Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j'ai beaucoup de mal à entretenir une correspondance avec des amis perdus de vue. Il faut toujours que ce soit eux qui fassent le premier pas et se manifestent par un mail, un coup de fil ou même une visite impromptue. Conker, lui, ça fait bien quatre ans que je ne l'ai plus vu. Malgré les bons moments passés ensemble à rire de blagues idiotes, nos voies se sont séparées et je n'ai plus jamais entendu parler de lui. Jusqu'à ce que j'apprenne qu'il préparait en fait son grand retour et qu'il prévoyait même de m'apporter quelques cadeaux. Là, ça fait une bonne semaine qu'il squatte chez moi, et c'est comme si on ne s'était jamais quitté.
Pour bien comprendre pourquoi on est si content de retrouver Conker, il faut se replonger quatre ans en arrière. La PS2 venait tout juste de sortir, la Xbox et la GameCube n'allaient pas tarder à pointer le bout de leur nez, et à côté, la N64 vivait ses derniers mois tant bien que mal. A l'époque, mais c'est encore valable aujourd'hui, Nintendo entretenait des valeurs dites positives, les jeux N64 visaient un public large, jamais un mot de travers pour ne froisser personne. Puis est arrivé Conker. Oh bien sûr, au départ tout le monde pensait qu'il s'agissait d'un énième jeu de plates-formes puisque directement issu de Rare, déjà géniteur des superbes Banjo & Kazooie et Donkey Kong 64. Il faut dire que dans le fond, personne n'avait tort sur ce point là. Conker Bad Fur Day partageait la même patte graphique que ses illustres aînés, les premières images étaient d'ailleurs là pour le confirmer : un monde tout mignon dans lequel vivait un écureuil non moins craquant, avec des fleurs colorées et des insectes tout gentils. On imaginait même déjà les musiques guillerettes qui enroberaient probablement le tout. Finalement, le jeu est sorti. Rien, mais alors rien du tout n'aurait pu nous préparer à un tel choc. Irrévérencieux, grossier, scato, gore, mais surtout diablement amusant, Conker avait réussi à lui tout seul à chambouler la philosophie menée depuis toujours par Nintendo. Tout ce que Big N avait soigneusement évité pendant de longues années, Conker l'exposait au grand jour. Un coup de génie sans précédent, et malheureusement sans suite non plus. Puis vous connaissez l'histoire, Rare est passé sous l'escarcelle de Microsoft, annonçant que Conker ferait un retour sur Xbox dans une version entièrement remaniée et s'ouvrant davantage aux joies du online.
Inutile de nier que Conker Live & Reloaded tourne depuis plus d'une semaine dans les consoles de la rédac, chacun ayant envie de voir comment se porte désormais l'écureuil après cette longue absence. Je ne vous cache pas non plus que le jeu nous aura laissé réellement perplexes. De la même manière qu'on ne sait pas réellement si la N-Gage est un téléphone-console, ou une console-téléphone, on s'interroge pour savoir si Conker Live & Reloaded est un jeu solo avec des modes multi, ou un jeu multi avec un mode solo. En gros, c'est comme un Big Mac bien tassé, on ne sait pas bien par quel côté l'attaquer... Les joueurs ayant connu le Conker N64 devraient logiquement opter pour la première possibilité, mais il n'est pas dit que ceux qui arrivent avec un oeil neuf partagent cet avis. Il faut dire que tout est fait pour mettre le multi bien en avant. On allume le jeu, et hop, la séquence d'intro nous montre le jeu online ! Même le menu principal nous dirige directement vers les options Xbox LIVE. Reconnaissez que ce n'est pas banal, presque déroutant. Pourtant, en grand rebelle que je suis, je ne vais pas suivre cette idée, et je vous parlerai d'abord du mode solo. Na !
Ah quel bonheur de revoir Conker assis sur son trône, le regard vide et la couronne mal vissée sur sa tête ! Rien que cette première image nous renvoie à nos bons souvenirs, à la joyeuse foire que seront les futurs niveaux et à tous les moments d'anthologie que l'on s'apprête à (re)vivre. Conker nous raconte son histoire, il nous expose comment une simple soirée trop arrosée a modifié à jamais le cours de son existence. Trop beurré pour retrouver le chemin de son petit chez lui, l'écureuil va commencer par errer sans but, tapant la discute avec ceux qu'il croisera. Par la suite, il offrira ses services contre quelques billets verts à quiconque voudra de lui. Sur le principe, Conker a tout d'un jeu de plates-formes classique. Notre personnage marche, court, saute, plane en tournoyant de la queue, nage et frappe ceux qui se mettent en travers de son chemin. Oui, mais voilà, Rare a pris soin de brouiller les pistes. Si l'esthétique renvoie entièrement à un jeu tout mimi, le propos est tout autre. Tour à tour, Conker va devoir rebondir sur la poitrine gonflée d'un(e) tournesol, gaver de sang une chauve-souris, braquer une banque, castrer une chaudière, pisser sur des diablotins en feu, et même barboter dans du caca. Le titre se joue de toutes les règles de bienséance et n'hésite jamais à aller le plus loin possible dans son insolant délire.
Le pire c'est que ça marche du tonnerre ! Pas seulement parce que les mécaniques sont parfaitement rodées, mais surtout parce qu'aussi répugnant qu'il puisse être à certains moments, et aussi grossiers que les dialogues puissent sonner, le contraste séparant le fond de la forme fait que l'on revient constamment à la manette. Pas évident de rester de marbre lorsqu'on voit (et qu'on entend) un joli petit animal nous sortir les pires insanités, lorsqu'on le voit courir après des liasses de billets vagabondes, ou lorsqu'on le voit exploser la tête d'ours en peluche dans une guerre sans merci. Disons aussi que tout est mis en oeuvre pour que l'on se marre devant notre écran. Bon, si on ne réagira pas forcément à toutes les situations (l'humour principalement logé sous la ceinture ratisse quand même large), on se plaît à tenter de reconnaître toutes les références distillées au gré des niveaux. Et croyez-moi, elles sont nombreuses ! Les parodies vont bon train, égratignant sans discrimination le soldat Ryan, Terminator, Van Helsing, Matrix ou encore Alien. On ne se lasse pas de ces scènes, ni de la façon dont elles sont amenées. Vu de loin, on pourrait croire à une succession de niveaux sans rapport les uns avec les autres - c'est vrai qu'il y a un peu de ça, pourtant tout s'enchaîne sans mal pour nous conduire petit à petit vers le bout du chemin. Comptez à ce propos une quinzaine d'heures pour accomplir le mode solo, ce qui reste très raisonnable, compte tenu du genre.
Viennent alors les modes multi qui, par définition, sont là pour gonfler considérablement la durée de vie. Rare semble avoir pensé à tout puisqu'on pourra goûter au multi en LIVE, en réseau, ou même sur une seule console en écran splitté (deux joueurs, coopératif et duel). Quelle que soit la configuration les enjeux restent les mêmes, il va falloir choisir son camp entre le HCE (les écureuils) et les Tediz (l'armée d'ours en peluche), puis piocher la map sur laquelle on veut jouer. Comme pour le jeu solo, les références sont partout, jusque dans le nom des cartes (Les Trois Tours, Doon, Un Pont Trop Etroit ou encore le château de Tedistein). On peut cependant regretter qu'il n'y en ait que 8 en tout et pour tout, et que chacune d'elle soit instantanément associée à un type de jeu bien précis. C'est-à-dire que derrière Les Trois Tours se cache un mode domination et que la map Un Pont Trop Etroit soit uniquement dédiée à un Capture The Flag. Les règles de missions ne sont d'ailleurs jamais très claires, ce n'est qu'en pratiquant les niveaux que l'on comprend leur but. Il aurait été judicieux de placer des petits commentaires dans la notice pour qu'on sache exactement à quoi s'attendre en lançant une partie pour la première fois. Enfin, cela n'est pas gravissime non plus.
Le multijoueur se joue essentiellement par équipe. Chaque joueur peut accéder à tout moment à 6 classes de personnages répartis selon les caractéristiques habituelles. On trouve ainsi des brutos (polyvalents), des mouchards (sorte de ninjas habiles et rapides), des démolisseurs (pour détruire, quoi), des scouts (snipers), des jockeys du ciel (pilotes d'engins volants) et des thermophiles (spécialistes du lance-flammes). Chacun dispose d'une panoplie d'armes et de mouvements spécifiques, lui permettant d'intervenir dans des situations bien définies. On note, cela dit, un léger déséquilibre dans les classes privilégiant peut-être les mouchards par rapport aux autres. Le risque étant de voir se développer sur le net des équipes entières de mouchards... Malheureusement, ceci n'est pas le défaut principal du multi. Le plus gros souci reste très certainement la confusion qui règne sur le champ de bataille. Entre les écureuils et les Tediz, difficile en effet de savoir qui est qui puisque tous les noms de joueurs se superposent les uns sur les autres dans une bouillie peu lisible. Le seul moyen de savoir qui se trouve en face est de s'approcher assez près pour voir la couleur des poils (gris pour les écureuils, marron pour les ours) ou de chercher une éventuelle queue (seuls les écureuils en ont). C'est un petit peu dommage d'en arriver là alors qu'un système plus approprié aurait permis de corriger ce détail.
Des soucis, on en rencontre également dans le mode solo. Des petits ennuis qui, mis bout à bout, parviennent à perturber l'entrain avec lequel on prend la manette. Tout d'abord, la maniabilité n'est pas optimale. Il n'est pas rare de devoir recommencer des dizaines de fois le même passage parce que la caméra n'aura pas permis d'apprécier correctement les distances ou ne nous aura pas guidé convenablement vers le droit chemin (je pense notamment aux zones aquatiques). Dans un autre registre, on a souvent la sale impression de devoir s'en remettre à la chance pour espérer franchir une étape (merci le dinosaure dans la course sur lave...). Frustrantes, énervantes et par moment même désespérantes, ces contrariétés étaient déjà présentes dans l'édition originale. Remake ou pas, on auraient donc souhaité qu'elles soient gommées aujourd'hui et que les efforts ne se soient pas uniquement centrés sur les graphismes. Certes, c'est bien plus agréable à regarder qu'avant (c'était pourtant déjà bien beau sur N64), avec des effets de fourrures, d'eau et de flammes franchement réussis, mais il aurait aussi fallu s'attarder sur ces détails qui font maintenant tache d'huile - surtout après les longues années qu'il a fallu attendre avant de pouvoir retoucher à Conker. Une petite pointe de déception donc, qui modère légèrement l'énorme plaisir qu'on se fait de retrouver l'écureuil le plus grossier de la terre.
- Graphismes17/20
C'est vrai que c'est joli tout ça, c'est plein de vie et de couleurs partout. Par rapport à la version N64, Conker ne gagne pas seulement un short, mais de la vraie fourrure et une animation plus fluide. Si certaines textures sont moins réussies que d'autres, si on retrouve aussi quelques modélisations trop anguleuses (un héritage de l'édition précédente), on reste tout de même sous le charme du design général et de l'humour que dégage chaque personnage. Le multi ne souffre d'aucune baisse de frame-rate, et ça c'est bien !
- Jouabilité14/20
Si la plupart des éléments ont su tirer profit de ce remake, la jouabilité reste le point sensible. On y retrouve des défauts qui pouvaient passer il y a quatre ans mais qui coincent aujourd'hui : caméras mal placées, hasard trop présent. Dommage car le gameplay se paye le luxe de toucher à beaucoup de styles différents (plates-formes, action, course, shoot). On déplore aussi une action trop confuse dans les modes multi.
- Durée de vie16/20
Bien que le mode solo soit déjà suffisamment long pour vous occuper un petit moment, on aurait aimé que le multi fasse réellement exploser la durée de vie. Si on arrive à passer outre la confusion des combats, ce sera bien le cas, sinon, on se contentera du solo.
- Bande son17/20
Un énorme boulot a été effectué sur la bande-son. Les musiques sont absolument géniales mêlant allègrement les genres (jazz, flamenco, country...). Mention spéciale à l'opérette du gros tas de caca ! Difficile de dire si les voix sont celles de la version N64 (mais c'est très probable), en tout cas, elles passent encore une fois à la perfection. Le point négatif, c'est qu'elles sont en anglais. Pour suivre les dialogues, il faudra donc lire les sous-titres français. On note vers la fin du jeu des coupures de son, légères, mais tout de même désagréables.
- Scénario17/20
Le scénario ne connaît aucun temps mort, on est entraîné d'un délire à l'autre sans se poser de question. On rencontre une galerie de personnages totalement barrés qui nous confient des missions débiles mais parfaitement dans le ton déjanté du jeu.
Malgré ses problèmes de jouabilité, Conker reste un très bon jeu de plates-formes, à l'humour corrosif et à la réalisation soignée. Le mode multi n'apporte pas autant qu'on l'espérait, mais il reste tout de même un plus appréciable. Oh ben tiens, d'un coup d'un seul je viens de répondre à la question initiale : Conker Live & Reloaded est bien un excellent jeu solo comprenant des modes multi un poil fouillis. Voilà qui est réglé.