Ce début d'année s'annonce faste pour Capcom. Entre le phénoménal Resident Evil 4 sur GameCube et le très attendu Devil May Cry 3 sur PS2, la société japonaise nous fait patienter à l'aide de ce Shadow Of Rome, développé par une partie des équipes responsables de la saga Onimusha. N'ayant pas bénéficié d'une campagne d'information aussi importante que les deux jeux susnommés, Shadow Of Rome est pourtant un titre à ne surtout pas sous-estimer. Tout d'abord son background profite de tout un pan de l'histoire du vieux continent à même de donner au jeu un souffle épique. Ensuite, comme il est de coutume avec la plupart des productions Capcom, le joueur sera confronté à des passages proprement hallucinants, le gigantisme de certains combats alternant avec des idées très astucieuses. C'est un fait, quand les japonais s'attaquent à la toute puissante Rome, les trompettes résonnent, les épées s'abattent et les têtes tombent.
Qui n'a pas imaginé se retrouver dans une arène ensoleillée, un glaive à la main, entouré d'une foule scandant son nom en regardant le Gladiator de Ridley Scott ? Qui n'a pas rêvé de faire de mauvaises blagues sur Commode ? Qui n'a pas désiré adopter un barbu en toge nous récitant en boucle les poèmes d'Ovide ? Si je vous parle de Gladiator, c'est tout simplement parce-que s'il y avait eu une adaptation de ce long-métrage, elle se serait appelée Shadow Of Rome. Le scénario du jeu semble en effet calqué sur celui du film de Scott, de la scène d'introduction nous montrant une bataille entre les Romains et les Germains, aux personnages en passant par l'intrigue principale. Cette dernière mettra en scène deux jeunes hommes que sont Agrippa, centurion de l'armée romaine, et Octavien, le neveu de César. Et justement, tout commencera par l'assassinat de l'empereur et l'arrestation de Vipsanius, le père d'Agrippa, accusé d'être l'auteur de ce meurtre. Octavien n'étant pas convaincu de la culpabilité du père de son ami, il décidera de mener une enquête pour faire la vérité sur cette affaire. Très vite, il s'avérera que la seule façon d'approcher Vipsanius sera qu'Agrippa se fasse passer pour un gladiateur afin d'atteindre les phases finales d'un grand tournoi, le vainqueur ayant le droit d'exécuter la sentence de mort en temps que bourreau. Commencera alors une traversée du désert faite de combats pour Agrippa et d'investigations silencieuses pour Octavien.
C'est sous couvert de cette intrigue que Capcom nous a concocté un jeu d'action des plus barbares où l'infiltration aura également sa place. Le jeu alternera constamment entre des phases de combat avec Agrippa et des passages furtifs avec Octavien. Vu d'ici, cela ne semble pas bien original, sauf que le tout profite d'une atmosphère antique où une Rome d'époque sera le témoin d'une machination diabolique faite de complots pernicieux. Cependant, si l'idée d'installer l'action dans un passé extrêmement riche est une excellente idée, disons que l'équilibre action/infiltration est ici extrêmement bancal. Bien entendu, il ne fallait pas s'attendre à retrouver un gameplay aussi riche pour les deux phases, mais il faut avouer qu'on est un peu déçu par le sort réservé à Octavien.
Celui-ci devra mettre à profit ses talents de petit chat pour enquêter sans se faire remarquer. Cela se caractérisera par des passages de pure infiltration où vous devrez utiliser votre art du déguisement pour surprendre de pauvres gardes qui feront de parfaites victimes. Dans un premier temps, sachez que vous aurez la possibilité de naviguer entre différents points représentés sur une carte de Rome, comme le Forum, le Senat, les portes de la ville. Il sera bon de visiter tous ces lieux pour rencontrer de multiples NPC avec qui vous pourrez parler, ne serait-ce que pour en savoir plus sur l'histoire ou encore pour acheter divers objets afin de meubler votre chambre par exemple. Vous aurez aussi à effectuer diverses actions spécifiques pour pouvoir pénétrer dans certains lieux. Ainsi, vous devrez par exemple à un moment donné vous adresser à des citoyens mécontents (en choisissant vos répliques pour retenir l'attention de la foule) afin que ces derniers aillent se plaindre au Senat, ceci vous ouvrant alors une porte préalablement gardée par un soldat. L'idée, bien que simple, est suffisamment intelligente pour donner un tout petit côté aventure à l'ensemble. Ensuite les phases d'infiltration se caractériseront par des personnes à suivre sans se faire voir, des endroits à atteindre, des objets à récupérer, etc. Vous pourrez utiliser plusieurs items comme des cruches ou des cordes pour assommer ou tuer des gardes et des Sénateurs et leur chiper leurs armures ou leurs toges pour vous déguiser et passer inaperçu. Attention par contre car si vous effectuez un geste déplacé (comme épier à travers une serrure, marcher à tâtons, se cacher dans une jarre ou même courir), un soldat aura tôt fait de vous donner un coup de glaive ou dans une moindre mesure ne se privera pas de vous questionner. Vous devrez alors répondre correctement aux questions du soldat, en choisissant parmi plusieurs réponses, pour essayer de le duper. Les questions étant généralement en rapport avec ce qui se déroule dans le jeu, vous comprendrez mieux l'importance de parler aux NPC pour se mettre au parfum. Mais si le tout est plaisant à jouer, on ne peut que dénigrer l'IA plus que douteuse des gardes qui arrêteront très souvent de vous poursuivre après quelques mètres. Vous devrez alors vous fier à un indicateur d'alerte qui apparaîtra lorsque vous vous ferez repérer et qui se videra progressivement à mesure que vous vous éloignerez des soldats. De plus, ces phases étant très simples, le challenge se veut quasiment absent, à l'instar des mouvements d'Octavien qui se résument le plus souvent à se coller contre un mur, à s'accroupir pour emprunter des passages étroits, à regarder dans les coins ou à siffler pour attirer l'attention des gardes. Rien de catastrophique vu que la jouabilité est plutôt précise, sans gros problèmes de caméra (qu'on peut gérer manuellement), mais les bons barbares que nous sommes préféreront largement les passages avec Agrippa.
Ceux-ci seront de plusieurs sortes et vous feront conduire des chars dans des courses endiablées ou combattre dans des arènes aux configurations disparates. Et là, rien à dire, c'est complètement réussi, chaque bataille étant particulièrement jouissive. Le constat est d'autant plus positif que vous ressentirez une excitation primaire en décapitant vos adversaires, en leur coupant leurs membres et en utilisant ces derniers comme armes ! Les combats dans les arènes étant de plusieurs types, vous vous retrouverez parfois face à des défis minutés qui se joueront en équipe et qui vous demanderont de détruire un nombre de statues protégées par des ennemis qui eux essaieront de détruire les vôtres. D'autres vous demanderont d'assiéger un fort factice en détruisant des portes grâce à des catapultes et en éliminant un chef de clan. On trouve aussi des esclaves à sauver puis à ramener à un point précis ou encore des épreuves qui vous demanderont d'atteindre un nombre précis de salves (voir plus loin) tout en tuant davantage d'ennemis qu'un adversaire direct évoluant à vos côtés. Le reste des challenges vous fera affronter des dizaines de gladiateurs de différents gabarits ou des tigres affamés, chaque groupe de combats se soldant par un affrontement contre un boss. L'autre type de défi particulièrement réussi vous verra conduire un char de combat dans des courses s'étalant généralement sur trois ou quatre tours de piste. En plus de gérer la fatigue de votre cheval, vous devrez aussi ramasser des armes et combattre vos adversaires en essayant de faire "dérailler" leur véhicule. Rapides et nerveuses, ces courses sont un enchantement tant dans le gameplay que dans les sensations qu'elles procurent.
Le but de ces jeux sera de faire plaisir à votre public en effectuant des actions de plus en plus violentes, ce qui aura pour effet d'exciter la foule qui vous gratifiera de nombreuses salves d'applaudissement, ces dernières étant nécessaires pour terminer plusieurs épreuves. Ensuite, lorsque vous réussirez à placer un combo ou à effectuer une prise sur un de vos adversaires groggy, vous aurez l'occasion de saluer les spectateurs qui vous lanceront de la nourriture (utile pour regagner de l'énergie) ou des armes. Ne vous faites pas prier pour les ramasser, celles-ci s'usant à mesure que vous les utilisez. De plus chaque arme possédant ses propres spécificités, (la masse pour écraser la tête de vos adversaires, les glaives, épées et cimeterres tranchant les membres, les hallebardes pouvant découper en deux un ennemi...), pesez le pour et le contre pour savoir quelle arme utiliser contre tel type d'adversaire. Par exemple, un glaive ou un arc seront plus simples à manier qu'une lourde hache qui ralentira considérablement vos déplacements, mais en contrepartie, les deux premières armes se détérioreront plus rapidement que la troisième. Notez que vous pourrez aussi arracher les armes des mains de vos adversaires ou ramasser des boucliers ou encore des casques, ceux-ci augmentant votre défense jusqu'à ce qu'ils soient détruits. Par contre, il est un peu dommage d'avoir affaire à une difficulté assez mal dosée, certains combats étant à s'arracher les cheveux alors que d'autres tenant de la simple formalité. Dans tous les cas, la durée de vie semble des plus honorables puisqu'il vous faudra a priori une quinzaine d'heures pour boucler le jeu.
En dehors de la construction très habile du titre, il est un peu déconcertant de constater que le character design se soit perdu dans un grand n'importe-quoi. Je ne parle pas ici des ennemis qui sont assez nombreux et plutôt impressionnants mais bel et bien des personnages principaux. D'Agrippa qui semble avoir été conçu par Myster Hyde et un ours, à Octavien qui a tout de la caricature de Claude François en passant par une Claudia anachronique qui se permet de chausser des espèces de talons aiguilles, on a un peu de mal à adhérer. De plus, les couleurs et les ombres trop marquées sur les visages donnent une impression d'unité à tous les personnages. Un peu dommage et surtout assez surprenant de la part d'un jeu Capcom qui fait généralement la part belle aux héros charismatiques.
N'aspirant pas à la plus haute marche du podium, Shadow Of Rome est un jeu certes bancal mais diablement prenant et jouissif. Alliant la barbarie la plus primaire à l'aventure matinée d'infiltration, ce soft sera un excellent moyen d'assouvir ses pulsions bestiales tout en apprenant un peu plus sur la Rome antique par le biais de petits "cours" historiques disséminés au long des chapitres émaillant le soft. Au final c'est le plaisir de triompher dans l'arène qui transparaît le plus et c'est bien le plus important. Comme dirait l'autre : Veni, Vidi, Vici.
- Graphismes16/20
Le character design est très moyen seul Sextus (un homme d'affaires qui enrôle des gladiateurs) tirant son épingle du jeu en bon clone de Luis (RE 4) qu'il est. Ceci tient principalement au fait que les visages soient trop burinés et trop marqués par des couleurs ocres mal choisies ou encore des choix artistiques discutables. Par contre, les décors restent très jolis (bien que noyés dans un aliasing omniprésent) et les ennemis sont vraiment impressionnants, des gladiateurs qui vont du géant de deux mètres aux gnomes adeptes des acrobaties simiesques sans oublier les éléphants, les tigres ou encore certains boss vraiment incroyables.
- Jouabilité15/20
Avant tout, n'oubliez pas de choisir le mode 60 Hz car dans le cas contraire les déplacements des personnages seraient d'une lenteur innommable qui rendrait votre progression laborieuse. En lui même, le gameplay spécifique aux phases d'action et aux phases d'infiltration est bien étudié et sans réel problème. Reprenant quelques éléments de MGS, les passages avec Octavien sont malheureusement un trop peu limités pour convaincre alors que ceux avec Agrippa sont jouissifs au possible. Bien que le mixe des deux genres permette à Shadow Of Rome de faire avancer son histoire, on lui reprochera d'avoir quelque peu privilégié un style au détriment de l'autre.
- Durée de vie14/20
En mode normal, vous devriez venir à bout du jeu en une quinzaine d'heures, à moins bien sûr que vous ne fassiez plusieurs combats optionnels dans le camp d'entraînement pour votre propre plaisir. En dehors de l'aventure principale, sachez que cinq modes bonus (Survie, Grande Evasion, Chariots de feu..) seront à débloquer, tout comme des cheats, une galerie d'art ou encore la liste de toutes les salves du jeu. Vous en aurez pour votre argent, aucun doute là-dessus.
- Bande son15/20
Les doublages anglais peinent à convaincre mais l'ambiance des arènes est magnifiquement retranscrite, les cris de la foule accompagnant chaque acte de violence de votre part. Les thèmes musicaux sonnent aussi très juste, même si on retrouve ici aussi une influence Gladiator par l'utilisation d'instruments et de sonorités chers à Hans Zimmer.
- Scénario12/20
Les personnages ont peu de charisme et le scénario doit beaucoup mais alors vraiment beaucoup au scénario du Gladiator de Scott. Bref, ne cherchez pas l'originalité mais plutôt un retour vers le passé qui vous permettra de profiter d'une ambiance très agréable générée par un univers trop peu usité dans le milieu vidéoludique.
Shadow Of Rome doit composer avec ses défauts et ses qualités mais ce qui ressort au final est une production bien rodée et particulièrement excitante. Il est regrettable que la difficulté soit mal dosée et que les phases d'infiltration n'apportent pas grand chose mais malgré ces errements, le titre de Capcom est un modèle de bestialité qui nous fera plonger dans l'enfer d'une Rome dominée par la violence d'un spectacle barbare. Terriblement violent, terriblement impressionnant, terriblement prenant.