Les hautes herbes frémissaient sous les insistantes avances d'un vent frais de printemps, scindant la lueur de la lune en autant de traînées indécises. On entendait quelques insectes fredonner un air familier, semblant se satisfaire de l'odeur des fleurs de cerisiers blancs. Un léger filet d'eau, perdu au milieu de joncs pareils à de lestes vagues attire l'attention sans pour autant détourner des pensées aiguisées. Se répandant en un panorama doux et soyeux, ce clapotis mélodique comble l'espace de sa présence vaporeuse. Une ombre s'étale sur ce jardin aux arabesques fleuries. Ces immenses portes de bois, laissant s'échapper de douloureux crissements devient le dernier rempart. Un geste vif. Un cri. le silence.
Deuxième opus non développé par les célèbres studios d'Acquire, Tenchu Kurenai (alias Fatal Shadows dans nos contrées) abandonne sa figure de proue Rikkimaru pour se concentrer sur le destin de sa fidèle et taciturne équipière, Ayame. Possédant le statut enviable de kunoichi (ninja féminin), cette dernière, séparée de son mentor, agit pour une organisation de l'ombre, visiblement spécialisée dans une sorte d'expression d'une rédemption forcée. La jeune femme devient donc le bras armé d'une justice sanglante, éradiquant les hommes indignes et bafouant l'honneur de leurs semblables. Et c'est lors d'une de ces missions que l'assassin à la fine silhouette va se trouver confronté à un évènement qui va modifier quelque peu le bon déroulement de ses projets futurs. En effet, prise au coeur d'une machination relativement trouble à son insu, Ayame se heurte à Rin, jeune fille au visage pétri de haine et de tristesse, se recueillant sur le corps de son père. Pensant à tort que vous êtes l'instigatrice de cette tragédie, la frêle combattante jure de faire naître la revanche au sein de son katana. Un affrontement de longue haleine débute donc sur ce malentendu macabre, et s'étendra jusqu'à l'apparition soudaine d'une vérité bien plus angoissante. Oeuvrant alternativement dans la peau d'Ayame et de Rin, vous allez de ce fait posséder un point d'observation double, permettant de comprendre les chimères hantant l'orpheline, et les sentiments entremêlés de la tueuse féline. Se déroulant dans un Japon médiéval à l'orée de la première véritable ouverture vers l'occident, la trame permet donc de mettre en place, et ce à l'image de la série en son entier, une ambiance unique et attirante. Mélangeant habilement inspirations historiques visant à apporter une crédibilité au contexte, et atmosphère noire d'un pessimisme flagrant, Tenchu parvient à instaurer un climat d'insécurité et d'instabilité extrêmement immersif. Dans le même ordre d'idées, l'utilisation de symboles aisément reconnaissables par tous les amateurs de culture japonaise apporte une force d'implication supplémentaire. Enfin, et en sus de tout cela, la mise en scène, clairement cinématographique et axée sur la sublimation des "Stealth Kills" pose une nouvelle couche de fascination et d'intérêt sur un univers qui possède déjà en lui une puissance évocatrice imposante.
Scindée en missions, ou pour se rapprocher de ce que je disais en amont, en épisodes, l'aventure proposée par le titre connaît un remaniement nécessaire et évident comparé à celles présentes dans les trois opus précédents. Effectivement, on se trouve là devant un produit bien plus "classe" que ses prédécesseurs, possédant un vrai caractère et apportant des innovations notables dans sa composition. Tout d'abord, et c'est là une idée relativement amusante, le jeu se voit découpé à la manière d'une ancienne série télévisée, affichant des "prochainement" en lettres blanches sur un fond tremblotant, résumant un tantinet la scène d'introduction de la prochaine étape. Une distanciation qui fait perdre un tant soit peu d'appui réaliste à l'univers, mais qui apparaît totalement en corrélation avec la volonté indiscutable de proposer un rendu digne des productions japonaises des années 60. De plus, l'avancée scénaristique se fait à partir de modélisations 3D très fines des personnages principaux, tout de noir et de blanc vêtus, accompagnées de représentations artistiques (Ukiyo-e) occupant le fond de l'écran. Cela donne un aspect certes un peu brouillon parfois, mais une image personnelle probante au soft. D'autre part, l'habillage en lui-même opère un remaniement convaincant, allant des animations au gré des menus, à l'aspect du design général bien plus axé sur la symbolique japonaise.
Néanmoins, et malgré tout cela, on ne remarque que peu de nouveautés au niveau du gameplay, réutilisant les grands principes de "La Colère Divine" qui s'avéraient eux aussi inchangés depuis le tout premier Tenchu. Pourtant l'une des rares adjonctions vaut à elle seule le coup d'oeil, à savoir l'implémentation du pouvoir de déplacer les cadavres. Ce principe, manquant cruellement aux épisodes passés, fait enfin une entrée fracassante, amenant avec lui un degré supplémentaire dans la prévention de l'infiltration. En effet, il n'était pas vraiment crédible de passer inaperçu, tout en laissant traîner des dizaines de corps à chaque coin de rue. Erreur réparée donc, accompagné de ce fait par une correction de l'I.A, digne de celle de MGS premier du nom encore récemment. Il est donc agréable de constater que dorénavant, les naginatas des gardes viendront vous titiller les oreilles même après avoir tenté de les semer durant de longues secondes. De même, ils ont beaucoup plus tendance à appeler des renforts et à réagir logiquement devant un corps de l'un de leur compagnon, même si l'on note encore des incohérences flagrantes dans leur tentative d'approche. En outre, vous aurez maintenant le droit à un effet "radiographie" lors de certains assassinats en silence, valable pour tous les personnages alors qu'il était réservé au glacial Tesshu auparavant. A côté de ça, et comme dit précédemment, vous n'observerez pas de changements majeurs et retrouverez avec délectation le système de lock. Un petit manque d'imagination donc qui sera, on l'espère, un tantinet corrigé pour la version européenne.
Dans un constat analogue, les mouvements de caméras, bien mieux gérés que dans les opus précédents, conservent tout de même cette désagréable propension à virer de bord bien trop rapidement et à manquer quelque fois de précision lorsque l'on veut se focaliser sur une cible. De plus, et malgré le fait qu'un recentrage automatique du point de vue et la possibilité d'un passage à une vision permettant de regarder les environs en position statique soient présents, des lacunes se montrent encore et toujours. En effet, il vous sera parfois bien difficile d'axer votre champ de vision de façon optimale d'une part à cause de la limitation de l'angle de la caméra, et d'autre part à cause de la manie de cette dernière, se résumant à se bloquer dans des murs environnants. Pas vraiment handicapant en soi, mais dans certaines situations la mort survient un peu trop vivement au tournant. De même, le gameplay, bien plus souple et intuitif qu'auparavant, souffre quand même quelque peu d'une sorte de souci de pivotement, empêchant votre personnage de réaliser des actions à la vitesse où vous l'auriez souhaité. On a souvent du mal à vraiment s'extirper d'une situation sans heurts. Enfin, et c'est l'un des points les plus convaincants du titre, la qualité graphique commence enfin à devenir probante, voire attirante. Proposant des environnements assez étendus, dotés d'un level-design ingénieux, et affichant des effets autant lumineux que purement physiques, Tenchu Kurenai profite finalement des capacités de la PS2.
Mais au-delà des cadres naturels, le soft de Sega s'attarde longuement sur les intervenants, mettant en scène des individus crédibles dans leur modélisation, bien qu'un tant soit peu raides dans leurs déplacements, les gardes en particulier. Les deux héroïnes, et l'ensemble des acteurs de premier plan bénéficient d'un soin tout particulier, profitant d'une finesse notable et surtout d'un design accrocheur. Entre Ayame, Rin, ou encore le rônin ressemblant à s'y méprendre à Auron de Final Fantasy 10, vous trouverez aisément un avatar auquel vous raccrocher. Au final, et pour l'instant, Tenchu quatrième du nom apparaît vraiment réussi, parvenant à retranscrire une nouvelle fois les émotions intenses de l'infiltration féodale, et à conserver son ambiance si particulière. Reste une nouvelle fois certains problèmes de caméra et de jouabilité. Attendons toutefois la version définitive pour émettre un avis sur ce point. Entre toutes les fleurs, la fleur de cerisier, entre tous les hommes, le guerrier.