Imaginez… Imaginez un monde de verdure où le bleu des rivières est aussi pénétrant que celui du ciel. Imaginez un univers totalement vierge qui n'a pas encore été souillé par l'homme moderne. Visualisez ce jardin d'Eden où seul le chant des oiseaux semble côtoyer le bruissement des branches bougeant au gré d'une brise légère. Voilà, vous êtes arrivés sur Skull Island. Libre à vous maintenant de visiter votre nouvelle terre d'accueil qui regorge de charmantes peuplades cannibales, d'insectes géants, de dinosaures carnivores et d'un gorille aussi grand qu'un immeuble…
L'adaptation de King Kong est en soi un véritable casse-tête. Pourquoi ? Eh bien, au-delà de l'attente suscitée par le film de Peter Jackson, son pendant vidéoludique se doit de lui être fidèle pour s'adresser aussi bien aux fans du grand singe qu'au grand public. De fait, comme il est maintenant de coutume, le jeu sort avant le film, ce qui est une bonne façon de savoir ce qui nous attend sur grand écran. A l'inverse, il est également vrai que de nombreux spectateurs/joueurs achèteront le titre d'Ubisoft après avoir vu le long-métrage. Bref, dans les deux cas, l'adaptation se doit d'être de qualité pour faire en sorte que l'industrie vidéoludique soit aussi gagnante que celle cinématographique. Pourtant, à l'heure actuelle, peu de films ont donné des titres exceptionnels. King Kong représente donc un possible salut, d'autant que les conditions dans lesquelles a été réalisé le jeu étaient optimales : de nombreux croquis de Weta Workshop mis à disposition d'Ubisoft pour le design général du soft, implication de Peter Jackson dans le projet, le savoir-faire de Michel Ancel (Rayman, Beyond Good & Evil), etc.
Tout était donc propice pour que King Kong soit un authentique chef-d'oeuvre ou du moins une véritable extension de pixels venant soutenir la production du plus gros blockbuster de cette fin d'année. Et c'est peut-être pour toutes ces raisons qu'on ne peut s'empêcher d'être légèrement déçu par le résultat final qui témoigne pourtant d'une grande sincérité de la part du père de Rayman tout en s'empêtrant dans un certain manque de diversité. Pourtant, n'allez pas croire que je n'ai pas apprécié le jeu, puisque c'est tout le contraire. Comment expliquer alors qu'en parallèle de cet engouement, le goût amer de la déception s'est parfois fait aussi présent que celui plus sucré de la surprise, de l'émerveillement, du plaisir ? A cela, je vois trois raisons principales. La première est due à un manque d'ambitions propres aux situations proposées lors des passages avec Jack. Limitées, elles se résument dans 95% des cas à aller à un bout du niveau pour enflammer une lance, à revenir sur nos pas pour brûler des ronces entravant notre progression puis à repartir à un autre bout du niveau pour chercher un levier qui vous servira enfin à ouvrir une porte une fois retourné en arrière. Cependant, quelques phases plus dynamiques (mais trop disparates), où vous devrez attirer l'attention d'un T-Rex pendant que vos compagnons se fraieront un passage, apportent un vent de fraîcheur salvateur.
La deuxième raison veut que la place laissée à King Kong soit très minime. Pour être précis, vous ne pourrez diriger le gorille que dans 9 scènes sur un total de 39. Frustrant, vu que malgré leur côté minimaliste et bourrin, ces passages sont monstrueusement fun, grâce à la gestuelle de Kong qui est parfaitement rendue ou le déchaînement de violence amené par des empoignades homériques. Le problème du respect de l'oeuvre originale peut être évoqué mais on se dit que quelques concessions n'auraient pas fait de mal pour profiter un peu plus de ces rixes monumentales. On pourra citer le dernier baroud d'honneur à New York mais vu que ces deux chapitres font peine à voir (d'un point de vue graphique et en terme de maniabilité), on préférera ne pas top s'appesantir là-dessus. Enfin, le troisième point tient à la faible longévité du titre qui se termine en moins de 7 heures. Ceci dit, l'occasion de refaire une seconde fois l'aventure vous sera donnée pour débloquer une fin alternative ou d'autres bonus comme des interviews ou des croquis. A ce sujet, on ne peut qu'applaudir la façon dont a été mis en scène le passage en revue des artworks. Ainsi, une fois que vous aurez choisi une galerie d'images, vous vous retrouverez dans une espèce de musée rempli d'artworks dans lequel vous pourrez vous balader. Un détail de qualité synonyme de l'originalité qui englobe toute cette production.
A ce propos, la jouabilité de King Kong témoigne elle aussi d'une grande singularité qui, en plus d'apporter beaucoup de charme et une immersion totale, force le respect. D'ailleurs, il est intéressant de noter que les phases avec Kong sont clairement issues d'un univers cinématographique alors que celles avec Jack Driscoll restent plus ancrées dans un modèle vidéoludique. Dans les deux cas, Michel Ancel a eut la bonne idée d'utiliser le format 16/9, à l'image de ce qui avait été fait avec le fantastique Beyond Godd & Evil. Si cet aspect avait été critiqué (à tort) par nombre de joueurs, on imagine mal faire les mêmes reproches pour une adaptation d'un long-métrage. Le format cinémascope, couplé à une absence d'indications visuelles, renforce donc l'identification à Jack Driscoll qui devient non pas un banal avatar de pixels jouant un rôle mais bel et bien un pauvre hère livré à lui-même dans un monde hostile qu'il ne connaît et comprend pas.
L'ingéniosité de la chose va encore plus loin grâce à une multitude de petites idées toutes bêtes. Par exemple, vous pourrez communiquer avec vos compagnons pour leur demander comment ils vont ou pour échanger des armes. D'accord, les dialogues sont limités, tout comme les armes (au nombre de 4 sans compter les lances ou les os qu'on trouve un peu partout) mais c'est plutôt bien pensé. Ensuite, en appuyant sur une touche, Jack se parlera à lui-même tout en nous renseignant sur le nombre de chargeurs restant. Enfin, lorsque vous aurez une arme blanche entre les mains, il vous suffira d'appuyer sur un bouton pour zoomer et d'utiliser votre doigt comme d'un viseur. La seule chose qui agace un peu dans tout ça provient du fait que vous devrez faire très attention lors des combats. En effet, lorsque vous vous ferez toucher une première fois, votre vision se troublera, le deuxième coup vous rendra encore plus vulnérable alors le troisième sera synonyme de mort. La solution consiste alors à se replier rapidement, le temps de retrouver la forme puis à utiliser tous les moyens mis à sa disposition pour contourner un problème.
Je fais ici référence à la chaîne alimentaire qui vous permettra d'embrocher des insectes pour les jeter en pâture aux prédateurs qui détourneront alors leur attention de votre personne. Libre à vous également de tuer un Venatosaurus, un Raptor ou tout autre petite bébête pour faire en sorte de nourrir l'imposant T-Rex qui s'invitera tout au long de l'aventure. Si ce principe de chaîne alimentaire aurait mérité d'être plus étudié (il est très facile de finir le jeu sans l'utiliser), il permet de progresser plus facilement quand nous sommes à court de munitions. Moins profondes de les séquences de Jack, celles de Kong n'en sont pas moins jouissives. Délaissant l'originalité au profit de la bestialité, la construction de ces scènes joue sur la capacité de Kong à marcher sur les murs ou à se balancer de branche en branche et sur des moments de pure violence où vous devrez venir à bout de plusieurs ennemis. Oui, c'est aussi linéaire que tout le reste mais la gestuelle du gorille ainsi que ses capacités font qu'on prend un malin plaisir à tout ravager sur son passage. Le peu de mouvements (6 au total) est quelque peu regrettable mais ça n'enlève rien au plaisir procuré par tout ce déchaînement de brutalité mis en exergue lors du passage en mode Rage, lui-même sublimé par un filtre graphique très "PoPesque" et un effet de ralenti lorsqu'on frappe un ennemi.
Au final, King Kong possède de réelles tares qui sont d'autant plus dommageables qu'elles auraient pu être évitées. Mais ce qui ressort le plus est sans doute le sentiment d'avoir enfin affaire à une bonne adaptation vidéoludique d'un long-métrage. Le résultat n'est pas exceptionnel, on en fait vite le tour et ce sera sûrement votre part de sensibilité qui fera la différence. Une conclusion un peu désoeuvrée qui n'est pourtant pas le reflet de la qualité globale du jeu. Ceci prouve bien que King Kong est avant tout une histoire de passion et surtout d'imagination. Si vous êtes convaincus dès le départ d'être sur Skull Island, vous ne devriez avoir aucun mal à faire l'aventure d'une traite, bien que le rêve ait tendance à se briser une fois arrivé à New York. Mais au-delà de ces déceptions d'ordre structurelles, la vision de Michel Ancel affiche cette volonté d'aller de l'avant en ne se limitant pas au carcan opportuniste qui s'attarde uniquement sur la forme et une utilisation de licence se réduisant à un nom sur une boîte de jeu. King Kong est avant tout une histoire d'amour entre un gorille et une femme, le jeu vidéo et le septième art, un réalisateur et son oeuvre.
- Graphismes15/20
D'un simple point de vue technique, King Kong n'a rien d'exceptionnel, surtout sur PC où on constate quelques bugs graphiques. Les textures sont moyennes, les effets spéciaux peu convaincants et les décors restent assez vides, surtout celui de New-York qui est très décevant. A l'inverse, la modélisation des dinosaures est réussie et les mouvements de Kong sont fantastiques, surtout lorsque le grand singe se balance d'arbre en arbre. Enfin, la gestion des lumières est fabuleuse et la composition de certains plans vous fera verser une larme de bonheur.
- Jouabilité15/20
L'absence de tout inventaire est une trouvaille de génie pour accentuer l'immersion. C'est d'autant plus vrai que plusieurs astuces (le doigt en tant que viseur, le fait de se parler à soi-même pour connaître le nombre de munitions) permettent de toujours savoir où nous en sommes. En contrepartie, on regrettera la lenteur de déplacement de Jack ou des tirs qui ne font pas mouche alors qu'on est à 50 centimètres d'un monstre. Les phases avec Kong peuvent surprendre au départ (à cause des changements d'angles) mais elles sont malgré tout très jouables et jouissives, nonobstant leur côté basique.
- Durée de vie8/20
Le point faible de King Kong. L'aventure se boucle en 6 heures et si vous désirez voir une fin alternative, vous devrez recommencer la plupart des chapitres afin d'obtenir un certain nombre de points pour débloquer des extras comme de superbes croquis de Weta ou des interviews. Malheureusement, certains bonus sont uniquement débloquables via un code Online, ce qui est plutôt aberrant, car quoi qu'on puisse en penser, tout le monde n'a pas accès au Net à l'heure actuelle.
- Bande son15/20
Les musiques sont emphatiques lors des empoignades mais savent également faire le jeu d'ambiances plus posées avec des compositions reposantes teintées de mystère ou des thèmes aux accents tribaux. Sans être transcendant, le doublage français est de qualité et la gamme étendue de bruitages permet aux dinosaures de prendre vie sous nos yeux ou à Kong de rentrer dans une rage folle en faisant parler sa puissance. Notons aussi le bruit des pas très réaliste, tout comme la respiration de Jack.
- Scénario14/20
On peut imaginer que le jeu est en tout point fidèle au long-métrage de Jackson qui lui-même reprend la trame du film éponyme sorti en 1933. Dès lors, on ne peut pas vraiment reprocher à Ubi. de n'avoir inclus que deux niveaux se déroulant à New York. L'histoire d'amour entre Kong et Ann est éternelle mais on aurait aimé avoir des cinématiques plus travaillées, surtout concernant la fin du jeu qui est bien moins poignante que celle des films.
Si le tandem Jackson/Ancel donne vie à un Kong transis d'amour et plein de fureur, on est un peu déçu de la place offerte au grand singe. La balance entre les deux phases est un peu bancale et c'est d'autant plus flagrant que les passages avec Jack tournent autour de deux seuls types d'objectifs. King Kong est malgré tout un jeu qui se laisse pleinement apprécier (même s'il se finit en 6 petites heures), grâce à une immersion totale qui doit énormément à un gameplay ingénieux, une ambiance fidèlement retranscrite et une passion immodérée de son créateur envers sa créature.