Ses yeux avaient perdu l'étincelle d'espoir et de rage présente au début de la bataille. Ses cheveux détrempés masquaient une partie de son visage. Il demeurait devant notre armée, transi de froid et grelottant, harassé par le flot continu de la pluie s'abattant sur ses dernières illusions. Laisse-toi emporter par les sombres vagues de ces rois déchus. N'osant proférer une parole, résolu à accepter son erreur et ses vastes utopies, il se résigna et n'opposa aucune résistance à la lame déchirant son corps. L'anneau se rapproche, je le sens. Les légendes exposeront comment j'ai tué le grand Aragorn.
En effet, et c'est là la première des forces animant ce titre basé sur la trilogie de Tolkien et par extension de Peter jackson, vous avez la majestueuse opportunité d'incarner au choix l'une ou l'autre des factions se déchirant la possession de l'anneau unique. D'un côté la Communauté de l'Anneau, résolue à détruire cet artefact au passé sanglant, et de l'autre les armées de Sauron, dont le but est d'anéantir la race des Hommes et d'obtenir le pouvoir de l'anneau. Sachez par ailleurs que contrairement à ses homologues sur console de salon, le jeu met à votre disposition deux scénarios différents suivant le groupe que vous décidez de mener à la victoire. Six personnages principaux sont d'ailleurs présents pour diriger chacun d'entre eux. Le camp humain met en avant Aragorn, Gandalf, ou Elrond, tandis que les créatures du Mordor s'avèrent représentées par Saroumane, le Roi-Sorcier, sans oublier la Bouche de Sauron. Il vous incombera de mettre votre confiance dans l'un d'entre eux dès le commencement de l'aventure. Conduirez-vous la fière communauté jusque dans le volcan, ou bien étendrez-vous votre malsaine domination sur le monde ? Je vous laisse seul juge. Personnellement, et tout simplement pour jouer au Sephiroth, j'ai décidé de me ranger aux côtés des hordes du Mal. L'écrasement de Gandalf et de ses compagnons me délecte encore.
Sorte de Tactical-RPG simplifié, Le Tiers Age s'apparente plus à un ersatz de Fire Emblem qu'à un dérivé de Final Fantasy Tactics Advance, d'une part au niveau du gameplay, et d'autre part dans la manière de gérer les affrontements. En effet, pas de résurrection possible durant les épiques batailles qui mettront vos nerfs à rude épreuve, et un côté stratégique mis en avant à défaut d'être irréprochable. Bénéficiant d'une interface générale travaillée et en accord parfait avec l'atmosphère du Seigneur des Anneaux, le jeu dévoile le scénario au gré d'une carte de la Terre du Milieu, constellée de points correspondant à des missions à accomplir. Très linéaire, ce système ne vous autorise en aucun cas à sortir du tunnel scénaristique où vous place ce dernier. N'espérez pas parcourir librement le monde de Gimli et de ses frères d'armes, vous seriez déçu. Néanmoins vous aurez parfois l'occasion de choisir entre deux étapes différentes de façon chronologique. Une escapade toute relative qui n'aide pas à ne pas souffrir de cette carence d'embranchements divers et variés. Dommage. Cependant ne croyez pas que la lassitude viendra vous cueillir au détour d'un ténébreux bosquet. Effectivement, le propre du T-RPG est notamment de contenir toute sa force dans les phases guerrières et réfléchies, nécessitant quelques réflexions de la part du joueur avide de pièges et autres contournements de troupe. Voici ce que les sages ont pu lire au sein des carnets de bataille du Gondor.
Avant la plupart des quêtes, il vous sera demandé de choisir parmi plusieurs alliés deux commandants, qui vous serviront de soutien face aux situations les plus désespérées. Disposant chacun de forces et de faiblesses, il vous faudra agir avec discernement pour équilibrer votre camp. De même, ces petits plaisantins se voient détenteurs de points de commandement. Qu'est-ce ? Me direz-vous. Et bien il s'agit du nombre représentant le nombre d'unités auxquelles ils peuvent donner des ordres. Par exemple, un Legolas affublé d'un "(0-3)", signifie que ce dernier peut, au gré des tours, dispenser des instructions à aucun ou plusieurs attaquants. De un à trois précisément. A vous donc de bien faire attention à ce principe également. D'autre part, les aires d'affrontements se révèlent divisées en trois parties. Une à l'est, une à l'ouest, et une centrale disposée parallèlement. Dès votre arrivée dans le combat proprement dit, vous devrez mettre en place vos généraux de façon optimale. En fait, chaque section, sauf cas particulier où vous ne disposez que d'un ou deux commandants, doit comporter son dirigeant. Seul être à posséder des pouvoirs magiques, ou à pouvoir utiliser des objets, il se révèle indispensable à une progression correcte. D'autant que comme expliqué ci-dessus, il est celui qui permettra aux troupes d'agir. Vous débutez donc le conflit avec vos trois colonnes de créatures armées.
A partir de maintenant, et au début de chaque tour, un petit tableau vous indique les points répartis dans chacune des sections que vous dirigez. Par exemple, s'il se présente sous la forme 3-2-0, cela veut simplement dire que l'ouest possède trois soldats pouvant agir, le centre 2, et l'est aucun. C'est un peu compliqué comme ça sur le "papier", mais cela se comprend aisément au sein du soft. A vous ensuite de diriger vos militaires dans le but d'engranger les points de victoires nécessaires à la conclusion de l'épisode, en respectant les conditions de bataille indiquées avant chaque pugilat. Brûler une forêt, atteindre des drapeaux, tuer Isildur, sont quelques-unes de ces conditions. Une somme d'idées très intéressantes, donc, et qui renouvelle agréablement le genre. Malheureusement, elle n'est pas exempte de défauts. Le plus gênant reste sans aucun doute la gestion de l'aléatoire dans les combats. Effectivement, les points de commandement sont distribués aléatoirement, dans la limite de ceux que vos généraux possèdent bien évidemment. Je vous promets qu'être face à un Boromir énervé et se rendre compte qu'aucun point n'est disponible pour s'enfuir ou tout simplement attaquer est assez dérangeant. Toutefois, les sections ne sont pas fermées et vous pouvez très bien envoyer un de vos commandants en seconder un autre pour augmenter votre capital de points de commandement. Attention tout de même, car une faction sans dirigeant se voit attribuer seulement de 0 à 1 point par tour, ce qui est très peu. Mettre en place une stratégie mûrement réfléchie est par conséquent un atout, qui se trouve pourtant annihilé par la place trop imposante de la chance.
Dans le même registre, il est véritablement énervant d'observer un déséquilibre flagrant au niveau des armes. Ce qui commençait par un point très positif perd d'un seul coup sa valeur. En effet, la plupart de vos guerriers peuvent utiliser soit un outil tranchant, soit un arc lorsque la distance se fait trop importante. Un ajout digne de louange, qui permet, certes, de varier son approche de la situation, mais qui pose également un réel problème. Les flèches ont sincèrement une portée trop étendue. Il vous arrivera souvent de voir vos gobelins se faire massacrer joyeusement par une troupe d'elfes alors que vous n'avez pas encore bougé. Ce ne sont pas les assauts les plus puissants bien sûr, mais ils suffisent souvent à entailler une bonne partie de vos hommes. Les déplacements quant à eux se font à la manière de tout bon T-RPG classique, via des cases symbolisant la zone dans laquelle vous pouvez vous déplacer, et s'adaptent au type d'unité. Les cavaliers peuvent par exemple se mouvoir deux fois de suite (qui a dit Fire Emblem ?), tandis que les orcs massifs, ou encore les Trolls des cavernes ne bougent que d'une ou deux cases à la fois. Pour terminer, les attaques dans le dos d'un opposant ne sont pas spécifiquement bénéfiques, et seuls le dénivelé est les obstacles naturels sont pris en compte.
Je serais tenté d'évoquer le même déséquilibre en ce qui concerne l'apparence graphique du titre. Il est véritablement enivrant de retrouver l'atmosphère des romans de J.R.R Tolkien sur sa petite portable. Les landes brumeuses, les villages en ruines, les vertes vallées, ou encore les falaises abruptes se dévoilent à vos yeux de manière très crédible. On a vraiment l'impression d'oeuvrer en faveur de son clan dans l'immense Terre du Milieu, de fouler du pied des lieux emplis de souvenirs, de projections imaginaires et tout simplement de légendes. Les zones de combat sont effectivement suffisamment bien rendues pour immerger le joueur dans la Guerre de l'Anneau, utilisant des teintes en adéquation avec l'ambiance de cette dernière et un niveau de détail plutôt correct. De même, les animations et les "fonds d'écran" durant les affrontements (encore à la Fire Emblem, décidément) demeurent d'une qualité fort convaincante. En revanche on ne peut pas en dire autant de la représentation des protagonistes, qui ressemblent aux personnages de Killer Instinct en plus sombre. Je n'ai jamais été vraiment accroc à cette espèce de modélisation pseudo 3D, qui passait encore dans le cas du jeu de Rare du fait d'environnements suivant ce choix graphique, mais qui s'incruste assez mal dans Le Tiers Age. Tout du moins durant les écrans de combat d'homme à orc. Au final, donc le soft d'Electronic Arts fait office d'initiation au Tactical-RPG, en conservant bon nombre d'idées dignes d'intérêt, néanmoins un tantinet assombries par des lacunes qui sans être catastrophiques, nuisent un peu au côté stratégique. Un jeu relativement convaincant, mais qui ne satisfera pas les acharnés du T-RPG.
- Graphismes13/20
Détenteur d'un style graphique assez particulier, Le Tiers Age comporte pourtant des aires de combat relativement détaillées et possédant l'ambiance enchanteresse de la trilogie de ce conteur de génie qu'est Tolkien. Les diverses attaques corporelles sont très bien animées, et les assauts magiques dispensés restent suffisamment jolis pour contenter le joueur attiré par l'aspect spectaculaire des affrontements. Pourtant on ne peut que regretter le parti-pris concernant la représentation des personnages, qui s'inscrivent mal au sein du titre. Dommage.
- Jouabilité15/20
Le système est rafraîchissant et plutôt bien pensé, mais il emprunte également pas mal de choses à d'autres T-RPG de renom sans pour autant y apporter d'évolution notable. Le principe des diverses sections à gérer est une invention à vraiment creuser pour en tirer la quintessence, cette dernière ne restant qu'à l'état de simple "plus" dans cette version. De même l'idée des commandants détenteurs de points de commandement s'avèrent intelligente, mais néanmoins handicapée par le facteur chance.
- Durée de vie15/20
Le nombre de missions semble suffisamment élevé pour vous tenir en haleine durant une vingtaine d'heures voire plus si vous effectuez les deux versants du scénario principal. En effet, une fois la quête de la Communauté terminée, demeurera encore celle des monstres de Sauron. De plus, la difficulté étant bien équilibrée, il vous faudra rester concentré tout au long de l'aventure et passer parfois plus d'une demi-heure sur un combat. Et si cela ne vous suffit pas, un mode multijoueur s'empressera de venir à votre rescousse.
- Bande son14/20
Les diverses compositions présentes dans le titre sont d'une qualité sonore surprenante pour de la GBA et font référence aux plus grands thèmes des films de Jackson. Toutefois, elles ne sont put-être pas assez diversifiées, et l'on est souvent contraint de réécouter un précédent morceau. Un travail imposant toutefois. Les voix digitalisés sont quant à elle rares, mais convaincantes.
- Scénario14/20
Alors oui, le scénario du Seigneur des Anneaux est d'un gigantisme sans précédent et d'une cohérence ahurissante, mais il apparaît que dans le jeu, des pans entiers de l'histoire sont mis de côté maladroitement. De fait, quelqu'un qui n'a pas lu ou vu la trilogie, ne comprendra pas grand chose à ce qui se passe. On aurait aussi apprécié un remaniement conséquent lorsque l'on passe du côté des vilains pas beaux qui bavent, mais on se console en incarnant les êtres les plus charismatiques de cette épopée. Incarner un Spectre de l'Anneau... toute une histoire.
Le Tiers Age n'est pas vraiment le RPG sensationnel annoncé, et fait plus office d'un moyen de découverte grand public que d'un T-RPG fouillé et réellement riche. Amenant avec lui un grand nombre d'idées intéressantes, il reste cependant un soft de qualité, qui ne convaincra pas vraiment les amateurs de FFTA ou de Fire Emblem, mais qui demeure suffisamment bien construit pour immerger le joueur durant des heures de déambulation en Terre du Milieu. Pour la peine, je ne lancerais pas Gimli.