Le domaine du Tactical RPG inspire, depuis de nombreuses années, une crainte sans commune mesure. Persuadés qu'il ne se compose que de titres austères et peu ergonomiques, certains RPGistes amateurs de jeu de rôles classiques, et surtout les novices en la matière, n'osent pénétrer dans ce temple de la stratégie enragée. Rassurons-les, cet univers se peuple de softs mythiques, suscitant passion et admiration. Cependant il est vrai qu'une minorité de ces jeux peut se targuer d'avoir inventé avec joie le mot difficulté. Le meilleur représentant en est d'ailleurs Fire Emblem premier du nom sur GBA, poussant à penser qu'une personne réussissant à terminer l'aventure de ce petit bijou est réellement capable de mener une armée dans la réalité vraie. Cet opus Gamecube s'est-il adouci pour l'occasion de sa sortie ?
Série maintes et maintes fois glorifiée à raison, Fire Emblem évoque depuis sa naissance, un beau jour d'avril 1990, des notions aussi diverses et profondes que le sentiment épique, la volonté de puissance stratégique, ou encore la frustration face à une difficulté parfois difficilement supportable. C'est cet ensemble éclectique et complémentaire qui donne corps à une légende qui ne cesse de se rappeler à nous par la parution quasi annuelle d'épisodes toujours plus aboutis et plus prenants. C'est donc vêtue du long manteau de l'attente avide que cette version Gamecube chevauche vers nous. Habitué depuis de nombreuses lunes à repérer avec attention des minuscules sprites sur des cartes relativement dépouillées en 2D, il est relativement troublant de passer aussi promptement à une représentation 3D, changeant l'approche superficielle du titre, mais pas ses fondements. En effet, soucieux de ne pas perdre les amateurs tout autant que les aventuriers en formation, Intelligent Systems a décidé habilement de conserver un vision suffisamment plane pour simuler une sorte de 2D léchée. De ce fait, si vous pouvez légitimement tourner la caméra (malheureusement seulement à 45 degrés) et observer vos unités détaillées comme jamais, vous ressentirez nettement l'impression de retrouver vos bases issues des épisodes GBA, à peine remaniées par le bond technique effectué. Les maps sont en fait construites à l'identique, affichant un décor de taille imposante dans lequel vos actions seront limitées à une zone particulière, délimitée par un quadrillage plus ou moins voyant selon votre choix. Vous aurez véritablement le sentiment d'apercevoir une sorte de mise au goût du jour des graphismes de la portable de Nintendo, tant les buissons, les places fortes, ou mêmes les maisons semblent identiques malgré un lifting évident. C'est donc dans ce terrain connu que vous allez évoluer au gré de missions suivant de manière drastique la trame scénaristique générale. Focalisée sur une guerre viscérale déclenchée entre deux nations que rien ne disposaient à la guerre, le scénario décline rapidement vers le destin personnel d'Ike, héros charismatique de la province de Crimea, injustement mise à feu et à sang. Une entrée en matière qui, à l'image des Fire Emblem précédents, ne laisse pas pantois d'admiration, mais qui trouve toute sa légitimité dans son influence au coeur de la psychologie développée des divers protagonistes.
Bien qu'un peu trop animé par des réactions purement altruistes parfois moyennement crédibles, Ike s'avèrent particulièrement attachant, se détachant nettement du lot sans toutefois demeurer le plus digne d'intérêt de la bande. En effet, des intervenants comme Shinon détenteur d'une acidité humaine, ou encore Soren ancré dans des positions carriéristes, apportent leur lot de pensées contradictoires dans un contexte quelquefois un tantinet manichéen. C'est en cela que réside l'une des forces de ce Fire Emblem, à savoir proposer des individus riches et diversifiés, réalisant le tour de force de susciter tous une attention amicale. Comme d'habitude, le chara-design s'avère somptueux, appliquant à n'importe quel soldat, archer, ou chevalier, qu'il soit un héros ou un simple exécutant, une aura éminemment attirante. De plus d'un point de vue graphique, le soft de Nintendo, même s'il ne tire pas totalement partie des possibilités de la Gamecube, reste dans une moyenne plutôt élevée. Affichant des textures crédibles et assez détaillées, ainsi qu'une modélisation des personnages et des décors convaincante, ce dernier manque toutefois de personnalité à ce niveau-là, enchaînant des environnements communs, relativement ternes, et sans aucune vie. Seules les phases mettant en scène un affrontement sortent un tant soit peu du lot, permettant de bénéficier d'une animation fluide et bien décomposée, associée à des effets lumineux relatifs aux magies et aux assauts puissants. C'est également les seules parenthèses où vous pourrez apercevoir la version 3D des sublimes artworks ornant les fenêtres de dialogue. Néanmoins, le ton du jeu ne pousse guère à la contemplation. C'est effectivement le combat qui se trouve au centre de vos pérégrinations plus ou moins justifiées.
Reprenant les bases du dernier opus GBA en date sous nos latitudes, le gameplay de Path of Radiance demeure donc fidèle au principe du changement de statut en rapport avec le terrain, à l'ingénieuse commande "sauver" permettant de prendre sous son aile une unité blessée, ou bien au célèbre triangle des armes, définissant les forces et les faiblesses de ces dernières entre elles. Mais il se voit tout de même enrichi de nouveautés apportant des cheminements stratégiques plus poussés. Tout d'abord, et dans un souci de plus grande liberté d'action, vous pourrez découvrir la commande "bousculer", vous autorisant à décaler un autre intervenant d'une case, qu'il soit ami ou ennemi. N'enlevant aucun point de santé, cette action spéciale s'avère particulièrement utile lorsque vous vous trouvez reclu derrière une colonne de soldats peu propices à se déplacer. Pour ce faire il vous incombera de tenir compte de votre poids et de celui de votre cible. Une subtilité de plus à gérer, avec l'arrivée surprise du biorythme, vous indiquant l'état psychique et biologique de chacun de vos hommes afin de les utiliser à bon escient au cours de la bataille. Un concept qui ressemble dans les grandes lignes à ceux de FF Tactics ou de Tactics Ogre : Knight Of Lodis néanmoins plus centrés sur les relations astrologiques. En marge de tout cela, un type inédit de mission se montre au grand jour. Baptisé "Fuir", ce dernier vous impose comme condition d'arriver à vous extirper du champ de bataille en minimisant les pertes, surtout celles de Ike d'ailleurs. Une alternative sympathique, variant un tant soit peu les situations que l'on rencontre de façon un peu trop classique dans divers T-RPG. Mais les deux nouveautés les plus probantes restent l'implémentation d'une nouvelle race de combattants, et l'ajout d'un système de techniques spécifiques à un type et une classe de personnage. Ces dernières offrent en résumé des caractéristiques spéciales comme l'initiative, la contre-attaque ou encore la possibilité d'effectuer un double coup lors de chaque duel. Cela permet donc d'augmenter encore une fois le spectre des variations tactiques, aboutissant maintenant à un jeu d'une complexité rare, et d'un intérêt fascinant. Le peuple original, quant à lui, est composé d'hommes-animaux, capables de se transformer en des bêtes sauvages à leur gré, modifiant dans le même temps leurs statistiques. Nommés Laguz, ceux-ci existent sous trois formes différentes, regroupant les oiseaux, les mammifères et les dragons, et parviennent à renverser des situations présumées désespérées. Une très bonne idée qui aurait mérité une attention un peu plus développée, mais qui ouvre des horizons ludiques notables.
Au final, Fire Emblem : Path Of Radiance suit les traces de ses aînés, apportant dans ses sacoches des innovations, certes en nombre restreint, mais suffisamment riches d'intérêts pour pousser le pauvre amateur de Tactical RPG à souffir une nouvelle fois de sa passion coupable. Donnant accès pour la première fois à un mode facile, qui n'a de facile que le nom je vous rassure, il s'avère de ce fait un tout petit peu plus accessible que ses valeureux ancêtres. Conservant sa fatalité classique imposant l'impossibilité de ressusciter une unité tombée au combat, le titre d'Intelligent Systems se veut encore le parangon de la stratégie âpre dans un écrin de velours. Le seul regret que l'on pourrait émettre concerne, comme évoqué ci-dessus, la qualité graphique de l'ensemble. En effet, si elle n'est pas à proprement parler rédhibitoire, elle tranche nettement avec ce que l'on attendait de l'évolution formelle de cette série si importante. De même, le manque d'émotions sur les visages des personnages provoque parfois un léger décrochement émotionnel par rapport aux paroles prononcées. Mais ce ne sont que des détails pour un titre s'imposant comme l'un des meilleurs T-RPG de cette année. Espérons toutefois qu'Intelligent Systems daigne un jour modifier son interface commençant à se faire un peu vieille. En tout cas le conflit m'appelle.
- Graphismes14/20
Assez décevante pour de la Gamecube, la qualité graphique de Fire Emblem reste toutefois acceptable, se situant dans la moyenne des productions actuelles. Néanmoins, on peut noter un déséquilibre global entre des détails admirables, comme la texture de l'eau ou encore les animations de certaines attaques et d'autres plus problématiques à l'image du manque de finition de certains environnements et personnages. Il faut cependant noter la réussite indubitable des phases de combats, dynamiques et surtout baignées d'effets lumineux probants.
- Jouabilité17/20
Comme à l'accoutumée, la série Fire Emblem ne déçoit pas sur ce point précis. De ce fait, cet opus Gamecube dispose d'un gameplay profond et complexe, tout en étant expliqué très intelligemment durant des tutoriaux particulièrement pédagogiques. D'autre part, les innovations apportées par ce Path Of Radiance densifient encore un peu plus le système de jeu, rendant la moindre incursion au sein d'une bataille terriblement palpitante. Si l'on peut regretter le petit nombre d'ajouts présents, on ne peut que se féliciter des perspectives qu'ils ouvrent.
- Durée de vie15/20
Connaissant la série des Fire Emblem, vous devriez en avoir pour une trentaine d'heures avant de rencontrer le boss final, qui espérons-le sera moins difficile que celui de la version GBA. Cependant, il m'est difficile de juger globalement vu mon avancement. Mais par rapport au nombre total de chapitres et du temps mis à arriver au point où je me suis arrêté, l'estimation de trente heures minium paraît correcte. D'autant qu'il vous sera parfois obligatoire de faire et refaire certaines missions. Des heures de plaisirs et de souffrances en perspectives.
- Bande son14/20
Bien plus convaincante que sur la version GBA, évidemment au niveau sonore général mais également en ce qui concerne les mélodies, la B.O. de Fire Emblem est très homogène, contenant un côté épique clairement mis en avant. Intégrant des thèmes variés et mêlant mélopées mélancoliques et pistes dramatiques un peu redondantes parfois, le soft de Nintendo parvient à nous immerger dans l'ambiance de cette quête guerrière avec brio. Et c'est bien tout ce qu'on lui demande. Malgré tout, il est dommage de ne pas bénéficier de doublages.
- Scénario/
-
Digne successeur des précédentes versions, Fire Emblem : Path Of Radiance réussit le tour de force de se montrer pratiquement aussi bon tout en réservant quelques innovations fort intéressantes, malheureusement en nombre très réduit. Toutefois, ne boudons pas notre plaisir pervers. Toujours aussi peu permissif, passionnant et austère, le soft d'Intelligent Systems parvient une nouvelle fois à atteindre les hauteurs du genre Tactical RPG. Un très bon titre donc, qui malgré ses quelques errances graphiques, s'impose comme l'un des jeux majeurs de la Gamecube cette année. En avant vilaines troupes !