Si Tolkien était encore vivant, déjà ça serait sympa, et ensuite on se demande bien ce qu'il aurait pensé de ce Kingdom Under Fire Heroes. Mettant en scène les conflits mythiques perpétuels entre hommes et elfes, entre elfes et orcs ou entre humains et orcs, de manière à rassembler tous ces peuples sous la même bannière du joyeux massacre, ce soft réutilise les codes de l'héroic-fantasy à une sauce fortement épicée. Ne vous attendez pas à de tendres histoires d'amours impossibles, à des quêtes quasi existentielles ou à des pointes d'humour. Non, KUF dépeint un monde de brutes, certes malines, mais des brutes. Appelé par des sonorités rock très sèches et des cris bestiaux, nul doute que l'amateur d'action va se laisser tenter. Mais faut-il pour autant laisser de côté sa réflexion ?
Fier descendant de la lignée des nombreux Dynasty Warriors, Kingdom Under Fire Heroes ne possède pourtant que ses fondements en commun avec ses valeureux ancêtres. Loin de se dérouler dans les conflits stratégico-politiques de la Chine médiévale, le soft de Phantagram préfère s'immerger dans le mythe et la légende, lui permettant de donner naissance à des univers totalement originaux et des scénarii du même acabit. Vous vous retrouvez donc en plein milieu d'une ère de doutes et d'exécutions massives plus que sommaires, dans laquelle seule l'humanité la plus froide parvient à se tailler un chemin dans d'épaisses ronces. Aux commandes de l'un des sept personnages principaux disponibles, vous allez donc devoir mettre un terme à ces guerres incessantes afin d'imposer un ordre qui sera plus ou moins juste et respectueux selon votre camp de prédilection. Effectivement, chaque intervenant important dispose de sa propre trame, donnant accès au joueur à une multitude de conclusions différentes, allant de la plus idyllique à la plus tragique. Cependant, ne vous méprenez pas, point de manichéisme dans ce titre. Au contraire, vous serez souvent étonné des réflexions des généraux et de leurs commandants durant les phases de dialogue, laissant entrevoir un esprit calculateur et sacrificiel omniprésent, doublé d'une cruauté glacée. Et c'est à vous que revient la lourde tâche de gérer au mieux les conséquences de cette amoralité, par le biais de votre science du combat et de votre sens tactique. Deux qualités qui illumineront non seulement les discours et les manigances, mais également les champs de batailles.
Reprenant en effet librement le système de la version Tactics de Dynasty Warriors, KUF vous propose de diriger vos troupes en tenant compte de leurs forces et faiblesses, mais aussi de l'environnement extérieur. Veillez donc à bien respecter le fait que des cavaliers avancent bien moins rapidement en forêt, mais y sont mieux dissimulés pour contrer les assauts d'archers, ou encore qu'il est préférable de poster des unités utilisant des attaques longue distance sur des collines. Des conseils qui peuvent paraître simplistes, mais qui jouent un rôle prépondérant dans la bonne tenue d'un affrontement. L'ennemi se révèle fort tenace, et il ne sera pas rare qu'une étourderie de votre part se solde par l'encerclement de certains groupes plus faibles, qui se feront d'une part lestement exterminer, et qui vous fourniront un handicap de taille selon les situations. Effectivement, il est peu aisé de s'occuper posément d'une avancée adverse lorsque l'on essaye désespérément de retirer ses soldats spécialistes du maniement de l'arc d'un guet-apens. Il vous faudra nécessairement jeter un oeil avisé sur le déroulement de la situation et réagir rapidement en conséquence. Heureusement, le système de jeu est suffisamment bien pensé pour réduire nettement le stress ressenti dans ce temps réel sans la moindre pause. Ne souhaitez pas profiter d'un arrêt salvateur lors du choix d'un lieu de villégiature, vous seriez amèrement déçu. KUF vous plonge littéralement dans l'action, jusqu'à ne vous accorder aucun répit. Vous allez donc vous voir obligé de jongler entre les changements de corps d'armée, tout en gérant vos déplacements et en vérifiant la position des opposants. Un travail de forçat, qui n'est possible que grâce à un principe très intéressant, comme indiqué ci-dessus. En résumé, vous avez généralement le contrôle de deux à cinq divisions, possédant chacune des caractéristiques propres, que vous pouvez contrôler alternativement par le biais d'un menu clair et informatif. Dès que vous décidez de commander l'une d'entre elles la caméra se braque automatiquement sur cette dernière afin que vous puissiez la placer intelligemment, définir sa stratégie, ou utiliser l'une de ses compétences spéciales (boules de feu, guérison, etc.).
De même, si l'envie vous prend de faire quelques pas, il vous suffira de déployer un curseur de couleur verte sur n'importe quelle zone et de valider votre choix pour apercevoir le résultat. Une idée astucieuse, qui offre le luxe de rendre l'absence de souris beaucoup moins catastrophique. Malgré des premiers pas hésitants et déstabilisés par une telle complexité dans un jeu aux atours d'action, on se fait somme toute promptement à ce choix de gameplay, rendant les batailles rangées intenses et aboutissant à une vision probante de l'envergure véritable des affrontements. D'autant que lorsque vous aurez en main la troupe intégrant le héros que vous avez choisi, vous basculerez alors avec plaisir dans un jeu d'action classique mais féroce. Manipulant votre avatar en armure, la teneur de l'immersion se modifie totalement, resserrant l'issue d'un combat sur vous et vous seul. Pris d'une folie destructrice, vous allez pouvoir enchaîner des combos, faire appel à des alliés lors d'attaques spéciales, ou même utiliser des sorts, éminemment bien rendus par ailleurs. Là encore, on ressent cette impression d'incarnation modélisée du héraut inflexible, jouant sa vie à un contre cent, à la Dynasty Warriors. Un mariage consommé entre stratégie légère et mêlées épiques, qui provoque un plaisir de jeu original et intéressant. Pourtant, il fallait bien qu'un "pourtant" surgisse, de sévères lacunes viennent obscurcir ce tableau. En effet, et les amateurs de tranquillité ludique vont faire un saut de dépit, le système de sauvegarde se révèle assez problématique, ne proposant aucun chekpoint au sein de missions d'une durée approchant parfois la demi-heure voire 45 minutes. Il va sans dire que se faire étriper énerve, mais encore davantage lorsque l'on se voit obligé de rejouer de longues minutes, curieusement bien moins passionnantes la seconde fois. De plus, au sein des niveaux forestiers et/ou vallonnés, la caméra très susceptible passe son temps à se percher au creux des arbres ou derrière des collines, de façon à bien masquer l'action tout en vous obligeant à passer dans une vue plus proche mais nettement moins précise pour la tactique. Enfin, le maniement du pointeur vert pourra parfois opposer une certaine résistance, surtout lorsque l'on souhaite revenir sur ses pas. Frustrant.
On pourrait d'ailleurs faire le même constat de l'apparence graphique qui n'a pas vraiment évoluée depuis le premier opus. Si les personnages sont en général bien modélisés, malgré quelques incrustations peu stables, on ne peut pas en dire autant des décors, cruellement vides, et surtout soumis à une distance d'affichage peu convaincante. Dans une veine similaire, les textures restent approximatives et parfois simplistes, même s'il faut reconnaître que devant l'étendue surprenante de certains environnements, on ne pouvait pas s'attendre à un miracle. Fort heureusement, KUF finit par une note plutôt agréable, offrant un système d'évolution des intervenants assez profond et surtout mettant en scène un arbre des compétences suffisamment étendu pour vous permettre de composer l'armée idéale, habitée par une ou plusieurs classes de guerriers parmi la bonne trentaine disponible. Un aspect RPG appétissant, qui donne encore un peu plus de crédit au soft. Au final, original, ouvert et relativement exhaustif, le soft de Phantagram semble être le compromis idéal entre action viscérale et stratégie. Un constat qui pourrait se vérifier si seulement quelques problèmes de fond ne venaient obscurcir sa destinée. D'autant que la nouveauté est loin d'être présente dans ce qui fait plus figure de suite légère plutôt que de réelle gradation. Mais on reste tout de même sur le goût d'un jeu plus qu'honnête, qui mérite une place de choix dans votre étagère en tek.
- Graphismes15/20
Malgré une profondeur de champ très limitée et des textures pour le moins discutables, KUF reste dans la catégorie supérieure de ce qui se fait sur Xbox. Fluide, laissant exploser des effets de sorts spectaculaires et magnifiques, le titre de Phantagram réussit à convaincre agréablement. De plus, que ce soit au niveau des animations ou de la modélisation générale, on ne peut que signaler un qualité globale on ne peut plus correcte. Espérons que le prochain volet suive l'exemple de Dynasty Warriors 5.
- Jouabilité15/20
KUF contient de très bonnes idées de gameplay, mais peine parfois à les exploiter. Le système général utilisé durant les affrontements est un modèle d'ingéniosité et d'accessibilité, mais il ne peut s'empêcher d'être soumis à une caméra capricieuse et à une certaine confusion lorsque trop d'unités se jettent corps et âme dans la bataille. En revanche, il est très intéressant de bénéficier d'un aspect RPG étonnamment complet, permettant de prolonger l'immersion dans le titre de façon intelligente.
- Durée de vie16/20
Sur ce point précis, KUF va vous prouver que votre pécule a été bien investi. En effet, à travers 7 campagnes toutes aussi dignes d'intérêt les unes que les autres, vous allez entrevoir des conflits très diversifiés et aborder des gameplays plus ou moins dynamiques. De plus, pourvu d'un mode Xbox Live convaincant, ce titre furieux n'a pas fini de hanter vos nuits blanches. Il est toutefois un peu dommage que la durée de vie dépende autant du système de sauvegarde pénalisant.
- Bande son15/20
Totalement dans l'esprit du soft, la bande-son se veut indiscutablement hard-rock, offrant des sonorités âpres et terriblement dynamiques. Certains trouveront peut-être que ce choix ne collent pas avec le côté héroic-fantasy, mais une fois plongé dans l'action, je peux vous garantir que vous vous laisserez agréablement porter. Le doublage est quant à lui dans la veine de l'épisode précédent, c'est à dire correct mais pas très impliqué.
- Scénario15/20
Même si l'histoire en elle-même n'est pas des plus originales, les revirements de situations son nombreux, et l'on prend un malin plaisir à admirer les manipulations politiques des divers chefs d'armées, aussi doués pour la négociation que pour la guerre. De plus, les personnages sortent des caricatures du genre et l'on croise avec contentement des hommes cyniques au possible, mais dont les aspirations sont sincèrement compréhensibles. La mise en scène manque tout de même de rythme, et les plans restent le plus souvent statiques.
Egalant son prédécesseur dans bien des domaines et se révélant même parfois plus complets (nouvelles unités et fonctionnalités), KUF Heroes se laisse néanmoins porter par la facilité. En effet, les modifications ne sont pas légion, et les principaux problèmes déjà décriés sont encore au goût du jour. De plus, la qualité graphique n'a vraiment pas évolué, et commence quelque peu à stagner. Toutefois, et malgré ces problèmes, le titre de Blueside est véritablement un bon investissement, offrant une vision intelligente du jeu d'action et un univers grandement immersif. Si vous désirez revisister Tolkien, vous savez maintenant comment faire.