Une fleur légère se pose sur cette lame étincelante. La lune joue de ses reflets et pose son voile onirique sur les hautes murailles d'une forteresse semblant sans vie. Quelques pas trahissent pourtant la présence d'hommes se mouvant dans l'ombre et bercés par une infinité de pensées. Le fait d'avoir une raison de mettre fin à leurs jours justifie t-il que je m'en octroie le droit ? Les meurtriers ne sont-ils que ceux tuant sans justification profonde ou matérielle ? Ai-je été absous par la vengeance ? Ces réflexions s'élèvent, semblable à des grues sauvages, lorsque l'acier s'insère sans heurt dans une chair qui pour moi n'a plus d'existence. Cruauté ? Animalité ? Je ne sais pas, je ne sais plus. J'avance sans regarder mes mains, témoins muets de mes actes.
La vie d'un ninja n'est pas des plus rayonnantes, bercée par une absence de toute vie sociale, par une plongé perpétuelle dans le meurtre et les cris. Néanmoins, certains d'entre eux supportent cette condition par le biais d'une volonté de changement, de rénovation d'un gouvernement tyrannique soumis aux impératifs de l'argent et de la décadence. D'autres encore se battent pour expier une faute, pour rejoindre leurs sentiments profonds laissés de côté, ou bien pour protéger leur seigneur. Ayame est de ceux-là. Ancienne compagne guerrière du célèbre Rikkimaru dont la mémoire reste sempiternellement vivace, cette dernière se voit ici imbriquée dans un complot mettant en scène Goda face à un sombre mercenaire dont les attachements demeurent troubles. Parallèlement à ce destin, une nouvelle fois orienté dans les traces d'un passé revenant sans cesse sur le devant de la scène, une jeune fille lutte afin de mettre à jour la force nécessaire pour trouver une plénitude. Traumatisée par la mort de ses parents et la destruction par le feu de l'ensemble de son village, elle n'est animée que par la haine et le désir de représailles. Mais cet état se modifiera au gré de ses pérégrinations en prenant compte du fait que son rôle peut ne pas se borner à une simple vendetta. C'est à travers l'enchevêtrement de ces deux vies que s'immisce subrepticement la trame générale de ce quatrième opus de la série Tenchu. Moins prenante que celle inhérente au second épisode, réservant son lot de rebondissements et d'explications quant à l'enrôlement de Rikkimaru et d'Ayame eu service de leur maître, l'histoire de Fatal Shadows présente tout de même une évolution notable de la psychologie de la "kurenai" suscitée, exposant une face plus sombre et nettement plus mature, déchirée par des évènements marquants relatés dans les différents opus de la saga. Engluée dans ses obligations, et prenant part à des activités d'espionnage intensives, notre seconde héroïne principale conserve immuablement une absence d'expressivité troublante qui parvient même à déstabiliser Rin, qui se demande comment un être humain peut demeurer aussi détaché et aussi décidé. Inversement, celle-ci ne paraît pas s'inclure harmonieusement dans les méandres de l'assassinat, bien trop versées dans ses pulsions et ses prises de conscience. Une collaboration paradoxale donc, qui même si elle n'est pas forcément bien mise en avant, autorise une lecture double de certains évènements et permet de mieux saisir les rouages d'une machination construite par de nombreux bras.
Suivant cette évolution spirituelle, on remarque aisément une approche différente du design général, bien plus inspiré et fin qu'auparavant. Que ce soit Ayame, vieillie et arborant une tenue à la fois ample et cintrée lui apportant un complément d'assise et de charisme, un rônin ressemblant à s'y méprendre à Auron de Final Fantasy 10, tout autant taciturne et sûr de lui, exhalant pourtant une certaine mélancolie, ou encore le frère de Futaba, au bras équipé d'une sorte de lance-flammes, l'ensemble des intervenants du titre de From Software se révèle graphiquement digne d'intérêt. On prend plaisir à se battre contre les divers boss et à diriger le duo féminin mis en avant dans cette quête. Il ne manque en fait que la présence puissante et inquiétante de Rikkimaru pour combler ce tableau de choix. Ce remaniement au sein du design s'accompagne de plus d'une restauration du moteur de jeu et d'un level-design réinventé. En effet, et bien que toujours affublé de bugs on ne peut plus désagréables, encore une fois présents pour on ne sait quelles obscures raisons, Tenchu Fatal Shadows propose des environnements relativement fins et détaillés oeuvrant aux côtés d'effets de lumière convaincants. Dans le même registre, les conditions climatiques sont retranscrites avec soin, développant des ambiances particulières étonnamment immersives, comme un léger brouillard s'extirpant d'une forêt au feuillage dense battue par la pluie, ou encore la chaleur feutrée d'un bois adoptant des couleurs automnales et laissant choir négligemment nombre de feuilles mortes. Alors, certes, on subit un aliasing assez conséquent et certaines portions de décors s'avèrent quelquefois laissées un tantinet en retrait par rapport à d'autres, mais il faut tout de même remarquer la nette évolution face à l'opus précédent, davantage cloisonné et surtout moins diversifié. La série Tenchu, malgré ses problèmes récurrents, qui commencent à l'être un peu trop en passant, est avant tout une atmosphère, une mise en situation du joueur dans la position d'un guerrier de l'ombre se servant de la moindre parcelle comme d'une possible place-forte macabre. Il faut ressentir cette oppression, cette noirceur ancrée dans chaque situation. Et cela, Fatal Shadows y parvient à merveille. En revanche, et même si elle a subit une légère cure de jouvence, la caméra a encore bien du mal à suivre vos mouvements, et il est nécessaire de la recadrer sans arrêts, ce qui peut se révéler problématique lors d'un combat au corps à corps, notamment contre les boss. Tout cela, si, bien entendu, vous ne misez pas votre réussite sur l'infiltration. En effet, cette méthode, essence même du jeu, ne nécessite pas un angle spécifiquement bien choisi, étant donné que c'est à vous de chercher l'ennemi en regardant autour de vous. Deux moyens de procéder donc, qui sont l'apanage d'un gameplay classique désormais mais toujours aussi jouissif.
Basé essentiellement sur les "stealth kill" ou meurtres furtifs, Tenchu dispose cette notion encore plus en avant dans cette nouvelle version. N'espérez pas de grands changements dans la manière de réaliser l'assassinat parfait, mais plutôt dans les préparatifs. En fait, et pour ceux ne connaissant pas les frasques guerrières de la saga, la globalité de l'action du soft est juchée sur un principe simple, mais terriblement addictif. Chaque mission proposée vous confère un scénario et une tâche à effectuer. Libre à vous ensuite de la réussir à votre guise. Soit vous partez sabre au clair et utilisez l'ensemble de vos objets de soin très limités, soit vous choisissez la marche de l'ombre et parvenez à votre but sans vous faire repérer. Bien évidemment, cette deuxième méthode s'avère bien plus probante car, d'une part, vous terminerez chaque stage avec un rang honorable et de ce fait des objets très intéressants, et d'autre part vous pourrez réaliser les fameux "stealth kill" à la mise en scène fascinante. Imaginez. Vous avancez prudemment derrière une bâtisse de bois, lorsque vous apercevez un garde rôdant aux alentours. Là vous vous glissez silencieusement derrière lui et vous le frappez dans un point vital à l'aire de votre lame. S'ensuit une saynète où votre geste est mis en relief par des effets graphiques convaincants. Un côté malsain très éprouvé, sans aucun doute, mais doublé du plaisir ludique d'un ennemi défait sans que personne n'ait pu réagir. Enivrant. Néanmoins, l'opus trois péchait quelque peu par l'absence de réelles possibilités de masquer ses méfaits, et par extension de la prise de risque inconsidérée dans l'optique où un autre garde pourrait s'apercevoir de votre oeuvre.
Désormais, vous possédez la capacité de déplacer chaque corps afin d'échapper à une quelconque menace. En effet, un tantinet plus malins qu'auparavant, vos opposants ne manqueront pas de remonter la trace d'un corps laissés sans vie, d'appeler des renforts, ou même de venir vous débusquer au sommet d'un toit. Pourtant, n'espérez pas être contraint de monter de véritables stratégies. Ces derniers demeurent quand même passablement attardés, et il vous sera assez aisé de les berner. Autre point intéressant, l'architecture des niveaux. Vastes et alambiqués, ces derniers donnent lieu à la stimulation de votre fibre imaginaire. Celle-ci, bien usitée, vous permettra de composer diverses tactiques pour parvenir à votre point de ralliement. Effectivement, les décors se composent de nombreux éléments favorisant une approche furtive et surtout disséminés au gré de l'ensemble d'un niveau. Ce qui implique que vous disposez d'une liberté notable de chemins praticables, rompant de ce fait une possible lassitude, et autorisant l'impression de réellement être inclus dans un monde à part entière. Au final donc, Tenchu quatrième du nom déçoit quelque peu par l'aspect "rediffusion" qu'il véhicule, mais demeure égal à la majorité des épisodes liant avec justesse "fun" ludique et "espionnage" macabre. Espérons toutefois qu'une réelle évolution se montre à nous pour le prochain opus.
- Graphismes14/20
Vecteur d'un design agressif tout autant que léger et harmonieux, Tenchu se montre sous des atours plus que favorables et donne un nouveau souffle à Ayame qui se révèle sublime dans cet épisode. Toutefois, elle ne parvient pas à voler la vedette à l'ensemble de ses antagonistes, arborant tous un charisme détonnant. En revanche, et malgré des décors détaillés et bien réalisés, on note toujours autant de bugs de collision et tout simplement graphiques, associés à un aliasing prononcé. Malgré tout, cela ne représente pas une gêne lors de la progression.
- Jouabilité14/20
Toujours aussi efficace et prenant, le gameplay souffre encore une fois des angles de caméra mal pensés en combat rapproché et d'un système de pugilat peu développé. Pourtant, une fois que l'on pénètre dans la voie des meurtres silencieux, un nouvel horizon s'offre à nous et nous entraîne dans une manière de jouer différente et bien moins restrictive qu'un simple affrontement. La force de Tenchu est toujours présente, et l'on remarque même la possibilité intéressante de cacher les corps afin de peaufiner sa stratégie.
- Durée de vie12/20
Composée d'une grosse douzaine de missions assez courtes qui plus est , Tenchu n'est pas un modèle de longévité, loin de là. Malgré tout, et si tant est que vous désiriez terminer l'ensemble des niveaux avec le grade le plus haut de l'infiltration, de nombreuses heures de concentration vous attendent.
- Bande son14/20
Bien moins riche que la mythique bande sonore du premier opus, celle de cet épisode innove quelque peu en proposant des rythmes parfois plus jazzy, parfois plus rock, mais toujours sous-tendus par des instruments asiatiques typiques. Le résultat est assez agréable, même s'il ne colle pas tout le temps aux situations. Les doublages anglais (pourquoi !!!!), se révèlent quant à eux assez convaincants sans réelle implication.
- Scénario14/20
L'intrigue de ce dernier opus de la série Tenchu est assez fournie bien que mise en scène de façon pas vraiment explicite. On a parfois du mal à saisir certaines ellipses et quelques noms ont parfois du mal à trouver une résonance. Néanmoins, les dialogues ne s'avèrent pas trop clichés, et on ressent facilement le caractère de chacun des personnages. De plus la trame se passant entre le second et le troisième épisode, vous apprendrez quelques précisions sur le destin d'Ayame.
Mettant deux jeunes femmes à l'honneur pour la première fois dans la série, d'où le titre "Kurenai" dans la version japonaise qui elle, reste cohérente, le dernier opus en date de la série Tenchu se révèle assez réussi dans son ensemble. Réutilisant certes de nombreuses données du précédent sans vraiment innover, et souffrant encore quelque peu de sa réalisation, il conserve néanmoins cette force, ce "fun" habituel de la saga et parvient à passer outre certains défauts par ce biais. Pas un grand jeu, mais une ode au pouvoir ludique et au monde passionnant des ninjas. Un bruit, le silence.