Ils étaient là. Je savais qu'ils m'épiaient sans se mouvoir, qu'ils enviaient ma vie. Peut-être étaient-ils empreints de souffrances, de désespoirs et de peurs, cherchant leur humanité dans la torture. Comment ressentir cette matérialité, cette force, sans utiliser les instincts les plus bestiaux de l'homme ? Tuer, effrayer, démontrer sa puissance sont les seuls atouts de ces spectres pour oublier leur statut. Et que puis-je faire pour les apaiser, à part utiliser les mêmes stratagèmes ? Suis-je meilleure qu'eux, est-ce que je dois mettre fin à leur immortalité vaporeuse ? La seule chose que je pouvais faire, était d'attendre. Attendre que le bruit de la pluie me tire de mon sommeil.
Si l'on devait rapprocher la série Project Zero d'un genre particulier, il est évident que notre choix se porterait sur le Survival-Horror, brassant la frayeur et le stress dans des ballets terrifiants. Néanmoins, dans ce même domaine, apparaissent des types bien distincts offrant au joueur des expériences viscérales et ataviques différentes, voire un tant soit peu révolutionnaires. A ce propos, il est aisé de détacher deux créatures exsangues des entrailles de l'horreur, à savoir Silent Hill et Siren. La première pour sa focalisation sur le malaise de la disparition et du basculement psychologique, renversant des codes un peu trop exigus, et la seconde pour son invention du puzzle mental, brisant chaque barrière logique par une construction labyrinthique impliquant un besoin de survivre instable. Deux approches dérangeantes, immersives plongeant dans les méandres de la déraison, mais conservant tout de même cet îlot de sécurité froid et métallique, l'arme à feu. De fait, le trio Project Zero pousse le concept bien plus en aval, retirant la seule branche saine d'un arbre racorni, facilitant par la même notre chute. En effet, point d'armes au sens premier du terme dans ce Fatal Frame 3. Votre seul compagnon, votre unique soutien, prend la forme d'un vieil appareil photo supportant les traces rageuses du temps, et loin d'égaler le sentiment de sûreté rapide d'un pistolet. C'est sur ce principe simple que le titre de Tecmo puise l'ensemble de ses ressources narratives et ludiques, induisant un malaise ininterrompu et un rythme de progression bien plus lent que dans nombre de productions du genre SH. Voici la véritable âme de Project Zero 3, vous conduisant à errer, mentalement nu, devenant la proie du moindre souffle, du moindre crissement. Vous savez que vous ne pouvez pas réagir rapidement, vous sentez que vous êtes impuissant, que chaque spectre est un danger potentiel. Une impression qui ne cesse de s'affirmer au gré de la pénétration au coeur d'un univers gris et vide, laissant entrevoir toutes les possibilités, même les plus improbables. Vous êtes seul, désespérément perdu et rongé par d'acides visions, faisant de vos rêves le terrain fertile à une plongée vers la mort.
Effectivement, c'est cette fois par l'intermédiaire de ses songes que Rei Kurosawa va débuter sa marche dans les âpres et vaporeux couloirs d'une bâtisse japonaise typique, sanctuaire de fantômes sensiblement belliqueux. Jeune photo-reporter traumatisée par la mort de son petit ami dans un accident de voiture, la jeune femme, suite à une rencontre évanescente avec son amour spectral, se met en tête de comprendre ce qui se trame dans son esprit et dans ces lieux qui lui semblent familiers. Pour ce faire, elle se voit accompagnée de Miku Hinasaki, l'héroïne de l'épisode original, et plus tard de Kei Amakura, dont le nom de famille devrait rappeler à vous des souvenirs terrifiants. Ce contexte biaisé de réalités rêvées et de songes devenant concrets, permet de perdre le joueur dans des pistes entrelacées, brouillant les certitudes et apposant un sentiment d'insécurité latente, gangrénant même les gestes les plus anodins. Cette enquête va pousser Rei à s'aventurer dans un univers violent, froid, mais qui semble l'appeler, la capturer, par le biais d'étranges tatouages se répandant sur le corps de cette dernière à chaque réveil douloureux. D'autant que vous ne serez accueilli que par une chambre sombre et une pluie tenace et déprimante. Les seules preuves de ces voyages oniriques restent bien évidemment vos photographies, sortes d'exorcisations des spectres rencontrés. Effectivement, et à l'image des précédents opus de la série, le seul moyen de se débarrasser d'un esprit tourmenté, est de le prendre en photo lorsqu'il se matérialise devant vous. Suivant votre manière de le "capturer" et le type de pellicule, vous lui occasionnerez plus ou moins de dégâts, et récupérerez un nombre de points variables. Ces derniers vous serviront d'ailleurs par la suite à faire évoluer certaines compétences de votre appareil, vous permettant de réduire au silence vos ennemis plus rapidement, d'augmenter la puissance de votre argentique ou encore de rajouter des points de "lock" au viseur. D'autant qu'il vous sera possible d'acquérir plusieurs modèles différents, que ce soit au niveau du design ou encore des capacités internes. Un gameplay qui n'évolue donc pas significativement, tout en profitant tout de même des ajouts des versions précédentes.
Pour autant, si le titre ne promet pas de révolution sur le fond, il apparaît nettement plus travaillé sur la forme. Prônant un souci du détail imposant, Poject Zero 3 semble se faire un devoir de distiller chaque petit élément dans une globalité dérangeante. Le moindre objet se voit nimbé d'une sorte d'aura éthérée, se plaçant en tant qu'obstacle à une vision sereine de l'environnement. Chaque meuble, chaque drap suspendu est une cachette plausible pour un spectre, vous obligeant à explorer l'ensemble des pièces par le biais du frêle rayon de lumière de votre lampe-torche. Obnubilé par cette tension omniprésente, vous ne verrez parfois même pas une présence s'immiscer derrière vous, subrepticement. Et même si un sifflement se fait entendre dès qu'un esprit s'approche de votre personne, associé à une coloration de la jauge placée à côté de votre barre de santé, il n'est pas rare de subir une perte de repères importante. En effet, translucides et silencieux, les fantômes s'incrustent parfois idéalement dans les murs et les portes coulissantes, ressemblant plus à une ombre portée de votre lampe qu'à un danger potentiel. De même, n'espérez pas échapper à ces âmes errantes par la simple course. Traversant les parois avec aisance, ces dernières ne se priveront pas de disparaître lentement pour réapparaître dans votre dos. Une ambiance de paranoïa se met donc en place dès lors où chaque objet se voit affublé d'une forme particulière au passage de votre torche. Et cela même les graphismes léchés et la touche artistique sublime du titre ne parviendront à le retirer de votre tête. Bien plus effrayant que ses prédécesseurs, bourré d'idées graphiques et de mise en scène, Project Zero 3 s'annonce comme un épisode de grande qualité, semblant même poser un sceau final sur les promenades ectoplasmiques d'un groupe aux liens amicaux et familiaux trop proches pour susciter la confiance. Il est toutefois dommage de n'avoir que si peu modifié le gameplay. Pour finir, une mention spéciale au sound designer, Atsuo Saitou, qui est parvenu à créer une atmosphère sonore oeuvrant comme un personnage à part entière, accompagnant les pas de Rei avec fidélité.