Rappelez-vous : Heidi courant pieds nus dans l'herbe fraîche, gorgée de rosée, le vent soufflant dans les cheveux de la fillette, les chèvres broutant dans le lointain, le grand-père de la petite fille coupant amoureusement d'énormes tranches de pain, de saucisson et de fromage... Rappelez-vous. C'est fait ? Bien, à présent oubliez tous ces souvenirs et visualisez un triumvirat composé de Steven Seagal, The Rock et Jean-Claude Van Damme. Voilà, vous êtes maintenant prêts à vous engouffrer dans les bas-fonds d'Urban Reign, où la violence a élu domicile, où le crime paie très bien et où il ne fait pas bon de peser 45 kilos tout mouillé.
Tel un signe annonciateur, le riff de guitare qui accompagne notre arrivée semble nous avertir que nous pénétrons dans un monde où la testostérone règne en maîtresse absolue. Ainsi, passée une courte introduction mettant en avant le héros du jeu, le bodybuildé Brad Hawk, l'illusion de la mise en scène cède sa place à une réalité autrement plus dure, plus rocailleuse : Urban Reign est un beat'em all assumant à pleins poumons ses choix structurels, synonymes d'un mode Story décomposé en de multiples missions et de divers challenges, en Solo ou en Multijoueur qui ont pour eux de tourner légèrement en rond. De fait, pour palier à l'inévitable sentiment de redite qui s'installe de lui-même après quelques heures de jeu, Namco a misé sur une idée simple, efficace et terriblement économique. En somme, il suffit de prendre le moteur d'un jeu de baston qui a fait ses preuves, par exemple Tekken 5, de lui adjoindre une trentaine de personnages jouables disposant des styles de combat issus d'un gros succès, au hasard Tekken 5, tout en invitant quelques guest stars vues dans un titre de castagne bien connu... Tekken 5, oui, si vous voulez. Au final qu'obtenons-nous ? Un jeu qui respire le Tekken 5, qui a l'esthétique de Tekken 5 tout en étant très différent de Tekken 5. Voilà, vous savez désormais de quoi est fait Urban Reign.
En définitive, il n'est même pas utile de savoir si la méthode de Namco est sujette à polémique vu que ce recyclage ludique profite à tout le monde dans le cas présent. Pourtant, malgré cette volonté affichée de concevoir un jeu entièrement dédié au fun, aux rixes barbares et pêchues, aux empoignades urbaines se faisant l'écho de celles d'un Tony Jaa ou d'un Jet Lee, Urban Reign ne régnera pas longtemps sur l'univers du beat'em all. Ce triste constat incombe surtout à un manque d'ambition dans le propos, une ghettoïsation du genre qui s'enferme ici dans un mode Histoire sans saveur, lassant et à la difficulté mal gérée. D'autant plus frustrant qu'on sent bien que les développeurs ont tout misé sur l'efficacité d'une maniabilité simple en apparence mais plus évoluée que celle de la plupart des beat'em all du marché. Malheureusement, on aura beau y ajouter une augmentation des caractéristiques du personnage, un choix (restreint) dans l'ordre des missions à effectuer et un dynamisme jouissif durant les empoignades, rien n'y fait : Urban Reign est ennuyeux et pousse inexorablement le joueur vers la porte de sortie. Cependant, creusons un peu le fond du problème.
Le principe du mode Histoire est simple : une carte avec plusieurs endroits accessibles vous fait face. Vous devez alors choisir le lieu de votre prochaine virée punitive et respecter les objectifs de missions qui se résument le plus souvent à éliminer tous les ennemis présents ou le "chef de meute". Une fois pris connaissance d'un semblant de synopsis, vous débutez le niveau (qui se déroule dans un environnement fermé) pour enchaîner les clés de bras et les triples lutz piqués avec extension latérale dans le plexus de vos adversaires. Bien que cette frénésie martiale soit communicative, on déplore la structure mal pensée de ce mode. Les environnements tournent vite en rond, puisqu'après une vingtaine de missions, seuls six ou sept lieux peuvent être visités et les objectifs ne se renouvellent pas assez, le plus original étant d'éliminer un ennemi en un temps donné ou de lui briser une jambe, un bras, etc. En sus, la difficulté est bien trop variable en fonction des stages. Ainsi les missions 21 et 24 sont surréalistes dans leur arduité, et quand on sait qu'il y en a encore 76 derrière, on a de quoi frémir.
La déception est donc belle et bien présente, d'autant que la maniabilité permet de réaliser des prises toutes plus incroyables les unes que les autres. Si on commence par de simples enchaînements de coups de poings, on peut très facilement effectuer des choppes (qui varient en fonction de notre position par rapport à l'ennemi), bénéficier de prises particulières lorsqu'on est entouré d'adversaires, esquiver puis contre-attaquer ou miser sur les coups de pied pour réaliser des glissades ou des crocs-en-jambes. Il sera ensuite temps d'achever votre ennemi à terre en le rouant de coups. Pas très fair-play mais plutôt efficace. Par contre, faites bien attention aux ripostes des adversaires qui peuvent sortir des prises spéciales alors qu'ils semblent être à votre merci. Cependant, vous avez vous aussi cette possibilité puisque plus vous aurez donné ou reçu de coups, plus votre jauge de furie (TSP) se remplira rapidement. Ensuite, en appuyant simultanément sur les touches Carré et Triangle, votre personnage effectuera un mouvement très puissant pour clarifier la situation. A tout ceci s'ajoutent des mouvements supplémentaires (coups spéciaux, attaques en piqué, prises aériennes...) qui viendront compléter notre panoplie de justicier. Enfin, à chaque fin de mission vous obtiendrez deux ou trois points de compétence pour booster une de vos 9 caractéristiques (Prise, Robustesse, Attaque armée, Attaque localisée, etc.). A ce sujet, notez que si vous utilisez le plus souvent des attaques basses sur un ennemi dont le point faible est le bas du corps, vous en terminerez plus rapidement. Ceci est également valable pour votre personne d'où l'importance de fortifier le haut et bas du corps ainsi que votre tête. Bref, on s'amuse beaucoup en découvrant tous ces nouveaux mouvements mais ils ne suffisent pas vraiment à relancer l'intérêt d'un mode qui s'enlise et se complaît dans une implacable redite.
On aura donc tôt fait de laisser tomber les modes Défi (qui s'apparente à du Survival) et Libre, permettant simplement de rejouer les stages du mode Histoire, pour s'attarder sur les possibilités Multijoueur. Pour la peine, 32 fighters sont disponibles, chacun s'adonnant à son style de combat favori : boxe, capoeira, kung-fu, muay thai... Tournant autour de 3 modes de jeu (Duel, A main armée, Destruction), on s'en donnera à coeur joie en utilisant notamment des armes (épées, bâtons, tuyaux) pour fracasser son adversaire. Bien entendu, le tout est beaucoup plus drôle si vous trouvez 3 amis avec lesquels faire des matches en équipe, bien pratiques pour réaliser des attaques combinées. Mais au-delà de ces pugilats sanglants et furieux, le soft de Namco n'arrive jamais à contenter l'amateur. Dommage car avec un peu plus d'ambition, on aurait sans doute eu droit à un soft mieux pensé et surtout plus enclin à élever le beatem'all en le rapprochant encore un peu plus du jeu de baston. Et ce ne sont sûrement pas Paul et Law (invités de marque d'Urban Reign) qui diront le contraire. Reste plus qu'à attendre l'ouverture du prochain Iron Fist Tournament...
- Graphismes14/20
La morosité des décors ne flatte pas vraiment la rétine, ce qui est d'autant plus flagrant que les environnements sont au final peu nombreux et tous construits autour d'un même univers urbain. En contrepartie, le moteur de Tekken 5 permet aux personnages de bouger avec une grande souplesse, de porter des coups très puissants et de disposer de plusieurs styles de combat. Enfin, si on devait se risquer à une petite comparaison, on pourrait avancer que le design de Urban Reign est assez proche de celui de Def Jam Fight For NY, ce qui n'est pas un mal.
- Jouabilité15/20
Il est très simple de sortir des enchaînements ou d'effectuer des mouvements, a priori complexes, mais on regrette qu'il n'y a pas de combo-breaker. Des problèmes de visibilité, dus à des éléments masquant les combattants ou une caméra tournant trop vite, ternissent également le tableau. Ceci dit la maniabilité reste bonne, instinctive et fortement jouissive.
- Durée de vie14/20
Le mode Story, composé d'une centaine de missions, sera difficile à boucler compte tenu de certains stages bien trop ardus. Suivent les modes Libre et Défi, sans grand intérêt, et trois challenges Multijoueur (de 1 à 4 participants) décomposés en solo, par équipe et Battle Royale, qui sont assez funs, surtout si vous avez réussi à débloquer les 32 combattants jouables.
- Bande son13/20
Le doublage américain n'a rien d'exceptionnel mais se veut plutôt dans le ton. Les bruitages accentuent bien la puissance des coups et les musiques tendent vers le hard rock pur et dur. Pas grand-chose de plus à signaler.
- Scénario6/20
Hésitant entre la progression d'un Beat Down Fist Of Vengeance et celle d'un Tekken Force, le scénario de Urban Reign a bien du mal à se trouver. Il en ressort d'ailleurs une grande stigmatisation du genre où nous avons les gentils d'un côté et les grands méchants de l'autre.
Urban Reign aurait pu, aurait dû, s'accorder un temps de gestation un peu plus long afin de proposer aux joueurs une construction plus intelligente. En l'état, le jeu de Namco est certes jouissif et jouable mais ce qui ressort le plus est bien cette immense frustration née d'un ennui profond après deux ou trois heures de jeu. La difficulté mal pensée du mode Story n'est pas étrangère à ce triste constat et malgré de bonnes idées, on a plutôt tendance à rester dubitatif devant ce faux frère cadet de Tekken 5.