Après les prestations remarquées des trois opus GBA disponibles à ce jour, la série Fire Emblem opère un retour au sein de son premier amour, à savoir l'univers de la console de salon. Délaissant l'épopée de Roy et de son père Eliwood, que nombre d'entre vous connaissent, l'aventure déclinée sur la vaillante Gamecube se focalise sur une trame scénaristique inédite, plaçant comme héros principal un chevalier de grand talent portant le doux nom de Ike. Charismatique et arborant un regard sombre ne scrutant que peu les vagues ondes du rêve, ce dernier semble trouver dans le combat qu'il va devoir mener une sorte de rage le libérant d'on ne sait quelle blessure. Néanmoins ce n'est plus à vous d'être le commandant d'une troupe rebelle désireuse d'instaurer une ère de paix durable. Votre remplaçant se nomme Grei et s'avère être le compagnon fidèle de Ike. Mais cela ne nuit-il pas à l'immersion ?
La réponse différera sûrement d'une personne à l'autre, mais objectivement la différence se fait sentir. Lorsque l'on a goûté à Baten Kaitos et aux opus GBA de la série qui nous intéresse aujourd'hui (du moins les deux premiers), on ressent réellement un vide dans le rapport que l'on entretient avec l'équipe de combattants que l'on dirige. Etre interpellé fréquemment par des personnes qui doutent, qui possèdent un recul sur les évènements aboutissant à un désir de dialogue, est une expérience à part entière qui insère idéalement le joueur dans une ambiance et un monde particulier. Cette proximité émotionnelle, assez révolutionnaire dans le principe, conférait une relation unique avec des titres possédant déjà un potentiel ludique véritablement important. Toutefois, si cet aspect ne pénalise pas du tout le titre d'Intelligent Systems, il demeure en tant qu'une sorte de légère faille dans la tactique d'immersion. Dommage. Mais le corps du soft ne se terre pas en ces lieux, se complaisant visiblement bien mieux dans la puissance incontestable d'un gameplay passionnant à de nombreux égards, même s'il n'innove pas complètement par rapport aux versions antérieures. En effet, Fire Emblem : Sôen No Kiseki revêt le manteau classieux d'un genre peu représenté sous nos latitudes, et désigné par le terme technique de T-RPG. Cette dénomination, signifiant Tactical-RPG, implique de ce fait une immense part laissée à la gestion et à la mise ne place de stratégies à grande échelles. Effectivement, n'espérez pas visiter des villages ou discuter avec des habitants afin de secrètement fouiller leur maison de fond en comble. La particularité des jeu de rôle tactiques est en fait de ne pas proposer de phases réelles d'explorations, mais un enchaînement de combats entrecoupés de phases scénarisées. Votre priorité est donc la formation d'une armée compétente afin de progresser sans trop de heurts dans un monde où la guerre est la définition même de l'existence. Toutefois, et à la grande différence de la majorité des T-RPG, le thème de la mort violente et définitive hante les zones d'affrontements du soft estampillé Nintendo. Oubliez rapidement les "queues de phénix", et les divers sorts de résurrection, car lorsqu'un personnage décède dans Fire Emblem, son sort est scellé à jamais. Vous ne trouverez aucun moyen de le ramener à la vie. D'où la difficulté légendaire accolée au patronyme de cette saga.
Vous aurez donc compris que le hasard doit impérativement être laissé de côté, et qu'une parfaite vision du jeu s'impose rapidement comme seul échappatoire. A vous de ce fait de gérer au mieux les déplacements et les attaques de vos troupes. Basées sur une zone de pugilat découpée en cases, ces dernières ne peuvent se déplacer que dans des limites qui leur sont imposées par leur classe et l'environnement. Il faut alors prendre en compte les capacités de mouvements de l'ennemi dans le but d'éviter de laisser une de vos faibles unités à portée d'assauts. Dans la même optique, et à la manière des échecs, il vous incombera de prévoir à l'avance les coups de vos antagonistes afin de réagir au plus vite, sans exposer un flanc offrant une brèche dans votre défense. Cela peut paraître un tantinet exagéré, mais lorsque l'on remarque que l'un des ses meilleurs éléments est sur le point de mourir à l'orée du second tour, un questionnement immédiat vient à l'esprit. Extrêmement stratégique, Fire Emblem n'en oublie pas pour autant de proposer des phases de "repos" concernant l'une des occupations principales du soft, à savoir l'entretien de vos fiers combattants. En effet, au début de chaque assaut, vous devrez porter une attention particulière aux objets détenus par chacune de vos recrues afin de mettre en place des échanges entre ces dernières, ainsi qu'à la bonne tenue de votre stock d'armes et de "compétences". En fait, et ce de manière logique, les lames ornant votre inventaire de leur finesse macabre, s'abîment au fil du temps, jusqu'à se briser après un nombre d'utilisations défini, inscrit juste à droite du nom de l'outil offensif en question. En chef averti et sage, le remplacement des épées, lances et haches défectueuses se placera en bonne place sur votre plan tactique. Il est effectivement embêtant de se trouver sans moyen de défense en plein milieu d'une bataille. Et même s'il vous est possible de favoriser les transferts entre unité au sein d'un pugilat, vous ne serez jamais certain de dénicher votre bonheur dans les larges poches de l'un de vos amis de fortune. Sauf bien entendu si vous aviez prévu cela dans votre manoeuvre militaire. L'arrivée de la possibilité d'acquérir des capacités spécifiques avec l'expérience est quant à elle une nouveauté bienvenue, même si elle se révèle sans importance fondamentale dans le déroulement des affrontements.
A ce propos, il est intéressant de retrouver le triangle des armes et celui de la magie au sein de cet opus. Basés sur une règle d'interdépendance, ces schémas guerriers permettent de jauger au mieux l'issu d'une entrevue un tant soit peu violente. Pour résumer, l'ensemble repose sur les associations suivantes : L'épée est plus forte que la hache, qui est plus puissante que la lance, qui surpasse l'épée. On observe donc un rapport cyclique qui fonctionne de manière analogue dans les cas des pouvoirs spirituels. A côté de ces deux grandes "institutions", se trouvent les adeptes de l'arc, et les chevaliers utilisant des montures aériennes, et, grande nouveauté, des sortes de mystiques possédant la capacité de se métamorphoser en animal. Evidemment chacune de ces classes opère de manière différente suivant l'opposant, et un cavalier-pégase subira cruellement les attaques d'un arbalétrier, tandis que ce dernier ne résistera pas longtemps au sabre d'un épéiste. Toutefois, même si ces statuts "autres" s'avèrent moins soumis à une approche profonde que l'ensemble plus commun, les mettre de côté serait un erreur fatale, représentant parfois de véritables bouffées d'air frais. Je ne vais pas plus m'étendre sur le gameplay, mais il faut tout de même signaler que les variations par rapport aux opus GBA sont minimes, et qu'un amateur retrouvera instantanément ses marques. Une bonne chose pour ces derniers, mais qui soulève quand même le problème de l'utilité clairement définie d'un quasi copié-collé.
Enfin, d'un point de vue graphique, Fire Emblem met de côté la 2D habituelle et se part d'une représentation en 3D, certes parfois peu engageante, mais très utile au sein des combats. En effet, l'utilisation de trois dimensions permet de mettre à profit la possibilité de faire pivoter le terrain de combat, dans le but de gérer au mieux le placement des unités. Un ajout non négligeable donc, qui ajoute au côté stratégique pur ce qu'il retire à l'aspect artistique global. Tout d'abord, les environnements se révèlent bien trop éloignés de la caméra et donnent l'impression d'être confectionné de manière synthétique, à l'image de ceux que l'on admire disposés aux alentours des rails d'un train miniature. De plus, le tout dispose d'un rendu relativement terne, imposant une sorte de tristesse générale sur un monde que l'on a connu beaucoup plus coloré, à défaut d'être joyeux. Les personnages, quant à eux, perdent un tantinet en charisme, par le biais d'une modélisation correcte, mais loin d'égaler celle d'un SO3 ou du plus récent Baten Kaitos. L'ensemble n'est donc pas catastrophique, mais l'on en espérait en peu plus d'Intelligent Systems, à la vue des fabuleux opus GBA, lumineux, et vraiment fins graphiquement parlant. En revanche, les différents artworks parsemant le jeu, surtout lors des dialogues (dénués de voix digitalisées d'ailleurs), exposent le talent incontestable du chara-designer, qui parvient à surpasser à chaque intervenant rencontré le charisme du précédent. Tiamat, Chinon, ou encore Tibarn participent éminemment à l'envie du joueur de plonger dans une histoire une nouvelle fois alambiquée, ménageant le suspense à base de trahisons, de complots et de guerres secrètes. En outre, la présence de scènes cinématiques en images de synthèse, très agréables de par le mélange entre un cel shading estampé et un aspect plus réaliste, rehausse un peu la qualité plastique finale. Au final, et comme d'habitude, ce n'est pas la force graphique qui définit le RPG, mais bien ses fondements. Fire Emblem correspond à ce constat et laisse découvrir un attrait ludique imposant, au service d'une profondeur tactique notable. Le vent du combat annonce l'arrivée d'une bien belle armée.