Le bruit est son ennemi, chaque pas se doit d'être réfléchi et silencieux, effleurant à peine la rugueuse pierre. S'effaçant dans l'ombre, il se noie dans la moindre parcelle à l'abri de la froide luminescence de la lune. Attentif et leste, il contourne sa proie, l'entoure et l'enserre comme une onde glaciale et acide. Telle demeure la ligne de conduite invariable du ninja, être des plus obscures lieux, objet de mort sans cesse brandit vers la gorge frêle du destin. Assassin implacable aux tragiques desseins. Prend-il plaisir à tourmenter ainsi ses victimes ? La réponse ne peut se trouver que dans l'histoire d'un homme, Ryu Hayabusa.
Après 15 années de bons et loyaux services sur diverses consoles de jeu, la série Ninja Gaiden nous offre aujourd'hui son opus le plus abouti, véritable ode à un univers cher à tout amateur de culture japonaise, celui des meurtriers commandités les plus charismatiques de l'histoire, générateurs de toute une mythologie propre. Bienvenue dans le monde sombre et macabre des ninjas. Complètement différent dans son approche des autres titres mettant en scène ces acrobates aux tuniques noires, le soft de Tecmo s'axe volontairement dans l'optique d'un déroulement spectaculaire et se détourne radicalement de la furtivité propre aux hommes ténébreux. Tourbillon magistral d'environnements somptueux et richement détaillés, ce titre s'impose facilement comme l'un des plus aboutis de la Xbox. Découvrant sous les rares rayons d'un soleil s'affaissant au loin, derrière de vastes monts aux douces couleurs ambrées, des forêts clairsemées étendant leur ombre sur les rochers, le moteur graphique de Ninja Gaiden est une petite merveille.
Gérant avec une maestria constante les ombres et la gestion générale de la lumière, ce dernier opère de la même façon un travail sur les différents contrastes remarquables. Chaque lieu possède son ambiance particulière, sa singularité, un caractère se fondant en un accord parfait avec le décor. Ce sentiment enivrant de traverser des endroits aux tons et inspirations variés ne peut que plonger dans un contentement non feint. Si l'on peut regretter d'un certain point de vue que la poésie typiquement asiatique des deux premiers niveaux se perde dans la volonté manifeste de proposer un background davantage axé sur un aspect proche de la science-fiction/fantastique, voire cyberpunk par moments, conférant au soft un cadre pour le moins surprenant et original (les fans de Onimusha 2 sauront à quoi je fais allusion), cela permet tout de même d'observer la mise en place d'architectures fouillées et relativement intéressantes, tranchant radicalement avec les étroites ruelles de l'ére Edo.
Au revoir donc cerisiers en fleurs, bodisatva tranquillement assis au détour d'un chemin, et habitations traditionnelles. Place aux immeubles, temples maudits et engins motorisés toujours plus imposants. Ce revirement, s'il s'avère violent, ne choquera pas les habitués de la série, au sein de laquelle Ryu ne manque pas de visiter laboratoires désaffectés et autres endroits modernes. Celui-ci d'ailleurs ayant changé de look pour la circonstance, lassé sûrement de son habit bleuté, nous apparaît entièrement vêtu de cuir dans une scène que Rambo lui même ne renierait pas. Ivre de vengeance et de rage après que Lord Doku ait réduit son village en cendres et fait disparaître son amie d'enfance Kureha, notre héros décide de partir dans une quête morbide afin de venger son peuple. Détenteur de la "Dragon Sword", épée sacrée se transmettant de génération en génération au sein du Clan des Dragons, est guidé par la force de ses sentiments, Ryu ne peut se fier qu'à ses compétences affûtées de combattant. Souple et agile, il virevolte telle une tornade aux contours acérés. Détenteur de nombreuses arcanes bellicistes, sa connaissance des armes ne connaît pas de limites.
En effet, et de manière on ne peut plus intuitive et simple d'accès, il vous est possible de réaliser des combinaisons d'attaques stupéfiantes de beauté plastique. Entraîné de mouvements fluides et magnifiquement décomposés, l'héritier des dragons compose sous votre action de véritables chorégraphies, mettant en scène des affrontements d'une violence déchaînée, (contenue tout de même par rapport aux versions étrangères), plongeant le joueur dans un jouissif sentiment de puissance et de maîtrise. Mais parvenir à un tel degré de satisfaction prendra du temps, et nécessitera une formation conséquente. Car, bien qu'aisées à appréhender, les commandes se montrent tout de même capricieuses dans certains cas, demandant une attention certaine dans leur application. D'autre part, il vous faudra récolter de nombreux parchemins, nécessaires à l'apprentissage de facultés inédites, telles que la contre-attaque ou bien diverses magies offensives, peu convaincantes graphiquement mais relativement puissantes. C'est d'ailleurs avec enthousiasme que vous utiliserez ces dernières dans les duels horripilants vous plaçant face à des boss de fin de niveau surpuissants. Un sentiment englobant d'une tempête projetant ses vents nerveux sur vos émotions, provoquant sincèrement un plaisir de jeu entêtant, vous poussant à continuer pour le simple fait de réaliser un enchaînement avec style et classe. Le scénario plus qu'insipide ne devient alors qu'un fond coloré portant en exergue la beauté fascinante des combats. Les forces du mal n'ont-elles plus alors qu'une ultime prière à effectuer avant leur fin prochaine ? Et bien pas vraiment.
En effet, si l'on ne peut reprocher aux décors des textures proches du photo-réalisme, il en est tout autrement du design général des personnages. Non pas que leur modélisation soit lacunaire, au contraire, on a rarement aperçu plus belle représentation du corps humain, mais leur fond artistique est assez discutable. En fait, mis à part Hayabusa, somptueux de prestance, Ayane (une des jeunes femmes de Dead Or Alive), Kureha et Doku, le reste des protagonistes ne possède pas vraiment une aura certaine. Comble du malheur, certains se révèlent carrément laids, poussant jusqu'au risible. Il est sincèrement dommage d'observer une telle disparité, retirant parfois toute implication lors d'un combat, et amputant de ce même fait le corps de l'ambiance globale. Effectivement, il n'est pas possible de bénéficier d'un ensemble d'intervenants exhalant tous une splendeur notable, mais le chara-designer aurait pu respecter une ligne graphique crédible. Ce n'est pas une réelle lacune, mais cela déçoit à la vue de la tenue générale du titre.
De même, s'il apparaît clairement que l'élimination de hordes d'ennemis à l'intelligence artificielle crédible et bien mise en valeur, reste prenante et attirante, les buts justifiant ces massacres en bonne et due forme ne changent pas complètement, et l'on a souvent l'impression d'effectuer une tâche similaire dans le fond, mais à la forme dissemblable. Ce qui détourne de fait un tant soit peu de la profondeur assez plane pour se plonger dans les contours. Et c'est là que les questionnements aboutissent à un constat. Malgré toutes les bonnes choses inhérentes à ce soft, on ne peut nier un cruel manque d'idées. Reprenant dans les grandes lignes une progression sensiblement identique à celle présente dans Devil May Cry, allant jusqu'à proposer une copie pratiquement parfaite de l'interface, Ninja Gaiden ne prend aucun risque, et se borne à suivre une route déjà toute tracée. Empruntant la course "murale" et certains mouvements à nos Prince de Perse et Dante tant aimés, Ryu ne parvient pas à faire oublier ses derniers, ne pouvant alors pas se créer une identité forte. Caractère il y a, c'est certain, mais celui-ci n'atteint pas le sublime de Prince Of Persia et Devil May Cry, créateurs d'une touche particulière.
La question n'est pas de savoir si le soft Xbox est meilleur ou moins bon que les deux précités, mais si ce qu'il développe est digne d'un immense intérêt ou de passion. Et dans ce cas précis, bien que m'ayant réellement enthousiasmé et électrisé, je n'ai pas retrouvé une âme aussi développée que je l'espérais. Enfin, les caméras font montre d'une gestion tout à fait déplaisante. Alors, soit, il est possible de les recadrer derrière Hayabusa d'une simple pression sur la gâchette droite, mais j'ai l'impression de plus en plus que cette méthode permet aux développeurs de ne pas s'embêter à gérer une caméra digne de ce nom. Laissez le doigt durant toute une partie sur une touche parce que les angles de vue sont inaptes à offrir une vue d'ensemble convenable n'est pas une solution. Chaos Legion est un très bon jeu, mais souffre également atrocement de sa caméra survoltée et idiote. Ce défaut n'est pas endémique à Ninja Gaiden, et ne fait pas de lui un mauvais jeu, mais ne donne pas une preuve flagrante de travail de ce côté-là.
Capricieuse, cette dernière vient sempiternellement se placer dans des angles rendant toute action soumise au principe de la chance. Regrettable. Notons enfin une difficulté assez corsée, qui sans s'avérer rebutante (enfin pas tout le temps) promet des séquences de rudes affrontements, et des montées d'adrénaline conséquentes. Loin des titres à la portée de tout un chacun, Ninja Gaiden demande une vraie concentration et propose un réel challenge qui pourra pourtant en freiner quelques-uns. Au final, une petite perle noire, meilleur jeu du genre sur Xbox, déversant en un flot mêlé une réalisation ahurissante de beauté, un gameplay accrocheur et un manque flagrant d'originalité et de renouvellement de l'intérêt. Un soft qui aurait pu devenir une légende du jeu vidéo si seulement il avait bénéficié d'un soin sur le fond et d'une refonte des caméras. Loin d'être mauvais, mais n'atteignant pas les plus hautes sphères, Ninja Gaiden est un soft qui passionne, mais peut-être pas assez pour en faire une référence ultime. Un très bon titre, demandant de plus hautes aspirations. Espérons une suite remaniée et un nouveau mythe verra le jour.
- Graphismes17/20
La Xbox donne aux incrédules un aperçu de ses monstrueuses capacités, prouvant que confiée à des mains expertes, elle surpasse allègrement ses concurrentes. Enchantant la vision de textures majestueuses, de paysages somptueux, de cinématiques impressionnantes et d'architectures inventives, Ninja Gaiden, aux côtés de Panzer Dragoon Orta et d'Halo et espérons-le du prochain Fable, apparaît comme l'un des plus beaux titres de la machine et même toutes consoles confondues. Magnifique, il vous convie au voyage et à l'admiration. Restent les caméras...
- Jouabilité16/20
Jouissive et intuitive, la jouabilité fait corps avec un gameplay prônant le spectacle pour notre plus grand bonheur. Exterminant vos ennemis avec classe, style et désinvolture, vous observerez un véritable ballet, sublimant les combats. Malheureusement, le tout manque un tantinet de fond, bien que les combinaisons d'actions soient fort variées. Mais ce qui fait le plus défaut est l'absence regrettable d'une once d'originalité. Dommage.
- Durée de vie15/20
Relativement court à terminer dans l'absolu, Ninja Gaiden, de part sa difficulté vous tiendra un long moment en haleine. Si de plus vous cherchez à collecter tous les scarabées d'or, et à passer pour un grand maître ninja sur le "Master Ninja Tournament" via le Xbox Live (classement), de nombreuses heures défileront, bien qu'elles soient un peu dispensables. Mais le must est de pouvoir, une fois le jeu fini, débloquer des anciens épisodes NES. Le Metroid Prime "style".
- Bande son13/20
Certaines compositions s'avèrent vraiment agréables à écouter tandis que d'autres se révèlent relativement peu inspirées et tombant rapidement dans l'oubli des ambiances sonores de très bonne qualité. Les voix quant à elles demeurent de bonne facture bien que relativement absentes tout au long de l'aventure.
- Scénario11/20
Une trame sans grande inventivité, reposant sur l'éternel besoin de vengeance. Le principal n'est pas là, heureusement. Cependant, le scénario donne envie de continuer la quête, ce qui est son principe même.
Attendu d'un pied ferme et confiant par tous les utilisateurs de Xbox, Ninja Gaiden comble toutes les attentes des nombreux fans de la série et surtout du très charismatique Hayabusa. Mettant en avant une fantastique ambiance semblable à nulle autre et un gameplay aguicheur à défaut d'être vraiment abouti, ce titre fascinant et prenant fait honneur à sa console hôte et développe un plaisir de jeu réel et jouissif. Malheureusement, des problèmes de caméra récurrents et une absence de fondement profond, tant au niveau du principe que du gameplay, empêchent le soft de parvenir dans les plus hautes sphères des chefs-d'oeuvre vidéoludiques. Un grand jeu, que je ne peux que vous conseiller d'acquérir si les ninjas vous attirent et si l'action touchant à l'artistique vous interpelle.