Qui de l'arme à feu ou de l'épée rend le mieux compte des aspirations de l'homme face à un environnement instable et loin d'être manichéen ? Le pistolet provoque instantanément un basculement, apporte à son porteur une impression de puissance, de domination, immédiate sur les composantes de son monde. C'est l'arme du lointain, de la déshumanisation. La réalité de sa cible ne bondit pas au visage et s'éteint comme par magie, sans effort, sans heurts. Le sabre en revanche ne peut que manipuler l'air, opérant un cycle dirigé vers le sang mais également vers une spiritualité du mouvement, de la paix. Il confronte à la mort, il oblige à poser ses yeux au plus profond de la détresse de l'être que l'existence quitte. N'est-ce pas là la force de la lame ? S'inscrire dans les rouages du monde et en séparer son adversaire. C'est visiblement ce que pense Gojiro, samurai esseulé sur des terres arides.
Effectivement, Samurai Western renverse totalement les codes appliqués à la mythologie du samurai, déplaçant même de continent les aspirations de ce guerrier strict et taciturne. Vous l'aurez aisément compris à la vue du titre du jeu, vous voici en face d'un mélange original et risqué entre l'univers riche et mélancolique du Far-West et les codes du Japon médiéval. De ce fait, et même si cela reste surprenant, on se fait rapidement à la vision d'un jeune homme vêtu d'une longue tunique recouvrant son kimono poussiéreux rentrant dans un saloon à la manière d'un cow-boy notoire. Curieusement donc, cet élixir astucieux pousse davantage à la curiosité qu'à la fuite, mêlant deux inspirations qui se rapproche aisément dans le fond lorsqu'on y réfléchit un tant soit peu. De plus la mise en commun de deux styles majeurs de la production cinématographique des années 60-70 octroie un cachet véritablement particulier au titre de Spike, une sorte d'aura apaisante, changeant de la facilité habituelle dans le cas de la construction d'univers. On plonge alors lestement à la suite de Gojiro dans une ambiance rehaussée de légers accents de Kill Bill Volume 2, associée à une réflexion de la quête et de la conservation d'un patrimoine personnel analogue à celle de Kung-Fu. Le samurai n'est pas soumis aux moeurs d'un pays, c'est un état, un esprit qui avance dans un univers sans y poser vraiment le pied. Est-ce la bonne solution ? Vous trouverez la réponse dans les paroles de votre frère Rando, fermement opposé à la vision psychologique un tant soit peu fermée d'un guerrier rompu à des enseignements aliénants. C'est d'ailleurs à cause de cette division d'opinion que votre longue errance a débuté. Une croisade pour l'honneur qui ne prendra fin qu'à la mort de l'un des deux frères. Une entrée en matière pessimiste et violente, à l'image de la ville délaissée et emplie de haine dans laquelle vous effectuez vos premiers pas d'étranger. Et les pieds-tendres, dans l'Amérique de la fin du 19ème siècle, ne connaissent souvent pas un avenir radieux.
En effet, vos talents de samurai vont devoir rapidement être mis en pratique dans le simple but de vous assurer une existence supportable au sein de la poussière soulevée par le pas rapide des chevaux. Faisant suite à Way Of The Samurai 2, sans en reprendre la trame, Samurai Western en modifie également le principe de jeu, et surtout le schéma de progression. Là où le premier proposait des combats au sabre d'un réalisme poussé, ainsi qu'une exploration dirigée par vos choix et vos accointances avec les divers personnages à la manière d'un RPG, le second se contente d'offrir une sorte de beat'em all découpé en zones d'affrontement, et complètement détaché d'une quelconque interaction avec la populasse. Néanmoins, il gagne énormément en dynamisme et met en exergue une possible alternative à une série de qualité, mais peut-être un peu trop stagnante dans son évolution. En fait, au lieu d'incarner un homme empreint de sagesse combative, attendant la moindre ouverture pour dégainer une lame vive et précise, vous dirigez une espèce de surhomme extrêmement rapide, capable de dévier les balles d'un mouvement de sabre et d'esquiver une rafale entière de mitraillette par un simple pas de côté. Si vous voulez un point de comparaison, on a réellement l'impression de revêtir le rôle du ninja de Metal Gear Solid, sans son exosquelette et sa folie dépressive. De ce fait, il est évident que l'on s'immerge pratiquement instantanément dans une fascination guidée par un sentiment de supériorité évident. Rien ne paraît impossible, et l'on prend un plaisir probant à se jeter contre un mur d'hommes armés pénétré de l'espoir d'afficher sa puissance avec style.
D'une simple pression sur R1 vous pouvez en effet effectuer un tour sur vous-même, vous autorisant par là même à passer au travers de n'importe quelle barrière de projectiles divers. Mais comme la vitesse seule ne vous permet en aucun cas de porter à bien votre mission personnelle, vous disposez en sus d'attaques particulièrement létales, prenant la forme d'enchaînements certes peu variés, mais on ne peut plus impressionnants. Se diversifiant selon l'inclinaison du stick analogique et le nombre de pression sur la touche correspondante, ces derniers font montre d'une force différente selon le moment où vous les sollicitez. Par exemple, vous pourrez éliminer un opposant en une seule coupe, si tant est que vous ayez esquivé tous ses tirs juste avant, ou en un nombre réduit d'assauts si vous parvenez à continuer votre combinaison une fois votre antagoniste au-dessus du sol. En outre, et une fois que votre jauge maître, située juste sous la barre de vie, se voit remplie par vos actions (esquives et coups offensifs), il vous est offert le pouvoir de déclencher une attaque spéciale plus que renversante. Vous entrez en fait dans une sorte de transe meurtrière, accompagnée d'un effet de flou emplissant l'écran, et marquant chacun de vos actes par un kanji s'affichant massivement devant vos yeux surpris. Dans cette configuration, vous êtes invincible, encore plus véloce que d'habitude, et surtout vous avez la capacité de tuer n'importe qui en un unique heurt, sachant que si vous coordonnez bien le moment où vous exécutez un opposant, votre jauge remontera un tantinet, vous permettant de poursuivre votre folie destructrice. Véritable tornade sanglante, vous bondissez de gardes en gardes sans une once de délai, ne laissant aucune échappatoire à vos cibles. Jouissif, mais très violent.
Une fois apaisé, il vous faudra bien trouver une occupation saine. Que diriez-vous de la contemplation paisible des décors ouverts et ocres de ce Far-West provenant en droite ligne de la vision qu'en a eu Sergio Leone ? Une activité certes saine, mais qui révèle la plus grosse lacune du soft d'Acquire. A l'image des différents Tenchu, furieusement intéressants, mais désespérément dénués de toute attraction graphique, Samurai Western s'avère recouvert d'un goudron tenace suivi de plumes trop épaisses pour dévoiler ce que l'on peut décemment attendre d'une production PS2. Entre des bugs de collision en pagaille, des personnages bloqués par un ou plusieurs éléments décoratifs, ou encore une gestion des projectiles laissant sérieusement à désirer, on ne peut pas dire que Spike parvienne à nous faire oublier ses erreurs récurrentes. Toutefois, et malgré ces tares, l'environnement même, l'ambiance originale, font que l'on s'implique naturellement dans le monde bigarré de Samurai Western sans vraiment d'a priori tenaces. De plus, les personnages principaux, du moins le héros et son frère, voire les "Faceless" possèdent suffisamment de charisme pour provoquer un attachement notable, d'autant que ce sont les seuls à exposer une finition correcte, cachant leur manque de polygones habilement et disposant d'une animation convenable. Pour finir, et même si les décors souffrent de textures parfois simplistes et dans l'ensemble relativement moyennes, on ne peut en dire autant des arrières-plans plongeant agréablement dans l'atmosphère, mêlant lointaines collines aux teintes pastels, et couchés de soleil emportant dans leurs sillons l'ombre des westerns spaghetti et un soupçon de Trigun. En effet, comment ne pas voir certains germes de cette excellente série (possédant l'une des scènes les plus fortes de l'histoire de la série animée japonaise), dans l'aspect un tant soit peu "délirant" de Samurai Western. Effectivement, au gré de votre montée en expérience et des objets qui vous sont attribués en fin de mission suivant votre score, vous avez le pouvoir de grimer Gojiro de manière complètement loufoque, avec une coupe afro et un luth dans le dos par exemple, tout en sachant que chacun de ses items augmentent vos caractéristiques. A vous donc de choisir le bon équipement sans dépasser les limites de poids supporté, et d'aller à la rencontre d'un malfrat caricatural et moustachu, d'un shérif noir on ne peut plus cliché et d'un rédempteur de tort à la Wyatt Earp. Un manque de sérieux affiché donc, mais qui ne parvient tout de même pas à rehausser l'intérêt général du titre qui s'essouffle rapidement. Peu de modifications de gameplay, un nombre de missions réduit (seulement 16), un aspect peu convaincant, et surtout l'impression la plupart du temps la même chose. Au final donc, Samurai Western n'est pas un mauvais jeu, mais décevra les amoureux de Way Of The Samurai 2. Ceux qui le prendront en oubliant ce grand frère de renom pourront en revanche découvrir un parti-pris original au service d'un dynamisme de tous les instants. Si seulement le fond avait été plus conséquent, nous aurions eu là une très bonne surprise. Dommage.
- Graphismes10/20
Accumulant de nombreuses carences dans ce domaine, Samurai Western se détache nettement des productions récentes oeuvrant sur PS2 et se rapproche plus des titres parus lors de l'arrivée sur le marché du monolithe. Pourtant, le titre de Spike parvient à créer un univers attachant, mêlant avec originalité la mythologie des samurai et la rigueur décadente du Far-West. Il est du coup fort dommage d'observer des bugs en pagaille et l'utilisation de textures très pauvres. Heureusement que Gojiro et Rando sont charismatiques.
- Jouabilité14/20
Dynamisme et puissance sont les maîtres mots du gameplay de Samurai Western. Diriger un Gojiro se déplaçant avec une aisance surhumaine, bondissant de cibles en cibles sans ne subir aucun dégât, une ombre virevoltante distribuant des coups de sabre. Intuitive et fascinante la jouabilité du titre d'Acquire n'est donc pas du tout à remettre en cause, offrant des phases de bravoures majestueuses, mais plutôt sa mauvaise exploitation et son absence d'évolution au gré du jeu. Un écueil conséquent qui lassera sans doute de nombreux joueurs.
- Durée de vie12/20
Malgré le nombre de niveaux réduit, et le peu de temps qu'il vous faudra pour venir à bout de l'aventure, Samurai Western vous réserve quand même quelques petites surprises comme des stages inédits une fois un certain évènement dépassé, ainsi que la possibilité de jouer à deux et de participer au mode survie. En revanche, et même si l'aventure reste agréable à terminer, ce n'est pas sûr que vous y reveniez par pur plaisir.
- Bande son14/20
Certains thèmes sont vraiment agréables à écouter, mêlant adroitement mélodies inspirées des westerns des années 70 et petites notes discrètes empruntant à la culture musicale japonaise. Cette audacieuse alchimie ne passe pas à tous les coups, mais apporte une ambiance musicale différente et surprenante sans provoquer de mise sur la défensive. Le doublage est quant à lui un peu en retrait, laissant parfois les personnages seuls face à une réplique ne sonnant pas en accord avec la scène. Mais c'est suffisamment rare pour ne pas interférer.
- Scénario11/20
La trame en elle-même n'est basée que sur la rivalité de deux frères, se muant en une vengeance destinée à laver l'honneur d'un samurai déchu. Un classicisme imposant donc, mais qui ne nuit pas forcément dans le suivi de l'histoire. La mise en scène est quant à elle de bonne qualité, offrant des plans traditionnels directement issus des westerns spaghettis, jouant sur les premiers/seconds plans, et mettant en exergue la vision des armes à feu à la ceinture. Sympathique.
Petite surprise que ce Samurai Western, s'offrant le rôle d'outsider à la prise de risque conséquente. Prenant le parti de mélanger deux genres bien distincts par le biais d'une modification radicale au sein d'une série bien installée, le soft de Spike réussi presque son pari. Plaisant à jouer et pétri d'actions de bravoures, il pêche néanmoins par une mauvaise exploitation de son gameplay et son aspect graphique discutable. Mais pour un jeu à prix moyen, et qui plus est sans prétention, Samurai Western se laisse apprécier... avec pas mal de recul. Quand Clint rencontre Musashi.