage et peut-être un peu plus accessible, il devrait logiquement surpasser son inspirateur. Pourtant, en laissant de côté l'originalité d'une volonté profonde de proposer des psychologies excellemment torturées, et surtout la force d'un univers d'une noirceur hideuse et perverse, il perd quelques miettes de cet intérêt sulfureux. Restant un soft de très bonne qualité, il n'attend qu'un geste de votre part pour ne pas connaître le même sort que son prédécesseur, malheureusement peu reconnu.
- Graphismes14/20
Malgré le syndrome Dynasty Warriors se résumant par la présence de textures relativement simplistes, nécessaires au vu du gigantisme de certains niveaux, Drakengard 2 surprend vraiment en comparaison avec le titre précité et surtout son vénérable ancêtre. Proposant une profondeur de champ améliorée et des environnements variés, il tente enfin le pari de l'extérieur. En effet de nombreux décors s'avèrent à l'air libre, donnant enfin l'impression de se trouver dans un monde cohérent. Pour ne rien gâcher, les phases à dos de dragon restent de toute beauté, et le chara-design sublime le soft.
- Jouabilité16/20
Encore pénalisé par une caméra peu alerte et l'absence d'un lock suffisamment pratique, le titre parvient tout de même à diffuser un plaisir intense tout au long de l'aventure. Plongé dans la noire frénésie des combats, vous aurez le plus grand mal à lâcher votre manette, sous les coups répétés de hordes d'ennemis, certes pas très malins, mais terriblement agressifs. Prenant le parti de redonner une nouvelle fois ses lettres de noblesse à un dynamisme violent assumé, le soft de Cavia diffuse bien cette impression en mélangeant trois gameplays différents et étonnamment complémentaire.
- Durée de vie15/20
Nécessitant environ 25-30 heures afin d'être parcouru dans son ensemble, Drakengard 2 reste dans le clan des A-RPG relativement longs, même si la durée de vie s'élargit quelque peu si vous désirez récolter toutes les armes et surtout voir l'ensemble des attaques. D'autant que la lassitude ne fait étonnamment jamais une entrée fracassante, mis à part peut-être dans certaines quêtes sans rapport avec le scénario.
- Bande son16/20
Venant après l'une des bandes-son les plus fascinantes qui soient, mêlant grands airs classiques hachés dans une sorte de transe musicale chaotique, celle de Drakengard 2 s'avère bien plus habituelle sans être pour autant de mauvaise qualité. Bien au contraire, elle reste l'une des plus impressionnantes de ce début d'année, utilisant des morceaux orchestrés de grande classe et une approche intelligente des sonorités. Basés sur des rythmes assez guerriers, ils oscillent entre des thèmes sombres profonds et puissants et des pistes plus calmes évoquant parfois Basil Poledouris.
- Scénario16/20
Moins sombre et brut que celui du précédent opus, le scénario du soft de Cavia gagne en revanche en épaisseur et prend bien le temps de construire les situations et la psychologie des divers intervenants. Tous intéressants et dépositaires d'un passé relativement trouble, ils attirent immédiatement et diffusent une aura particulière. De plus, la trame mature se bâtit habilement et réserve ses montées en puissance adroitement.
Moins original que son prédécesseur, et surtout moins surprenant dans les thèmes abordés, Drakengard 2 parvient tout de même à passionner tout au long de l'aventure sans aucune baisse de rythme. Evidemment, ceux qui ont détesté le premier ne changeront pas d'avis avec celui-ci, mais les progrès effectués sont tels qu'il serait dommage de passer à côté de ce titre à l'ambiance éminemment puissante. Sorte de beauté inabordable, le soft de Cavia énerve par son arrogance et ses grands airs mais plonge irrémédiablement dans une admiration ludique particulièrement intense. La diva de l'A-RPG est de retour.