Yu Suzuki est un grand homme. Il aura su voir au-delà du jeu vidéo pour concrétiser sa vision, celle d'une aventure à part, à la fois réaliste, poétique et chargée d'émotion, une véritable quête initiatique aux ambitions démesurées qui prendrait la forme d'un nouveau genre de jeu. Quiconque aura mené à son terme l'expérience Shenmue comprendra que ces propos sont loin d'être exagérés. Yu Suzuki a su donner vie à un véritable tourbillon qui entraîne le joueur dans une spirale d'émotions et de rencontres proches de la vie réelle, mais dans un monde plus dangereux et plus palpitant, et sous les traits d'un héros qui apprendra au fil de sa quête que la vengeance n'est pas un but en soi. Ce sont les épisodes 2, 3 et 4 qui sont narrés dans Shenmue 2. Les trois nouveaux chapitres d'une immense fresque qui s'échelonnera sur un total de 16 épisodes avant de mettre un point final à l'histoire de Ryo Hazuki. Une saga démesurée qui se poursuivra ailleurs que sur Dreamcast, comme chacun sait, mais la sortie de Shenmue 2 aura tout de même permis à la 128 bits de Sega de terminer sa carrière en apothéose, dans le respect de tous.

Tel le second tome d'un roman, Shenmue 2 se destine avant tout à ceux qui connaissent le premier chapitre de l'histoire et désirent (mais comment ne le voudraient-ils pas ?) découvrir la suite de l'aventure. L'intrigue débute ainsi directement dans le prolongement des événements du premier opus, au moment précis où Ryo descend du bateau sur le port de Hong-Kong. Dans le but de ne pas se rendre totalement hermétique aux nouveaux venus, Shenmue 2 intègre un résumé de l'histoire indispensable pour saisir les ramifications complexes du scénario et se familiariser avec les principaux protagonistes du jeu. Les autres auront quant à eux la possibilité de commencer directement l'aventure à partir de leur sauvegarde, et pourront bénéficier de tout l'inventaire qu'ils possédaient dans la première partie de l'aventure.

A la fois plus beau et immensément plus vaste que le premier opus, Shenmue 2 vous entraînera au coeur de la Chine dans des environnements extrêmement réalistes. Yu Suzuki a pensé à tout pour permettre au joueur de s'immerger totalement dans le jeu sans pour autant se perdre dans les quartiers labyrinthiques de Aberdeen, Wan Chai, Kowloon et Guilin. Les passants n'hésiteront plus à vous tendre la main en vous indiquant les endroits précis que vous recherchez, et accepteront même la plupart du temps de vous y conduire. Les joueurs un peu moins sociaux pourront, s'ils le veulent, acheter des plans à condition toutefois d'en avoir les moyens. Les façons de gagner de l'argent sont d'ailleurs nombreuses et tiennent lieu en quelque sorte de mini-quêtes, parfois indispensables, parfois facultatives, qu'il vous faudra mener en parallèle de votre enquête. Vous pourrez tenter de trouver des petits boulots, de participer à des combats de rues, à des jeux de hasard ou encore à des bras de fer ou aux fléchettes. Les plus désespérés pourront même revendre leur stock de petites figurines dans les Pawnshops pour se dépanner rapidement.

Toujours parfaitement cohérente, l'aventure nous emmène de surprise en surprise et se dévore littéralement d'un bout à l'autre. Ce qui démarque avant tout ce titre, c'est la façon incroyable dont les événements s'enchaînent logiquement malgré la liberté absolue dont on dispose. Les personnes que l'on croise semblent mener leur propre vie, mais elles réagissent de façon toujours parfaitement crédible lorsque vous les accostez. C'est dans cette optique que ce nouveau volet accueille une nouvelle interface, beaucoup plus parlante que la première grâce à un système d'icônes sensiblement identique à celui des versions N64 de Zelda. Au fur et à mesure que l'on collecte davantage d'informations, il est possible d'orienter la conversation sur divers sujets. Plus que jamais, il sera indispensable de savoir précisément ce que l'on cherche, et une fois encore les anglophobes seront largement défavorisés. Mais si les textes sont en anglais, les notes prises par Ryo dans son carnet sont rédigées en français, ce qui rend finalement Shenmue 2 beaucoup plus accessible que son prédécesseur. Les voix japonaises ont par contre été conservées, ce qui confère au soft une ambiance irrésistible qui convient parfaitement à cette aventure.

Bien sûr, le jeu combine toujours les phases d'exploration, de combats et de QTE, le tout agrémenté d'une foule de mini-games. On pourra d'ailleurs découvrir au détour d'une salle d'arcade les versions originales de Hang On, Space Harrier, Out Run et After Burner. Ceux qui débuteront l'aventure avec leur sauvegarde auront directement accès à leurs coups spéciaux lors des Free Battle, tandis que les autres devront se contenter des coups de base, mais rassurez-vous, il est toujours possible de s'entraîner pour perfectionner ses techniques. Plus longues et plus complexes, les Quick Time Events exigeront une concentration absolue en proposant parfois des combinaisons plutôt difficiles. Le tout reste bien sûr parfaitement mis en scène et l'on retrouve bien la patte du créateur de Virtua Fighter.

Hélas, c'est ici qu'il me faudra terminer ce bref aperçu de Shenmue 2, mais je souhaiterais terminer en mettant l'accent sur le fait que l'on a affaire à un jeu véritablement à part dans le monde vidéo-ludique. C'est uniquement et clairement pour le joueur que Yu Suzuki a imaginé cette aventure, et ce second opus reflète parfaitement sa volonté de créer un titre qui donne l'impression à celui qui s'y investit d'un bout à l'autre d'en sortir grandi. Shenmue 2 est un jeu où le combat est un art noble et où le moindre petit événement est mis en scène de façon à impliquer complètement le joueur. L'enseignement suivi par Ryo auprès de différents maîtres en arts martiaux et l'évolution de sa personnalité illustrent parfaitement la progression du joueur qui reçoit ici une véritable leçon de savoir-vivre et de maîtrise de soi. Shenmue 2 accumule les séquences cultes, et chaque épreuve comporte ici un sens profond. Des paroles qui pourront sembler bien énigmatiques pour qui n'a pas encore mis le pied dans cette aventure, mais que je ne peux vous expliquer plus clairement sous peine de vous gâcher le plaisir de la découverte. « And now, the story goes on... »