Alors que l'aube approchait, des coups de feu résonnaient encore dans les abords du parc. Le brouillard matinal s'étendait sur les étendues paisibles d'herbes et de graviers, comme un linceul, masquant le déchaînement des batailles passées. La volonté de puissance. Cette guerre aux contours flous s'était muée en une chevauchée vers l'omnipotence. Mes pas se dérobaient doucement sur ce que je voulais croire être le sol. Un tombeau surmonté de pétales de fleurs de cerisiers blancs. La prudence devint alors une donnée peu convaincante. Et déjà de nombreux orbites rougeoyants emplissaient les alentours.
Dans le monde sans cesse en évolution du jeu vidéo, on aperçoit au gré de ses changements des terres d'asile encore peu foulées qui méritent que l'on s'y penche avec intérêt. La gestion de l'ambiance, est de celles-ci. En effet, grâce à l'évolution des techniques, les artistes travaillant dans le développement vidéoludique peuvent donner libre cours à leurs aspirations, dans un cadre idéal et seyant. Je ne dis pas que les oeuvres d'il y a une dizaine d'années ne possédaient pas cette touche particulière permettant de poser un propos, de plonger le joueur dans une représentation personnelle d'un univers, mais elles étaient éminemment limitées par les possibilités inhérentes aux machines de l'époque. Par exemple Seiken Densetsu 3 possédait le fond, le coeur de cette mise en forme d'une atmosphère féerique, tout comme FF 6 celui d'un contexte torturé et particulièrement sombre, mais ne pouvaient les exprimer dans leur pleine mesure. On voit de ce fait surgir un nombre conséquent de softs répondant aux envies cachées de personnes désirant exposer un monde en accord avec ces dernières. Cette liberté soudaine a permis d'aboutir à des merveilles d'inventivité comme le sont et le resteront ICO, la série des Soul Reaver, des RPG comme FF7, Valkyrie profile, ou encore Xenogears, ou bien des titres à l'instar de Chaos Legion ou Devil May Cry. Ceux-ci, bien que comportant plus ou moins de défauts gênants, dépassent ce fait même par la démonstration d'une identité propre, d'une volonté d'immersion, d'une cohérence et d'originalités narratives et graphiques flagrantes. Ils appartiennent à ce type de jeu qui donne des frissons de contentement. Tout ça pour introduire Killzone, digne représentant de cette catégorie de soft à "ambiance".
Prenant place dans un contexte exhalant des senteurs de science-fiction, et puisant ses inspirations dans le fabuleux Jin-Roh de Okiura Hiroyuki, ou encore les ténébreuses nouvelles de Philip K.Dick associées à la vigueur immersive d'un impressionnant "Il faut sauver le soldat Ryan", le dernier né des studios Guerrilla dépeint un contexte fort pessimiste. Dans la peau de Templar, un commandant de l'ISA (Alliance Stratégique Interplanétaire), vous devrez faire face à une menace s'étant réveillée d'une torpeur haineuse. En effet, les gouvernements de la Terre fiers de l'avancée technologique majeure du Monde, se sont concertés il y a de cela plusieurs dizaines d'années, pour décider les prémices de la conquête spatiale. Une fois les premières installations ancrées avec succès sur les planètes les plus hospitalières, l'élargissement commença. Afin d'asseoir un système politique identique à celui en vigueur sur la Terre, l'ensemble des colonies fut placé sous l'égide de l'ISA. Néanmoins les conditions de vie n'étaient pas les mêmes pour tous. En particulier sur la planète Helgan, où les habitants étaient soumis à diverses contaminations, et laissés à l'abandon par les autorités terrestres. Ne supportant plus cette négation de leur statut, des factions armées émergèrent et entreprirent de se battre pour leur reconnaissance. Les Helgasts furent alors fondés. Simples groupes guerriers au départ, ils furent récupérés par un dirigeant qui parvint à les fanatiser et à s'en servir en tant qu'armée personnelle. C'est avec les effondrements de plusieurs capitales de l'ISA que commence votre histoire.
Partant de ce principe intéressant de réflexion sur l'attitude et la "justification" des intentions premières d'un peuple méprisé, Killzone se présente comme un FPS respectant à la lettre les obligations du genre. Scénarisé de manière habile, à la façon d'un Half-Life, ou plus récemment d'un Halo 2, le soft de Sony permet une immersion immédiate dans un univers ravagé par les guerres incessantes, et les négligences des combattants. Vous observerez de ce fait des scènes anthologiques, que ne renieraient pas certains réalisateurs de longs-métrages, comme une phase de résistance acharnée face à un siège virulent de dizaines d'Helgasts accompagnés de chars d'assaut envahissant l'aire de combat subrepticement, ou encore la prise d'assaut d'un immeuble entier peuplé d'opposants belliqueux avec l'aide de seulement quatre hommes. Des mise en scène surprenantes, permettant des accès de bravoure enivrant. Toutefois, ceci à un prix, les scripts. Effectivement, les nombreuses situations cinématographiques que vous rencontrerez se dérouleront exactement de manière analogue, quelles que soient les actions que vous aurez effectué précédemment. Si un sniper doit éliminer l'un de vos coéquipiers à un endroit donné, vous pourrez revivre la scène plusieurs fois, rien ne se modifiera pour autant. Espérons à ce sujet que la prochaine génération de console permettra d'appréhender des évènements d'un oeil scrutateur et sans cesse inquiet, se demandant à chaque instant comment peut dériver une situation auparavant expérimentée. En l'état cela ne donne pas forcément envie de revivre l'aventure, et peut même parfois briser un tant soit peu l'intérêt d'une scène spécifique. De même, il aurait été profitable de développer les psychologies des personnages face à un affrontement fratricide, et surtout l'analyse d'une telle situation aux questionnements importants. Sommes-nous responsables de leur dégradation ? Sont-ce les bonnes cibles à abattre ? Comment se placer dans le conflit ? Les Helgasts sont-ils vraiment des hommes de chair et de sang ?
Véritables armures mouvantes, dont les seuls liens avec l'extérieur demeurent deux globes d'un rouge enflammé, remplaçant des yeux présentant un nombre trop important d'imprécisions, ces soldats au service d'un régime dictatorial ne réagissent pas aux pulsions habituelles d'un être humain. Ne ressentant aucun effroi, ils se jettent dans la bataille sans espoir de survie. Conditionnés et fortement armés, ils sèment la désolation sans une pointe de pitié ou de compassion au sein de leur regard morne et lumineux. Vecteurs d'une critique de la Seconde Guerre Mondiale, et des erreurs se répétant malgré les mises en garde, ils sont également détenteurs d'un design de grande qualité, s'étendant sur l'ensemble du titre. Que ce soit au niveau des armes, des bâtiments, ou bien tout simplement des personnages, le travail effectué est suffisamment accrocheur pour attirer l'oeil et surtout le conserver. En fait, on ressent réellement une progression de l'architecture moderne vers les structures présentées au sein du titre. Si l'on essaye un tantinet de se projeter dans le futur et d'imaginer une évolution "logique", on adhère sans aucun a priori au monde de Killzone. Le souci du détail est omniprésent, et chaque chose semble avoir son utilité. On ne se dit pas, "il y a une vie", car ce n'est pas le cas, mais "il y a eu une vie". Cette impression d'abandon, de départ précipité. Le niveau du parc est véritablement le plus évocateur dans cette optique-ci. Semblant déambuler dans un Tokyo printanier, vous serez troublé par les moments de calme entre les affrontements. Un cadre somptueux, animé par des pétales s'envolant lestement dans les airs.
A ce sujet, la réalisation s'avère somptueuse pour une PS2 en mal de calculs de polygones. Les textures utilisées sont relativement fines et s'accommodent parfaitement à chaque type de matériaux rencontrés, comportant des aspects poussiéreux ou fissurés de très bonne facture. De plus, la gestion de la lumière associée à une mise en forme des particules fascinante permet de créer des atmosphères réellement prenantes, plongeant encore davantage le joueur dans les affres d'un combat permanent. Il suffit de voir les rais s'extirpant d'une fenêtre brisée, illuminer les débris de ce qui était autrefois une cloison pour s'assurer de la volonté notable des développeurs de proposer des touches sensibles de réalisme. Il en va de même pour les Helgasts, bien que très inspirés des unités de la "Kerberos Panzer Corps" dans Jin-Roh. Effrayants, imprévisibles, et implacables, ils respirent vraiment l'inhumanité la plus flagrante et brutale. Pénétrer dans la pénombre d'un couloir en déliquescence et n'apercevoir que deux points rouges furtifs, laissant une légère rémanence, demeure un moment d'inquiétude séduisant. La majeure partie des objets présents à l'écran sont en outre destructibles, ce qui permet d'apposer ses propres stigmates, seuls témoins des évènements terrifiants se déroulant dans ce futur alternatif et effroyable. Il est de ce fait encore plus dommage d'être terriblement guindé dans ses déplacements, de faire partie d'une cruelle linéarité, alors qu'il aurait été facile de proposer un système donnant la possibilité de surmonter tous les obstacles, et non pas un sur cinq sans raisons apparentes, ou bien encore de les réduire à néant pour progresser plus aisément. Dans le même ordre d'idées, on observe avec dépit que certains écueils de la version preview n'ont pas été retravaillés. Principalement concernant la physique des corps sans vie de vos opposants et alliés. Effectivement, vous aurez des visons d'horreur en constatant les positions que prendront ces derniers en contact avec des obstacles. Outre les membres pénétrant les structures sur lesquelles ils sont effondrés, il est plus qu'évident que les diverses attitudes de ces deniers sont bien trop exacerbées pour être pleinement crédibles. Dommage. Au final, laissons parler le contexte et les plaisirs ressentis afin de se sentir investi par l'âme d'un titre loin d'être parfait, mais qui possède suffisamment de coeur pour vous combler.
- Graphismes16/20
Non exempt de reproches, tant au niveau de la distance d'affichage parfois encombrée d'un halo gris, ou de la finesse discutable de certaines textures, Killzone demeure pourtant une petite perle graphique, qui n'a pas à rougir de la ludothèque de qualité de la PS2. Arborant un level-design original, aux enchevêtrements architecturaux fascinants et très détaillés découvrant de nombreux puits de lumière, le titre de Guerrilla pousse parfois à le contemplation. Sans omettre bien évidemment un design général de haute tenue, nous proposant un ensemble de personnages, véhicules et mêmes armes parfaitement insérés dans l'ambiance du soft, et respectant une cohérence confondante.
- Jouabilité15/20
Relativement aisé d'appréhension et fort classique dans le fond, le gameplay ne fait pas figure de révolution dans la longue lignée des FPS console. Toutefois, il permet de ce fait de se plonger immédiatement dans le feu des affrontements, sans avoir à se remémorer un nombre incalculable de touches. Les actions principales sont idéalement placées, et l'on prend un plaisir immédiat à parcourir le soft. Le système de visée reste très stable, mis à part le réticule du fusil sniper qui peut déstabiliser au départ, mais qui devient un simple détail avec de l'expérience. Le seul défaut notable réside dans les actions "spéciales", comme grimper à une échelle ou escalader une barricade, qui nécessite d'abord de bien se placer jusqu'à l'apparition d'une icône permettant d'effectuer le mouvement. Un peu dérangeant en plein combat. A noter enfin une I.A des ennemis convaincante, cherchant d'abord la sécurité, plutôt que l'assaut frontal.
- Durée de vie14/20
Le soft s'avère relativement long, et les diverses missions demandent du temps et de la concentration pour être terminées dans les meilleures conditions. Les ennemis demeurant fortement armés et redoutablement précis ne vous laissant pas l'opportunité de foncer tête baissée, il vous incombera de mettre en place des stratégies d'assaut, dans le but de ne pas périr au détour d'un couloir glauque. De plus, un mode multijoueur est présent, vous permettant de vous mesurer à des amis via des concepts relativement connus de tous les fans de FPS, comme le deathmatch, le CTF (Capture The Flag), ou encore les affrontements en équipe. On aurait aimé plus de possibilités, mais au moins ce mode a le mérite d'être présent.
- Bande son16/20
Entre les envolées lancinantes ou au contraire passionnées de l'orchestre philharmonique de Prague, et les détonations sans cesse plus inquiétantes, vous allez plonger dans un univers sonore immersif et mis en place de manière intelligente. Chaque coup de feu, chaque balle fendant l'air en sifflant, devient un danger latent. On se prend d'ailleurs rapidement à se servir autant de son sens de l'ouïe que de celui de la vue. Les ordres hurlés emplissent l'air et vous feront oublier votre statut de spectateur-joueur. Les doublages sont quant à eux convaincants, sans pour autant atteindre le niveau de la version US. Enfin, et comme évoqué ci-dessus, les compositions musicales, bien qu'assez discrètes sont magnifiques et vraiment ancrées dans le titre.
- Scénario14/20
Au point où j'en suis, le scénario a commencé à bien se développer, et j'attends impatiemment les diverses révélations qui ne vont pas tarder à subvenir. Se mettant en place assez lentement, il vous laisse vous imprégner du caractère de chaque protagoniste, sans pour autant vous révéler ses aspirations profondes. Un flou bien ménagé qui ne demande qu'à exploser. A côté de cela, les phases scénaristiques sont relativement bien amenées dans le jeu, et la mise en scène clairement cinématographique met bien en relief les intervenants, tout en cherchant la majeure partie du temps à bien démontrer l'ambiance pessimiste du soft. On a vraiment hâte de progresser, ce qui demeure le plus important.
Prenant et fascinant, violent et laissant volontairement de longs moments de silence inquiétants, Killzone est un peu à l'image des impressions qu'il procure. Il commet des erreurs, contient des écueils, mais dispose d'une aura particulière et d'une puissance ludique et immersive réellement prenantes. On regrette simplement que quelques-uns des problèmes de la version preview n'aient pas été réglés, et qu'il est dommageable de devoir parfois contenir sa joie à cause de ces carences souvent idiotes. Mais pas d'inquiétude, Killzone est un bon jeu, qui trouvera une place de choix dans le créneau de la S-F torturée sur PS2.