Est-ce un choix judicieux de mettre en avant un animal comme la tortue lorsque l'on désire ardemment modeler de toutes pièces un personnage inédit, et qui plus est télégénique ? A la vue de la vigueur légendaire et affichée de cette créature à la dure carapace, il serait légitime de se poser cette question cruciale. Certains précurseurs du domaine du divertissement se sont penchés sur cet épineux problème et ont abouti à une réponse affirmative. De ces hautes réflexions sont sorties les Tortues Ninja, et plus récemment Franklin. Différents dans leurs méthodes, ces personnages n'en demeurent pas moins sujets à la fièvre vidéoludique. Mais certains n'en réchapperont pas, et conserveront de lourdes séquelles.
Guilleret, affable, et étonnamment poli pour un reptile de la famille des Chéloniens, Franklin est l'archétype même de l'ami sûr et stable sur lequel on peut compter, mais aussi celui qui énerve, de par son respect aveugle des convenances sociales. Il n'en reste pas moins l'icône d'une éducation réussie et respire une joie de vivre communicative, relayée par sa casquette aux vives couleurs et son visage joufflu. Individu phare d'une série animée à vocation didactique de très bonne qualité et traitée intelligemment, ce bon vieux Franklin se voit soudainement catapulté dans un environnement plus exigu que d'habitude dont il ne connaît pas les règles visiblement. Ce lieu à l'espace réduit se nomme la GBA et est bien moins attirant que la verte campagne, tendrement imbriquée dans le coeur de notre amie la tortue à chapeau. Est-ce du ressentiment, ou du dépit, mais quoi qu'il en soit, nous allons faire les frais de cette mauvaise humeur évidente. Tout d'abord, Franklin n'est pas un soft ludo-éducatif à l'intérêt cantonné comme son nom l'indique à l'apprentissage (ce qui n'a rien de péjoratif bien au contraire), mais une sorte de compilation de mini-jeux, similaire à ce que l'on peut dénicher par exemple dans le sincèrement divertissant Mario Party. Vous aurez ainsi l'insigne honneur de vous essayer à 20 épreuves, plus ou moins originales selon les cas, et à la capacité de plaisir ludique également variable. On distingue en fait deux grandes catégories (on croirait un exposé).
D'un côté les divertissements originaux, et de l'autre ceux inspirés, voire plus, de classiques de l'époque Game and Watch. Dans le premier cas, vous aurez l'opportunité de vous essayer à une course de vélo où des bonus vous permettent de gagner en possibilité d'accélération, ou encore à la dure vie d'un castor qui doit reconstruire son barrage du côté nord de la rivière, en partant en quête de branchages sur la rive opposée tout en évitant les troncs emportés par le courant. De l'autre point de vue, vous assisterez à une réactualisation de "Fire", au sein duquel vous deviez sauver des personnes sautant d'un immeuble (ici remplacées par des écureuils) à l'aide d'un toile tenue par deux pompiers (Franklin et Martin), doublée par exemple d'un ersatz de Pong, dont la balle de tennis est métamorphosée miraculeusement en un ballon de football, et le fond noir en terrain herbeux. Lorsque l'on passe en revue les divers passe-temps, on s'aperçoit bien vite que l'absence d'une volonté manifeste de renouvellement s'avère belle et bien présente. Non que réutiliser des concepts déjà éculés soit condamnable en soit, mais une sensation sous-jacente d'un certain "ça ne se verra pas parce que les enfants ne connaissent pas", demeure plus dommageable. Néanmoins certaines épreuves sortent du lot, de par un gameplay agréable et une idée de départ sympathique, agréablement honnête. Je prends pour preuve le "jeu des billes" contre Raffin le renard, qui s'avère un tantinet stratégique et demandant une bonne gestion de la puissance de propulsion, à l'aide de la jauge correspondante, ou bien le jeu des 7 familles qui s'il n'apporte rien de nouveau parvient tout de même à faire passer un bon moment, en passant par le hockey sur glace, qui bien que lacunaire à cause d'une I.A étrange réussit à captiver. Un état pourtant rare dans ce soft.
Soumis à des problèmes récurrents de jouabilité, malgré une prise en main intuitive et des commandes simplifiées au possible, notamment lors des niveaux intitulés"Franklin au jardin" ou "Course à skate-board", le titre a du mal à convaincre. Rester coincé derrière un obstacle sans possibilité de survie , ou encore ne pas pouvoir remplir son arrosoir lorsque la pression nous pousse à accélérer le pas, sont des preuves de manque de finition flagrante. Dans le même registre, la récolte des pommes agace au plus haut point, ne sachant d'aucune manière si le fruit risque de choir à l'intérieur ou au dehors de son panier. Le second écueil réside dans l'absence de pénalisation flagrante. Certes ce type de titre est clairement destiné à des enfants en bas âge, public incontestable du dessin animé, mais combien de fois faudra t-il faire remarquer que ceux-ci ne représentent pas une masse d'idiots incapables. Les petits connaissent de nos jours relativement bien le monde vidéoludique, et leurs réflexes et capacités cognitives ne sont pas aussi limités que les développeurs le laissent entendre. Je ne conseille pas de proposer une difficulté insurmontable, ce qui serait d'une idiotie patentée, mais il serait bon d'équilibrer un tant soit peu le tout.
Personnellement j'ai terminé Franklin en 40 minutes en refaisant même certaines étapes, et un enfant de 5 ou 6 ans ne mettra pas plus d'un ou deux jours. Certes la présence d'un mode "difficile" peut relancer un tant soit peu l'intérêt, mais la première épreuve est tellement imprécise que nombreux sont ceux qui s'arrêteront à cette entrée en matière. Les obstacles ne servent parfois tellement à rien (les poissons du stage "La pêche aux étoiles) que l'on cherche longuement un semblant d'utilité, quitte à foncer consciemment vers le danger dans le but de vérifier ses présomptions. Quand cette recherche prend le pas sur la volonté de rallier la fin d'un mini-jeu, c'est vraiment mauvais signe.
Fort heureusement, le titre distribué par SG Diffusion peut se targuer de posséder un aspect graphique correct, reprenant les formes rondes et chaleureuses de la série. Les couleurs s'avèrent bien choisies, vives et chaudes, convenant parfaitement à retranscrire une ambiance douce et avenante, propice à la rêverie et à l'évasion. L'animation quant à elle est réduite à sa plus simple expression, ne mettant en avant qu'une décomposition des mouvements sommaire, entachant le plaisir ressenti à l'essai de certaines épreuves. Une joie qui par ailleurs ne semble pas conçue pour durer pleinement, à la vue de l'absence inexplicable d'un mode multijoueur. En effet, des productions n'axant leur fond que sur la présence de mini-jeux se doivent de présenter un choix tel que celui-ci afin de parer l'écueil de l'ennui, entraînant ici le titre qui nous intéresse par le fond. Au final, et malgré les instants de détente que procure cette sorte de compilation récréative, on ne peut s'empêcher de ne voir là qu'un coup marketing de plus, basant sa stratégie sur une licence et non sur un gameplay ou une approche intéressante du média vidéoludique. Clairement axé vers les enfants en bas âge, cet argument ne justifie pas les errances du jeu, et encore moins sa vacuité sur le long terme. Dommage.
- Graphismes12/20
Les environnements traversés regorgent de teintes claires et attrayantes, peignant de véritables tableaux bucoliques, accompagnés de personnages réellement mignons et attachants, ne suffisent pas à excuser l'état catastrophique de l'animation. Franklin paraît figé dans des positions prédéfinies, et perd du même coup le caractère et la joie de vire qui le caractérisent. La petite tortue se mue ainsi en un vulgaire sprite sans âme, et donc sans intérêt.
- Jouabilité11/20
Certes la prise en main est des plus aisée et les commandes demeurent très simple et accessibles afin de procurer un plaisir immédiat, mais des défauts récurrents de jouabilité lors de certains mini-jeux entachent sévèrement l'impression première qui se révélait agréable. Le gameplay varie suivant les étapes choisies, et demeure dans la plupart des cas instantanément compréhensible, dans une variété salvatrice. Il faut toutefois souligner qu'il est aisé de reprendre les principes de jeu d'anciens softs afin de mettre en avant des qualités peu honnêtes.
- Durée de vie7/20
Une durée de vie affligeante, qui paraîtra ridicule aux plus de 8 ans, et insuffisante aux plus jeunes, du moins à leur parents, qui auront déboursé trop d'euros pour ce titre. Développer un jeu pour les enfants ne signifie en aucune manière en retirer l'intérêt à long terme.
- Bande son8/20
Les compositions sont enjouées et collent bien à l'ambiance, accusant cependant une répétitivité flagrante qui nuit véritablement à leur écoute.
- Scénario/
Il n'y en a pas trace, ce qui est un frein évident à la possibilité addictive du titre. Lorsque l'on voit la variété des épisodes, il est bien triste de ne pas profiter de l'imagination des scénaristes.
Encore une occurrence de la volonté bassement mercantile dans laquelle baigne agréablement le jeu vidéo depuis quelques temps. En effet, et cela est vraiment dommageable, un titre comme Franklin aurait aisément pu bénéficier de tout le savoir-faire d'une équipe d'artistes responsable d'un dessin animé attrayant, divertissant et également enrichissant, mettant en scène des histoires prenantes de la vie de tous les jours à travers le filtre animalier. Si seulement les développeurs ne s'étaient pas contentés de sombrer dans la facilité au lieu de tenter une approche originale, nous aurions pu posséder un soft sans doute moins convenu. Pas foncièrement mauvais, mais trop pauvre, il rejoint les confrères de la tortue au bandana au fond des océans.