J'aime ses soubresauts, ses lentes ascensions gorgées de puissance et de douceur. Sa manière de fouetter la coque du navire tout en s'attardant quelques instants, pénétrant ce bois chantant ses mémoires. J'aime parcourir mon visage, rugueux et pareil à un roc, constellé de sel et modelé par les vents s'engouffrant dans les voiles et tordant les haubans. Ce monde de bruits, de senteurs et de saveurs m'appartient. Bercé et apaisé par cette mer dont chaque horizon me fait oublier un peu plus la terre, je n'ose pas imaginer ma vie autrement qu'en tant que chevalier de Razil. Snowe semble être d'un avis identique. Il est tellement à l'aise dans sa condition de capitaine. Si seulement...
Enfin, pourrait-on se dire. Enfin un nouvel épisode de la série Suikoden dans notre pays aux vertes vallées. En effet, les plus vieux d'entre vous doivent s'en souvenir avec nostalgie et surtout plaisir, nous avions eu la chance quasi-miraculeuse de voir adapter les deux premiers opus de cette saga basée sur la légende chinoise des 108 étoiles de la destinée. Traduit intégralement en français et bénéficiant d'une qualité de retranscription très honnête, ces derniers n'avaient pas vraiment connu le succès qu'ils méritaient. Mettant en place un système de jeu innovant et utilisant une représentation 2D chaleureuse et enchanteresse, ceux-ci avaient également permis aux RPGistes de découvrir une approche intelligente de la psychologie des personnages dans le domaine du jeu vidéo, ainsi qu'une liberté scénaristique surprenante et aboutissant à plusieurs fins différentes. Tout les passionnés s'y étant essayés se souviennent d'ailleurs sûrement de la relation entre le héros de Suikoden 2 et Jowy, son meilleur ami. Une ambiguïté constante, par le biais du prisme de la confiance aveugle en ses idéaux. Deux softs majeurs par conséquent, qui n'ont pourtant pas assez brillé aux yeux de Konami pour donner le droit à l'Europe de savourer un Suikoden 3, tout de cel shading vêtu. Fort heureusement, nous voici assuré de la venue au grand jour du quatrième chapitre, orienté cette fois-ci sur le thème onirique de l'océan.
Néanmoins, le début de l'aventure n'est pas vraiment propice à faire naître des lames de fonds gorgées d'émotions de votre coeur avide de RPG et d'étendues échappant à la mesure visuelle. Effectivement, la mise en place de la quête principale s'avère relativement lente, et il est assez difficile de bien accrocher, d'une part aux divers protagonistes, et d'autre part à l'ambiance. En fait, après avoir été emporté par les flots tumultueux d'une introduction dotée d'effets cinématographiques agréables, mais peinant à placer un contexte et une véritable envie de saisir à bras ouverts l'amorce du scénario, vous observez une escouade réduite de soldats à bord d'un navire de guerre. Visiblement affairée à tenter de repousser un assaut ennemi, cette dernière comporte dans ses rangs les deux individus principaux du titre, qui vont vous accompagner au gré de la trame. Le premier, que vous devrez nommer en votre âme et conscience, s'avère être une jeune recrue dont on ne connaît pas vraiment les origines, et le second, se nommant Snowe, se révèle être le fils du gouverneur de la ville, et capitaine aspirant. Etant tous deux dans la dernière ligne droite de leur formation de chevaliers aguerris, leurs jours sont partagés entre entraînement et déambulations dans leur ville portuaire de naissance du nom de Razil. Vous commencez donc votre immersion en prenant place au coeur d'un combat naval, puis de l'apprentissage de la bataille à échelle humaine, par le biais de votre épée. Une sorte de tutorial très bien pensé, qui vous permettra de maîtriser de manière pratiquement immédiate le système de combat en lui-même. S'ensuivent alors de nombreuses séquences à la longueur inactive démesurée, et surtout peu ou pas du tout intéressantes à suivre. Vous fonctionnerez en fait par allers-retours dans les différents quartiers de la ville, jusqu'à déclencher un événement, qui vous obligera à retourner une nouvelle fois dans ces rues peu dignes de confiance. Le tout reste très convenu, assez plat, il faut le dire, et avare en connaissance des intervenants. Mais tout cela change dès votre troisième expédition maritime.
Les deux premières, en effet ne reposent que sur une livraison et le massacre de quelques monstres, n'apportant rien à l'univers, et le rendant même presque fade. Aucun sentiment de liberté épique, coutumière pourtant au monde de l'océan, ni même la race des influences liées à la piraterie. Pourtant, au moment précis où vous devrez escorter un navire marchand en route pour une île lointaine, vous pénétrerez alors dans une voie conduisant à une modification radicale de la vision apposée sur Suikoden 4. Les personnalités se découvrent enfin, le propos s'amorce, et un véritable souffle d'aventure s'étale alors sur l'univers que vous redécouvrez avec émerveillement. Un duel au sabre, digne de l'Ile au Trésor de Stevenson, un retournement de situation sociale, et pour terminer la projection d'une trouvaille scénaristique qui demeure excitante, et propice à éveiller une curiosité latente. Les personnes agissant au gré des vagues se métamorphosent pratiquement, pour devenir enfin construites et crédibles. Le désir de poursuivre me brûle les doigts, mais il me faut vous évoquer des notions de gameplay et de graphismes.
Tout d'abord, on retrouve avec plaisir le système de combat des précédents volets, basé sur des possibilités d'attaques groupées avec les combattants possédant une liaison amicale entre eux, et bien entendu le tour par tour classique, au sein duquel vous devez rentrer les différentes actions à effectuer en une seule fois. Néanmoins cela n'implique pas que vos hommes passent à l'assaut l'un après l'autre avant l'ennemi, mais suivant un ordre précis, impliquant parfois des contre-attaques non souhaitables. Par exemple, il est très possible qu'un pirate vous saute à la gorge avant que vous n'ayez pu vous guérir d'une salvatrice potion, ne pouvant définir à l'avance, ni visualiser le déroulement du pugilat. Un écueil, qui s'il n'est pas trop gênant en soi aurait aisément pu être modifié, voire retiré. Notez également que vous n'aurez plus la possibilité d'enrôler 6 soldats en même temps sur un champ de bataille, mais seulement quatre, sur une seule ligne. Et, comme vous vous en doutiez, les runes restent présentes, requérant toujours l'aide d'une espèce de forgeron pour les incruster dans un corps apte à les recevoir. Toutefois, le grand changement réside dans les phases stratégiques, ne prenant plus la forme de conflits à grande échelle au sein de grandes plaines, mais celle de batailles navales (il n'y a pas de jeu de mots) moins impressionnantes, mais tout aussi tactiques. Pour résumer, tout se base sur l'utilisation des canons utilisant des runes. Chacun d'entre eux représente un élément, et il vous incombera d'utiliser à bon escient les rapports élémentaires (eau plus puissante que feu, terre plus forte qu'éclair, etc...) que ce soit lors d'un assaut ou d'une défense. Il est effet possible de neutraliser un tir ennemi de manière à, soit lui infliger des dégâts si l'une des runes surpasse l'autre, soit annuler les deux actions si les runes sont équivalentes. Les navires se déplacent sur une zone délimitée par des cases, comme aux échecs, et doivent tenir compte du poids des hommes à bord pour définir leur vitesse de navigation. De même, il vous sera possible d'aborder le galion adverse dans l'espoir de vaincre son équipage à l'aide du vôtre. Rafraîchissant et passionnant.
Que pourrait-on bien lui reprocher à présent ? Me direz-vous. Et bien quelques petites lacunes, qui, si elles n'entachent pas le plaisir de jeu, travaillent à ne pas faire de Suikoden le digne héritier de ses illustres ancêtres. Tout d'abord, le titre est véritablement terne, et même les environnements naturels font les frais de cette sorte de voile masquant les couleurs. Les environnements sont détaillés et disposent de textures convaincantes, au sein d'un level-design, reprenant l'architecture globale des villages portuaires méditerranéens, de qualité, mais on ne peut s'empêcher de regretter cette absence de vie morne. Où sont les couleurs vives et chaleureuses des précédents épisodes. D'autre part, les personnages sont modélisés parfois assez sommairement, s'éloignant, tel le héros, fortement de son sublime artwork d'origine. On retrouve d'ailleurs immédiatement la patte du chara-designer de la série, Ishikawa Fumi. Ensuite, et pour finir, les déplacements en bateau s'avèrent assez rébarbatifs à la longue, vous obligeant à enchaîner combats aléatoires sur combats aléatoires jusqu'à épuisement. Le constat est moins pesant que dans Wind Waker (souvenez-vous des longs trajets entre les îles), mais il aurait mérité quelques améliorations, d'une part au niveau du taux de rencontres inamicales, et d'autre part concernant la rapidité du navire. Au final donc, cette première approche est vraiment agréable, même si quelques petits accrocs subsistent. Attendons avec impatience la version finale pour savoir véritablement de quoi il en retourne. Les 108 vous saluent.