Et si ces cauchemars, incessants, lugubres et malsains n'étaient pas les fruits pourris de votre inconscient ? Seulement des visions, des projections dans une réalité qui est plus proche que vous ne le pensez. Comment de fait garder sa santé mentale intacte, détachée de tout ce sang séché sur des souvenirs terrifiants ? Mon pauvre Jack. Si seulement quelqu'un avait su vous écouter à l'époque, nous ne serions pas à nous terrer dans cette chambre minable. Ne lâchez pas votre couteau. Il est la seule échappatoire qu'il nous reste. Pour notre salut, vivant, ou mort. Le verrou vient de sauter.
S'extirpant de toutes les convenances de la jovialité et de la description d'une existence radieuse, Call Of Cthulhu est le type même de soft s'agrippant à votre gorge pour ne vous lâcher que dans un accès de fureur extrême, ne sachant plus comment exprimer sa violence contenue. Une sorte d'étau nauséabond vous retenant prisonnier de vos terreurs profondes. Basé sur l'oeuvre de Lovecraft, le titre de Bethesda s'évertue en effet à décanter un épais liquide froid et oppressant tout au long de l'aventure, empêchant le joueur de se sentir à son aise. On ne parvient jamais à trouver ne serait-ce qu'un maigre rayon de lumière dans les rues sombres d'Innsmouth, errant dans une sorte d'incarnation du désespoir. Tout est figé, déchirant la maigre chaleur des bougies par des vagues grisonnantes, des murs gangrenés par l'âpreté régnant dans cette ville décédée. Une plongée dans les brumes puantes d'un environnement où les seules valeurs humaines se disputant les esprits sont la haine et la frayeur paranoïaque. C'est donc dans cette ambiance poisseuse mais éminemment prenante que l'aventure de Jack Walters prend forme. Simple détective autrefois contraint à subir les conséquences d'une volonté d'investigation un tantinet trop poussée, il va malgré lui revenir dans les lieux qui ont précédemment détruit son subconscient, faisant de lui un schizophrène patenté. L'occasion de faire une dernière fois la lumière sur la secte de Dagon, et surtout de comprendre l'origine d'apparitions traumatisantes semblant petit à petit envahir la "réalité". Par conséquent il va vous incomber de mener une enquête précise, tout en faisant face à l'animalité des villageois et aux émanations occultes soulevées par votre arrivée. Seules quelques personnes, réfractaires aux trois sermons, accepteront de vous prêter une aide timide, qui se soldera le plus souvent par un achèvement tragique de leur destin. Entre Rebecca Lawrence, réservée, ténébreuse et terriblement sensuelle, rappelant l'image de la femme selon K.Dick, et le pathétique monsieur Waite, pour les principaux protagonistes des prémices de votre quête, vos alliés peuvent se compter sur les doigts d'une seule main. D'autant que, paralysés mentalement par la peur, ils se limiteront à des conseils plus ou moins probants et une implication limitée. Rien ne vous permet alors pleinement de vous extirper du malaise global, et surtout pas la ville elle-même, étroite et menaçante. Certes on peut arguer que cette exiguïté démontre un manque d'attention sur le level-design, mais au vu du travail général sur l'atmosphère, cela serait surprenant.
Autre façon habile de tenir le joueur en haleine, l'implémentation d'un gameplay assez pauvre en action pure, mais empli d'une adrénaline florissante. Plus prosaïquement, vous n'aurez une arme qu'au bout de quelques heures de jeu, rendant les premières séquences intensément effrayantes. Privé de fusil ou de quelque objet offensif que ce soit, vous arpenterez craintivement les longs couloirs et les rues sinistres, tendant l'oreille au moindre râle, ne vous fiant qu'à votre instinct et votre prudence clairement mise en avant. Immersives et intelligemment amenées, ces premières phases horrifiques s'avèrent dignes des passages les plus dérangeants de Silent Hill, même si certains clichés sont à déplorer. Néanmoins, ne pensez pas que la présence d'un soutien psychologique prenant la forme d'un pistolet suffira à évacuer totalement vos frustrations maladives. En effet, votre inventaire, soumis à la règle du poids maximum, ne vous permet pas de ramasser des dizaines de kilos de munitions afin d'exorciser vos démons à coups de chevrotines. Après, je ne sais pas comment le gameplay évolue avec l'apparition du fusil-à-pompe et autres armes "lourdes", mais il serait bien étonnant que le parti pris de départ change totalement. L'accent est donc mis principalement sur la recherche et la fuite. Un point de vue digne du plus grand intérêt, mais qui n'empêche pas certaines lacunes de s'immiscer subrepticement dans un plaisir de jeu profondément haletant. En fait, il est assez troublant de se trouver confronté à des scènes axées totalement sur la vitesse d'exécution et les réflexes alors que l'on est habitué à déambuler placidement dans la morosité sirupeuse d'Innsmouth. D'autant que l'on se rend compte parallèlement des limites de la jouabilité, ne s'adaptant pas vraiment à la précipitation. Toutefois, on pourra se dire que cela s'inscrit dans la volonté de retranscription d'une panique clinique, d'une obligation de réagir sur le vif à un danger inévitable et imminent. C'est une piste très acceptable, mais qui ne retire pas la frustration d'être obligé de recommencer vingt fois certaines séquences étonnamment éprouvantes. Je vous laisse à ce propos découvrir la course-poursuite dans la mission intitulée "l'attaque des hommes-poissons", qui risque fort d'en traumatiser certains.
De plus, vos soudains accès de dynamisme s'avèrent soumis au principe de la perte de repères en cas de démence. En effet, si vous vous trouvez dans des situations difficilement supportables nerveusement parlant, vous aurez tendance à perdre pieds et à vous enfoncer petit à petit dans une folie autodestructrice, qui pourra même vous conduire au suicide. En sus, cet état instable ressurgit sur le rendu graphique, le son et le gameplay. Il vous incombera donc de subir des modifications de couleurs, un alourdissement des commandes, ou encore l'audition de bruits étranges et entêtants. Un concept rappelant dans les grandes lignes celui de Haunting Ground, en moins éreintant. Pour éviter de sombrer définitivement dans ces travers mentaux, vous pourrez évidemment dénicher un "antidote", prenant la forme d'une seringue de morphine, au contenu très limité et à l'utilisation plutôt risquée. D'autre part, la moindre de vos blessures nécessitera une attention appliquée, étant donné que vous ne disposez d'aucune indication à l'écran concernant votre santé. A vous de gérer votre état physique en appliquant des soins sur votre corps, tout en choisissant la partie de votre personne à bander. Une logique réaliste légitimant l'obligation de s'arrêter pour guérir ses entailles ou son esprit, rendant le personnage principal assez gauche, et de ce point de vue humain. Malgré tout, on ne peut s'empêcher de regretter les errances de l'I.A qui se trouvera un peu dépourvue face à un homme se soignant au beau milieu d'un combat, ou bien encore les incohérences des réactions de Jack. Enfin, il est sincèrement dommage de subit littéralement un aspect scripté détestable, ne laissant aucun choix quant à l'appréhension d'une situation. Tous les évènements se déclenchent à un moment précis et de manière analogue, même si l'on parvient à agir différemment à chaque occurrence. Une limitation pesante, qui amène un certain détachement par rapport aux situations rencontrées. Au final donc, Call Of Cthulhu est un titre à ambiance réellement passionnant, innovant (du moins les premières heures), et détenteur d'un cachet très particulier, lui offrant une place à part dans la ludothèque Xbox. Pétri de bonnes idées, il n'en reste pas moins que le titre de Bethesda souffre d'une linéarité scriptée, de défauts de jouabilité et de quelques incohérences. Pourtant on ne peut se retirer aisément de cet univers glauque, retenu par les appendices puissants de Cthulhu, en espérant quelques améliorations pour peut-être une future suite.
- Graphismes14/20
Pas forcément très joli avec des textures peu détaillées et une modélisation légèrement en deçà de ce que l'on attend sur une Xbox, CoC expose par contre une ambiance terriblement accrocheuse, relevant parfois d'un tableau splendidement malsain. La ville, baignée dans son brouillard jaunâtre, laissant percer quelques lumières blafardes est une totale réussite, parvenant à immerger en quelques minutes. De plus, la mise en scène joue habilement avec les peurs ataviques pour proposer un rendu cinématographique probant.
- Jouabilité14/20
Proposant durant les premières heures une appréhension "paisible" du gameplay, sans armes, et donc sans aucune défense psychologique, Call Of Cthulhu se laisse ensuite tenter par les poncifs du FPS, à grands coups de fusil de chasse. Malheureusement, je ne peux vous dire si cela amène un remaniement spécifique. En tout cas, bien équilibrée et surtout en adéquation avec l'ambiance, la jouabilité donne pourtant quelques fois des signes de faiblesse handicapants durant certaines séquences. A noter également des bonnes idées au niveau de la gestion du soin et de l'état mental.
- Durée de vie13/20
Ne pouvant pas vraiment appréhender la durée de vie, je me contenterais de dire que l'enquête reste intéressante à chaque minute, emmenant sur des pistes toujours plus macabres, et ce sans aucun temps mort. Néanmoins, il est dommage de ne pas proposer plus d'énigmes, rendant le titre un peu trop linéaire.
- Bande son15/20
Les compositions musicales sont assez réussies, et même si on ne note pas un thème particulier à mettre en avant, l'ambiance amenée par les sonorités distillées colle parfaitement à la thématique du jeu. Le doublage est quant à lui très réussi, donnant aux personnages une sorte de folie palpable et vraiment dérangeante. Mention spéciale aux murmures du héros lorsqu'il devient fou.
- Scénario14/20
La trame s'avère suffisamment bien diluée pour donner envie d'être suivie avec passion. De même, les nombreuses trouvailles de mise en scène destinées à créer une sensation de malaise se révèlent très réussies, tout autant que le travail sur la variété des situations rencontrées. On regrette juste quelques incohérences scénaristiques, qui sont habilement équilibrées par un découpage utilisant un système de flash-back classique mais efficace.
Loin d'être un grand jeu, Call Of Cthulhu fait partie de ces jeux à ambiance qui prennent vos émotions avec vigueur afin de vous plonger dans un tourbillon d'émotions diverses. Effrayant, dérangeant, déstabilisant, le titre de Bethesda avait tout pour devenir l'un des grands softs de cette fin d'année. Malheureusement, sa jouabilité parfois approximative, ses incohérences et surtout son aspect trop scripté l'empêchent de parvenir à ce statut envié. Dommage, mais l'appel du monstre ne tombera pas dans l'oreille de sourds.