En effet, et on peut maintenant se dire que ce n'était pas un amas utopique d'idées joyeuses, le quatrième épisode de la série mythique de Konami comprenait bien dans ses entrailles les germes d'un bon scénario. Assez obscur, voire très elliptique, les thèmes abordés laissaient penser à une certaine mythologie passée, composée de noirceur et de trahisons. La Rune de la Punition, la vraie nature des "canons à runes", les hauts faits ayant construit ce monde maritime, tous ces aspects passés totalement inaperçus reviennent enfin nous aiguiller. C'est donc à la lueur de ces évènements, se déroulant avant, pendant, et après l'histoire épique de Suikoden 4, que vous pourrez une bonne fois pour toutes embrasser d'un seul geste la globalité de cette quête bien plus sombre qu'elle le paraît à première vue. Effectivement, alors que le duel mondial pour l'obtention du "sceau maudit" restait dans les limites de l'honneur avec néanmoins quelques petits glissements, les éléments narrés ici chutent dès les premières minutes dans un tragique auréolé de perdition. Jeune homme au caractère aventureux, Kyril se voit malgré lui engagé dans les recherches de son père, s'intéressant de près à la disparition de l'ensemble des canons runiques à la suite du conflit généralisé avec Kooluk. Faisant route avec un groupe de pirates incluant les célèbres Kika et Brandeau, déjà connus des héroïques RPGistes s'étant attelés à Suikoden quatrième du nom, le guerrier juvénile verra son destin basculer en même temps que celui de ses compagnons et d'une nation entière. Littéralement détruit par ce qu'il a vu, il faudra trois années de calme et de réflexion pour que celui-ci reprenne enfin espoir en ses convictions et se décide à suivre les traces de son père. Basé sur une trame maniant avec une force que l'on croyait disparue avec Suikoden 2 des composantes riches et immersives, cet épisode Tactics parvient à redonner foi en la saga, du moins scénaristiquement parlant. Pourtant, cela faisait longtemps qu'un RPG tactique n'avait pas réussi à poser une ambiance chevaleresque, dramatique et prenante aussi rapidement. On peut donc espérer légitimement que la construction chaotique de Suikoden 4 est définitivement oubliée dans les pages cornées d'anciens grimoires.

Dans ce registre précis, l'une des forces du jeu est de proposer justement de rencontrer les principaux protagonistes du dernier opus en date, afin d'apercevoir quelques bribes de leur enfance, ou tout simplement de leur passé. Mais l'intérêt le plus probant se situe tout de même dans les discussions avec vos anciens camarades de route, désormais esseulés et vaquant à des occupations que vous n'auriez pas imaginé. Le plaisir naît de ce fait pour une part de ces clins d'oeil amicaux, parfois pas vraiment utiles, laissant un joueur commençant par cet épisode Tactics de marbre. Donc, et même si ce n'est pas une obligation vitale à la compréhension, je vous conseille vivement de parcourir l'opus 4, ou de vous le faire raconter dans le pire des cas, afin de saisir toutes les petites subtilités présentes. Votre immersion et votre excitation n'en seront que plus délicieuses. D'autant qu'il vous sera utile de vous raccrocher à quelque chose lors de certaines phases de combat plus qu'éprouvantes. Car, comme vous devez le savoir, la particularité des Tactical RPG est de proposer des affrontements stratégiques où la moindre erreur de calcul se paye plus ou moins immédiatement. Et sous ses airs de jeune freluquet prépubère, Suikoden Tactics dissimule une réelle férocité. Pas vraiment innovant, ni destiné aux amateurs furieux de Phantom Brave, le titre de Konami semble avoir quelques difficultés à choisir sa cible. Une hypothèse qui se vérifie dès les premières heures de jeu, constellées de petites batailles donnant à voir les possibilités du gameplay avec moult précisions. Hissons donc la grand voile dans l'espoir de découvrir les sursauts de ce dernier en pleine mer. Tout d'abord, il faut préciser que l'ensemble reste sujet à la loi des runes, que tous les amateurs de Suikoden connaissent. Pour les non-initiés, sachez que dans ce monde empreint de fantaisie, certaines pierres contiennent des pouvoirs liés aux éléments de la nature. Devant être incrustées dans le corps de celui désireux de les utiliser, elles se séparent en cinq groupes, à savoir le feu, le vent, l'eau, l'éclair et la terre. Dans un mouvement similaire, chaque personne venant au monde possède une affinité avec l'une de ces composantes terrestres, orientant donc son choix dans le type de "magie" à acquérir.

Cependant ces dernières ne résonnent pas forcément entre elles, fonctionnant plutôt en affinités positives et négatives. Par exemple, si un être humain orienté feu reste en contact avec un environnement baigné d'eau, il subira un déséquilibre plus ou moins dangereux. Cet aspect précis est de fait à prendre en compte à chaque instant du combat, pouvant d'ailleurs renverser le cours de ce dernier. En effet, la plupart des territoires du soft se voient détenteurs d'un élément, nuisant aux guerriers engagés s'ils ne possèdent pas une bonne complémentarité. D'autre part, et dans un souci éminemment stratégique, il vous est possible à tout moment de changer l'élément majeur d'une zone limitée en utilisant soit une rune, soit un objet spécifique. Une attitude à adopter le plus rapidement possible tant elle peut se révéler décisive. En fait dès qu'un personnage, ennemi ou allié, marche sur une case qui lui est opposée au niveau élémentaire, il subit une baisse de ses caractéristiques et souffre d'une perte de points de vie au début de chaque tour. Une position assez gênante pouvant conduire à une débandade imposante. Inversement, si vous vous trouvez sur un emplacement vous correspondant parfaitement, votre puissance ainsi que votre défense seront accrues, et vous récolterez un peu de santé à chaque tour. Un principe de jeu très intéressant, un peu subtilisé à Chrono Cross effectivement, mais garantissant des rebondissements quasi apocalyptiques. Dans la même veine, et à l'image de nombreux T-RPG, la "localisation" des coups reste présente. Plus précisément, si vous frappez un adversaire dans le dos ou sur les côtés, vous êtes bien plus sûr de lui causer des dégâts importants et d'éviter un contre ou une esquive pouvant se révéler dommageable pour la suite. Néanmoins, à l'ombre de ce classicisme, se terre un système ingénieux de gestion de l'amitié entre les divers protagonistes.

Peu nombreux durant les affrontements, ceux-ci ont pour le coup un besoin viscéral de former une véritable équipe et de se sentir soudés. Pour aboutir à une telle entente, il est impératif de passer par une aide mutuelle de tous les instants. Une surveillance assidue est donc de mise, dans l'espoir d'aider au bon moment chacun de vos coéquipiers afin que ces derniers vous montrent de la reconnaissance et de la confiance. Deux mots loin d'être galvaudés ici, tant ils sont au coeur d'une bonne stratégie offensive. De le même manière il s'avère très important de discuter avec vos troupes et amis, notamment en plein combat grâce à la commande "discussion". Partageant leurs souffrances et leurs doutes, vos acolytes lieront de véritables relations entre eux, allant jusqu'à une sorte de symbiose. C'est dans cet état qu'ils commenceront à penser l'un à l'autre et à tenter de se protéger ensemble des attaques adverses. De plus, cette recherche de complicité pourra donner naissance à des attaques en coopération particulièrement destructrices. Confiné dans un enrobage grandement affilié à Suikoden 4 de la manière d'équiper les runes à l'obligation de faire évoluer ses armes en les forgeant à prix d'or, son pendant Tactics ajoute une gestion des compétences inhérentes à chaque combattant. Un principe un peu gadget, notamment lorsque l'on s'aperçoit du côté simpliste de la manipulation de ces dernières. Brillantes et agréables, les idées présentes dans Suikoden Tactics souffrent un tant soit peu de leur côté clairement limité. Non que ces trouvailles soient mauvaises, loin de là, mais elles offrent des contours atteints bien trop rapidement, semblant figer le jeu au bout de cinq heures d'acharnement tactique. De fait, et tout en prenant un réel plaisir, on se demande longuement si les studios de Konami ont jeté un coup d'oeil sur ce qui se fait actuellement dans le registre du T-RPG, à l'image de Stella Deus ou encore de Phantom Kingdom, bien plus aboutis et profonds. D'autant que, disposant d'une difficulté déséquilibrée, ce nouveau Suikoden déçoit tout autant qu'il étonne. Semblant souvent sur la brèche il tente de s'assurer d'un pas lent et fragile sans jamais totalement convaincre. Cependant, pour une première dans la série chère à Konami et gorgée de mythologie chinoise, voilà une entrée en matière plutôt réussie. Et vive Jowy pour la peine !