La nuit était silencieuse, et les gardes de l'avant-poste laissaient l'air frais glisser sur leur nuque en observant le vol hésitant des lucioles. Les légers bruissements au loin n'atteignaient pas leur esprit trop occupé à la passive contemplation. Un frôlement. Il était là, silencieux, guettant le moindre geste annonciateur d'un futur affrontement. L'art du ninja est de passer inaperçu. En est-il de même pour le dernier titre estampillé Tecmo ?
Adapté de la série mise en place par l'intermédiaire d'un beat'em all des plus classiques, et relayée par des titres tenant plus du jeu d'action accompagnés d'une difficulté relativement ahurissante, même pour l'époque, cet opus réalisé par Team Ninja se démarque de ses prédécesseurs par l'adjonction d'un petit côté aventure à la Devil May Cry. En effet, non content de vous faire traverser des environnements d'une étendue respectable, votre quête vengeresse vous obligera un grand nombre de fois à résoudre des énigmes, qui bien que simplistes, permettent de briser une action qui aurait sans doute fait preuve d'une monotonie inhérente au genre. Il vous est donc octroyé des moments de relâchement nerveux, qui sont autant d'occasions de vous remémorer votre cruelle destinée. Digne héritier du Peuple des Dragons, Ryû Hayabusa, jeune ninja émérite, voit durant un jour funeste son village entièrement ravagé par les troupes sanguinaires et assoiffées de mortelles occurrences du seigneur Doku, serviteur de l'Empire Vigoor.
Au milieu des flammes esquissant une danse macabre, la promise de notre homme de l'ombre disparut corps et âme, ne laissant à son bien aimé d'autre choix que d'utiliser la Dragon Sword, épée sacrée du clan des Dragons, afin de venir à bout de son ennemi. Mais tout ne se passa pas comme prévu. A vous désormais d'épancher votre soif de vengeance et de recouvrer un honneur déchu. Pour ce faire, il va vous falloir braver les milles pièges d'un univers aux thèmes, comment dire, variés. Poursuivant votre but d'une ivre hargne, vous traverserez des décors allant des monts brumeux et bucoliques bordés de cerisiers blancs typiquement japonais à des structures métalliques d'un modernisme anticipé, en passant par l'assaut d'un vaisseau à la solde de l'Empire. Un parti pris faisant un peu penser à l'orientation du dernier Devil May Cry, ou de la deuxième "partie" (attention spoiler) d'Onimusha 2. Cet état de fait décevra un tant soit peu les amoureux de Tenchu, mais ravira les adorateurs de cross-over mêlant ambiances médiévales nippones et modernes à la Shinobi.
Il n'y a cependant pas de quoi se plaindre, à la vue de la magnificence des environnements traversés et de la qualité globale émanant du design. Votre première approche sera d'ordre minérale et aquatique, oeuvrant au sein de collines accouchant de cascades aux embruns volatiles. Las des combats sanglants et violents, vous prendrez le temps d'observer la finesse des textures et le travail réalisé sur les contrastes et les ombres. Loin des froides modélisations de certaines productions moins avares de superlatifs dans les communiqués les mettant en valeur, Ninja Gaiden fait montre d'une certaine impression de vie dans ses divers lieux d'aventure intense. Mais ne croyez pas que ce tour de force se limite au niveau initial. Conservant sa tenue de gala tout au long de la trame scénaristique, classique et peu imaginative soit dit en passant, la réalisation prouve une nouvelle fois que les équipes relatives à Tecmo maîtrisent parfaitement les possibilités contenues dans le coeur avenant de la Xbox. Il vous arrivera plusieurs fois également de rester inerte, rongé de sentiments enflammés, devant la qualité et la mise en scène des événements attenant au scénario, utilisant des images de synthèse d'une remarquable ardeur. Moins impressionnantes que celles issues de Baten Kaitos par exemple, elles se classent aisément parmi les plus réussies sur la console toute de noir vêtue. Dans un registre identique, les animations de Ryû, souples et félines, peuvent être placées au même niveau que les mouvements lestes d'un Prince de Perse bien connu et d'un certain Dante. Mais que cache cette vitrine alléchante ?
Un plaisir de jeu mitigé. Voilà la réponse. En effet, doté d'un gameplay vif et bien pensé, le soft semble tenir en main les clés de son succès. Proposant au joueur une palette de coups qui n'a rien à envier à celle d'un personnage présent au coeur d'un jeu de combat, doublée de jouissifs contres et d'un non moins époustouflant rythme soutenu, éliminant radicalement les temps morts, l'instinct ludique est conservé de bien belle manière. De plus, vous avez accès à des sorts suffisamment diversifiés pour trouver votre bonheur, représentés par des parchemins à acheter ou découvrir. Reprenant la collecte d'orbes de vie et de magie classique depuis Onimusha, Ninja Gaiden n'innove pas vraiment de ce côté-là. Celles-ci vous serviront à acheter des potions de vie et autres objets bénéfiques auprès de statues et augmentent votre nombre de points de karma, synonymes d'une réussite plus ou moins honorifique. De même, il vous est possible de découvrir des pierres spécifiques augmentant votre barre de vie, ou des écrits vous octroyant une chance inespérée la mort venue. Bref, bien qu'apportant une dimension supplémentaire, cet aspect demeure peu étonnant et surtout peu imaginatif. Et ce ne sont pas les majestueux sauts virevoltant de votre avatar qui vous feront oublier cet aspect.
Mais le plus grave réside dans la caméra et la difficulté générale. Très mal dosée, cette dernière intervient dès les premières minutes de jeu, et vous oblige à recommmencer parfois plusieurs dizaines de fois un même combat (souvent un boss d'ailleurs). Un aspect "old school" qui aurait pu s'avérer sympathique, mais qui semble présent pour simplement rallonger la durée de vie du titre. Les angles de vue quant à eux sont tout bonnement catastrophiques, rappelant le douteux Dino Crisis 3. Néanmoins contrairement à la production Capcom, vous avez ici la possibilité de recentrer la caméra derrière vous grâce à la gâchette droite. Mais cette manoeuvre obligatoire ne change rien au fait que lors de combats mettant en scène plusieurs adversaires, vous ne savez jamais ce qui se prépare à votre encontre. Complètement folle, la caméra se place n'importe où, de préférence derrière un obstacle, vous masquant complètement. Une acrobatie lacunaire qui nuit énormément au plaisir pris. Espérons que cet écueil soit modifié d'ici la sortie européenne, ou ce magnifique soft stagnera dans d'idiotes turpitudes qui auraient pu être évitées. Un titre rebutant de part une difficulté abusive, d'autant plus venimeuse, lorsque les angles de vision s'en mêlent. La beauté de la flamme brûle le papillon.