Tel un cri d'enfant pouvant faire rire en plein jour et terrifier en pleine nuit, Silent Hill 4 réchauffera votre coeur et vous glacera le sang. Portant le lourd fardeau d'amener la série vers un autre horizon, The Room, par le simple fait de véhiculer une interrogation de par son seul titre, gagne son premier combat en invitant le joueur à faire un pas puis un autre pour entrer dans la pénombre la plus totale. D'une claustrophobie suffocante à une peur primaire du noir en passant par une curiosité qui nous fait avancer, Konami incite le joueur à aller de l'avant, encore et encore.
Avec Silent Hill, Konami n'aura jamais aussi bien réussi le pari de singer tout en se démarquant habilement de ses modèles pour créer au final un nouveau genre qu'on pourrait qualifier de Critical Horror, l'horreur atteignant ici un point de non retour, un seuil critique. Les trois premiers volets de la série ont donc, chacun à leur manière, apporté une pierre à l'édifice du grotesque horrifique où divinités séculaires usèrent nos croyances (SH puis SH 3) tandis que la fragile cohésion du réel et de l'esprit fut rendue malléable pour mieux nous briser dans un psychologique Silent Hill 2. The Room marque donc, comme il se devait de le faire, le début d'un nouveau pèlerinage pour le joueur vers des horizons torturés, nauséeux, ou quand une tragédie grecque rencontre le cinéma de John Carpenter, Hideo Nakata ou encore de Jaume Balaguero. Ne cherchez pas la réponse dans l'image, ne cherchez pas une voie, qui sera inévitablement sans issue, Silent Hill 4 nous arrive tout droit de la bouche de l'enfer, son coursier se nomme Konami, et il ne vous reste plus qu'à prier, un dieu impie, cela va de soi.
Si Silent Hill 4 n'a pas pour ambition de révolutionner le genre, il apporte malgré tout un point de vue différent dans sa narration du moins par rapport aux opus précédents. Ainsi, le joueur naviguera constamment entre un univers tangible, représenté par son appartement, et un monde parallèle constitué de lieux que le réel et la folie auront procréés. Ceci dit, le 4eme opus de SH est bien plus linéaire que ses prédécesseurs, ceci étant dû aux énigmes moins nombreuses et plus simples et à l'action qui prendra dès lors le pas sans autre forme de procès. Mais ce qui ressort de cette énième aventure horrifique est avant toute chose un pur moment de délectation malsaine, la terreur ne cessant d'humecter nos lèvres afin que nous salivions devant chaque nouvelle cut-scene ou invention des développeurs. Je me permets ainsi d'avouer ma passion pour ce titre qui m'aura fait voyager dans un espace-temps numérique qui résonne encore de cris infâmes et de visions déformées ou quand l'espoir de comprendre un cauchemar finit par nous dévorer tout entier.
Le pitch de départ du jeu voit un certain Harry Townshend emprisonné dans son appartement (hermétiquement coupé du monde) et qui n'aura d'autre échappatoire que de passer par un mystérieux trou apparu dans sa salle de bains pour démêler le vrai du faux, le présent du passé, le Moi du Surmoi. Si je ne vous révélerai quasiment rien du scénario, je vous dirai juste que cet opus revient sur un des personnages des plus esquissés de Silent Hill 2, du nom de Walter Sullivan, qui n'était en tout et pour tout représenté que par quelques notes et dialogues.
Le synopsis du titre est une fois encore alléchant en termes de possibilités, de délires graphiques, de passages effroyables, d'allusions macabres et de révélations. A ce titre on retrouve des hommages plus ou moins appuyés à plusieurs long-métrages. J'ai pour ma part adoré le petit garçon qu'on retrouve à intervalle régulier qui me fait penser au Gage du film Simetierre dans la teneur maléfique de son regard et l'innocence dont il se sert pour terrifier son entourage. Je pourrai également citer le fameux couloir de l'hôpital gardé par de multiples fauteuils roulants (indissociables de la série) qui m'a ramené des années en arrière lors du visionnage de Freddy 3. Les abondances au genre pullulent, les clins d'oeils sont bien là (Dans La Peau De John Malkovich en tête de liste) et ici aussi le cinéphile se régalera dans ce dédale Kafkaïen.
On se laisse d'autant plus prendre au jeu qu'à l'image de Silent Hill 2, on ne peut s'empêcher de se questionner sur l'issue de l'aventure. Ceci est amené par les mystérieuses lettres qu'on reçoit, les messages laissés par l'ancien propriétaire de l'appartement (qui a lui aussi disparu), les inscriptions sur les murs ou les personnages qui viendront croiser notre route. Par contre, il est assez drôle de constater que le degré d'immersion du joueur est inversement proportionnel à l'implication de Harry dans ce qui lui arrive, tant le héros semble détaché de ce qui se passe. Mais, ici, je me répéterai une fois de plus en affirmant que Silent Hill doit être vu comme un livre (plus encore qu'un film) où nous construisons l'histoire, où notre avatar n'est finalement qu'une coquille vide que l'on remplit de notre envie de savoir. En cela, on se rapproche beaucoup de Silent Hill 2, même si James avait, lui, pour unique but de retrouver sa femme (implication très forte du héros) sans pour autant analyser profondément ce qu'il voyait, ce qui ramène à une distanciation qui laissait alors le soin au joueur d'avoir sa propre vision des choses.
Si nous repassons bien par tous les environnements du titre en charmante compagnie, le tout se montre suffisamment intelligent pour s'offrir les services de nouvelles créatures, d'énigmes et surtout de nombreuses cinématiques faisant avancer le scénario. De ce fait, je ne vois pas trop le problème dans la construction, même si je suis conscient qu'elle aurait pu être un peu mieux élaborée. En l'état, on obtient alors une durée de vie un peu plus élevée (comptez sur 9 à 10 heures pour finir le jeu) mais je suis formel en affirmant que le plaisir de la découverte ne baisse pas.
Outre le fait d'évoluer en vue subjective dans votre appartement, le jeu se dote d'un nouveau système de combat avec esquive et charge pour porter un coup plus puissant. Ensuite l'inventaire est accessible via un menu d'action rapide et les sauvegardes sont uniquement réalisables à un endroit bien précis, à savoir chez vous. Vous devrez aussi faire attention aux objets que vous transporterez sachant que leur nombre sera limité. Le coffre de votre appart sera donc là pour accueillir armes et items encombrants et il vous faudra faire des allers-retours afin de constituer votre besace comme bon vous semble. Si on peste un peu au départ devant ce système, on s'y fait bon gré mal gré, les trous pour passer de votre dimension à celle déformée étant nombreux et bien placés. L'autre chose qui pourra aussi vous énerver est la place de l'action qui prend ici ses aises. Rien de dramatique si ce n'est certains monstres qui ne pourront être tués, qui reviendront très souvent et qui pourront vous blesser de par leur simple présence. Cependant vous trouverez un peu plus tard dans le jeu des bougies et épées qui pourront temporairement régler ces douloureux problèmes. En ce qui concerne la vue subjective, rien de bien précis à en dire si ce n'est que l'idée est bonne et bien exploitée par la possibilité d'épier votre voisine par un trou dans le mur ou bien de jeter un oeil à votre palier en regardant par le judas de votre porte. Le reste du titre se joue à la troisième personne et si on a parfois quelques soucis de caméras, il est légitime de féliciter les programmeurs qui ont bien compris le problème et qui se sont pliés en quatre pour nous offrir des angles de caméra majestueux.
Artistiquement, hormis la démarche de Harry qui m'évoque encore plus celle d'un robot que le déhanchement d'Heather dans Silent Hill 3, le tout est simplement parfait. Du grain particulier savamment utilisé lorsqu'on arrive dans le monde parallèle aux atmosphères poisseuses où le brouillard englobe tout, Silent Hill 4 est irréprochable. Le jeu utilise à merveille les différents cosmétiques du démon pour habiller son bestiaire et les couleurs gluantes pour peindre ses environnements. Si je mettais en avant le fait qu'on retrouvait plus ou moins les mêmes décors que dans les autres segments (à savoir le métro, un immeuble, un hôpital, une forêt, une prison...), comment ne pas succomber une fois de plus au talent des graphistes qui ont donné naissance à la représentation de nos cauchemars les plus sordides. Ceci se ressent tout autant dans les lieux visités que dans les monstres qu'on croise. Mais ici, on préféra plutôt les attitudes des freaks aux freaks eux-mêmes qui ne sont "que" chiens mutants, gorilles décharnés, mouches géantes, poulets sur pattes au visage de bébé, etc. Mention spéciale au dernier monstre évoqué qui vous pointera du doigt dès qu'il vous verra et vous chargera dans la seconde qui suit.
Dire que la bande-son apporte beaucoup serait un euphémisme. Les bruitages sont admirables et contribuent grandement à la réussite du jeu. Les divers sons utilisés pour la démarche ou les cris des monstres sont délectables, le doublage anglais se veut plaisant et un peu détaché ce qui sied à merveille au titre. Les cris lointains déchirent souvent le rythme pesant et moite du la progression et une fois de plus le procédé sonore employé par Konami est si efficace qu'on a l'impression d'avoir un Home Cinema à la place d'un simple téléviseur stéréo. Et les musiques dans tout ça ? Et bien, à l'image du thème principal : belles, langoureuses, ténébreuses, Yamaoka Akira ayant non pas composé un hymne à la joie mais bel et bien un véritable hymne à la Mort.
On pourra vous dire tout et n'importe-quoi sur Silent Hill 4 : The Room, sur ses partis pris, sur sa construction, sur sa durée de vie et j'en passe. Mais ayez bien à l'esprit que si vous avez aimé les trois autres épisodes (surtout le deuxième), vous allez une fois de plus tomber sous le charme. Si The Room cherche bel et bien à faire évoluer le matériau de base, le scénario n'en est pas pour autant oublié, le titre nous donnant constamment le choix d'avancer rapidement où de poser nos valises pour réfléchir à ce que nous venons de voir. Cette optique est si précieuse qu'il serait malvenu de ne voir en ce survival qu'un produit formaté destiné à faire plaisir aux fans. Certes, je suis le premier ravi à chaque annonce d'un nouveau Silent Hill mais il faut aussi voir que la série se dote à chaque fois (à des degrés différents) d'un scénario minutieux, de découvertes graphiques maladives et d'une impression de ne plus exister une fois qu'on a le pad en main.
- Graphismes16/20
Les décors de Silent Hill 4 renvoient à ceux des précédents opus, mais une fois encore, le titre se dote d'une qualité graphique surprenante, les effets spéciaux (comme une simple brume) contribuant à instaurer une ambiance délectable. Les visages des personnages sont toujours aussi étonnants de réalisme et seules leurs démarches manquent de finesse.
- Jouabilité15/20
Le système de combat et d'inventaire a complètement été revu et s'il amène une plus grande souplesse, quelques petits problèmes sont à surmonter, comme le fait de devoir faire de constants allers-retours pour ranger les objets en trop dans une malle se trouvant dans le monde réel. Enfin, on notera que vous disposez désormais automatiquement d'une carte du niveau où vous vous trouvez. Ceci est d'ailleurs représentatif de l'orientation du jeu : plus simple d'accès au niveau des énigmes, plus orienté action mais proposant en contre partie un suivi beaucoup plus intense de l'histoire. Un mélange qui peut s'avérer dommageable de prime abord mais qui se révèle finalement bien pensé à de multiples égards.
- Durée de vie13/20
Le jeu est bien plus simple que les autres épisodes de part des énigmes qui se veulent un peu trop proches de celles d'un Resident Evil. Vraiment dommage, mais paradoxalement il vous faudra un peu plus de temps pour boucler l'aventure, le jeu étant construit en deux parties, si je puis dire, avec un retour forcé dans les environnements déjà visités. Mais attention, car cette "deuxième" partie n'est absolument pas un défaut qu'on pourra mettre en avant pour descendre le jeu ! Citez-moi un survival à la bonne durée de vie qui ne joue pas sur de multiples allers-retours ?!
- Bande son17/20
Les bruitages d'ambiance (bruits des monstres, cris, sons de portes, etc.) font partie des meilleurs qu'il m'ait été donné d'entendre. Le doublage anglais est très réussi et soutient brillamment la psychologie des protagonistes et les musiques sont mystérieuses, angoissantes, belles et délicates. Que demandez de plus ?
- Scénario15/20
Rattaché à celui de Silent Hill 2 par le truchement du retour de Walter Sullivan, Silent Hill 4 : The Room se veut très intéressant. La mise en scène est précise et distille une pléthore d'indices pour vous retourner les méninges mais il est dommage que le scénario se tasse arrivé au dernier quart du jeu. Malgré celà, la lecture du jeu se rapproche de celle d'un livre de Douglas Clegg ou de Ramsey Campbell.
Le scénario instaure malaise et surprises macabres même si la fin du jeu est assez décevante. Certains joueurs aimeront le surplus d'action, d'autres non, et si je fais partie de la seconde catégorie, je confirme que cet aspect ne nuit pas vraiment à l'éclosion d'une histoire intéressante qui, bien que moins développée que celle de Silent Hill 2, demeure envoutante. La construction du jeu est perfectible mais apporte une durée de vie un peu plus conséquente et la maniabilité a été revue et ne souffre pas de gros défauts. The Room clôt donc la série d'une bien belle façon et si vous entendez quelques esprits malins hurler contre la perle noire de Konami, ne reculez pas, prenez votre courage à deux mains, préparez-vous à façonner la réalité à votre convenance et rentrez de plain-pied dans une obscurité si... reposante.