Six années se sont écoulées depuis la sortie du dernier épisode de la saga Darksiders. Alors que Death arpente les terres de la Forge pour trouver un moyen d’innocenter son frère War et sauver l'humanité ; l’éditeur THQ annonce sa brutale fermeture et entraîne dans sa chute le studio Vigil Games, à l’origine de l’épopée des quatres cavaliers de l’apocalypse. Perdue aux yeux de tous, la licence Darksiders ne trouve pas de repreneur et semble alors condamnée à finir au purgatoire des séries à fort potentiel abandonnées en cours de route. Mais alors que tout espoir d’une suite semblait vain, l’éditeur Nordic Games rachète en avril 2013 la quasi-totalité des propriétés intellectuelles de feu THQ. La flamme se ravive alors pour Darksiders ; mieux encore, un troisième volet est annoncé et il sera chapeauté par Gunfire Games, studio composé en grande partie d’une majorité d’ex-employés de Vigil Games. Après War et Death, au tour de Fury de déchaîner sa puissance dans un Darksiders III à la formule une fois encore retravaillée.
Metroïdsiders
Pour synthétiser les choses, le premier Darksiders est souvent comparé à un mélange entre les licences God of War, auquel il emprunte la brutalité des combats et Zelda dont il s’inspire afin de parsemer d’énigmes ses multiples donjons. Une alchimie des genres qui, loin de faire du titre un clone bancal des ses illustres modèles, parvenait à lui conférer une personnalité unique. Le coup de crayon si particulier du dessinateur de comics Joe Madureira parachevait la réussite d’un jeu intelligent, nerveux à l’ambiance post-apo baroque dont une suite était alors déjà programmée au sein du studio. Construit sur les fondations de son aîné, Darksiders II reprenait à son compte une progression rythmée par les combats pêchus et l’exploration de donjons truffés de casse-têtes. Le titre lorgnait aussi très clairement du côté du hack'n slash avec son vaste monde rempli de butins plus ou moins rares accordant divers bonus au personnage de Death. Darksiders III perpétue à sa manière ce renouvellement des mécaniques de jeu et propose une construction inspirée du modèle Metroidvania.
Finie la zone centrale conduisant à différents donjons, terminé le monde semi-ouvert du second volet, la carte de ce nouvel épisode forme un tout, un donjon unique dont les multiples embranchements s’ouvrent au fil de l’acquisition des nouveaux pouvoirs de la cavalière Fury. Il n’est donc pas rare de devoir y effectuer des retours en arrière lorsque notre personnage peut enfin surmonter un obstacle jusqu’alors infranchissable. Dans l'idée d'encourager l'exploration, Gunfire Games supprime la minimap et la carte et remplace ces deux éléments par une simple boussole pointant vers notre objectif. Il nous est ainsi arrivé de tourner en rond durant quelques minutes à plusieurs reprises avant de comprendre vers quelle partie du monde revenir pour progresser dans l'histoire. Fort heureusement, le retour du système de téléportation via les antres de serpent de ce bon vieux marchand Vulgrim, facilite la navigation entre les différentes zones du monde.
Des zones interconnectées avec intelligence grâce à un level-design bourré de dédales, toujours construit de manière à récompenser l’exploration. C’est l’une des grandes forces de ce troisième volet dont l’ingéniosité de la structure globale se dévoile, non sans quelques surprises, au fil des heures de jeu. On sent que les petits gars de Gunfire Games sont de grands amateurs des références du genre, Metroïd bien entendu, mais aussi les Souls de From Software dont ce troisième volet semble s’inspirer de la philosophie de construction. Tout comme pour la parenté avec la licence Zelda du premier Darksiders, on parlera ici davantage d’hommage que de simple repompe tant le titre parvient à se forger une identité propre tout en conservant l’esprit de la franchise.
Une identitée visuelle toujours présente
La quête de Fury nous conduit une fois de plus sur une Terre ravagée par l’apocalypse causée par le conflit entre les cieux et les enfers. Un monde en ruine divisé en plusieurs environnements dotés de différentes identités visuelles. Darksiders III se veut plus terrestre que ses aînés, les architectures démoniaques et angéliques sont certes toujours présentes, mais laissent bien plus de place aux constructions des humains dont la thématique est bien plus abordée que par le passé. Fury aura en ce sens l’occasion de sauver plusieurs hommes et femmes durant le jeu en les renvoyant dans un refuge tenu par le forgeron Ulthane.
La variété des décors est donc au rendez-vous de cet épisode. Si la plupart des paysages visités ne possèdent pas le souffle épique des vastes zones de Darksiders II, la cavalière évolue entre abysses infernaux, couloirs délabrés de métro, marais puants et autres sanctuaires sous-marins peuplés de dangers. Désormais occupé à d’autres projets au sein de son studio Arcship Syndicate (Battle Chasers : Nightwar), la patte du dessinateur Joe Madureira se fait tout de même toujours ressentir dans le projet, autant du côté architectural que dans le design des personnages et créatures dont la plupart avait déjà été conceptualisés à l'époque des deux premiers jeux.
On fouette quelques squelettes
Un gameplay plus exigeant
L’action de Darksiders III se déroule au même moment que celle du premier jeu, en paralèlle de l'histoire où War est accusé de trahison. Dans la peau de Fury, le joueur est envoyé à la traque des septs péchés capitaux par le Conseil Ardent. Très sûre d’elle, cynique, impulsive et parfois même arrogante, la cavalière dispose d’une forte personnalité qui tranche avec la vision plus posée de ses deux compères. On ne s’appelle pas Fury pour rien après tout ! Le personnage est si confiant en ses pouvoirs, qu’elle estime être à la tête des quatre cavaliers de l'apocalypse, capable de venir à bout de la lourde tâche confiée par le Conseil à elle seule. Il est intéressant d’observer son caractère évoluer au fil de ses combats et découvertes, un traitement de personnage porté par sa relation de domination envers sa guetteuse, là ou War et Death étaient soumis à leurs emprises.
La force brute de War orientait Darksiders 1 vers le hack’n slash tandis que la profusion de loot, de statistiques ainsi que la présence d’un arbre de talent conférait au second volet un aspect plus RPG. Gunfire Games adopte une approche différente avec Fury, une guerrière certes, mais avant tout une puissante mage dont la force réside dans ses différentes matérialisations de pouvoir. Le personnage aux cheveux virevoltants est équipé d’un fouet avec lequel réaliser la totalité des combos dès les premières minutes du jeu. Darksiders III abandonne le système d’entraînement de nouvelles capacités des précédents volets et choisit d'entremêler la montée en puissance de son personnage et l’acquisition scénarisée de nouvelles techniques nécessaires à l’exploration.
Plus technique, plus exigeant que pour ses frères, le gameplay de Darksiders III marche dans les traces de certains Action-RPG de ces dernières années. Ici, l'esquive parfaite est toujours récompensée par de puissantes contre-attaques. Là où le premier volet permettait d'affronter des hordes d'ennemis en même temps et d'en achever la plupart via différents QTE bien bourrins, Fury donne un meilleur sentiment de technicité et doit apprendre à lire les mouvements de ses adversaires afin d'éviter une mort rapide. Les actions contextuelles disparaissent pour accorder plus d'espace aux actions directes du joueur, soutenues par une palette de mouvements variée avec des balayages de zone, des attaques sautées et autres attaques puissantes au fouet. Le niveau de difficulté est bien plus relevé que dans les deux premiers volets de la franchise, même en mode normal (sur quatre modes de difficulté).
Il est en ce sens nécessaire d’apprendre le pattern des ennemis afin d’éviter une mort brutale en quelques secondes seulement, même sur le plus faible des adversaires. Plus corsé, le jeu en devient plus gratifiant pour le joueur d’autant que son système d’amélioration de statistiques a la bonne idée de rester très clair (voir encadré ci-dessous). Cette nouvelle exigence dans le gameplay résonne une fois de plus comme un hommage à d’autres action-RPG de ces dernières années, les Souls en tête dont Darksiders III emprunte d’ailleurs le système de réapparition des créatures, d’abandon au sol des âmes à la mort du personnage et d’objets de soins limités se rechargeant après certains combats. Malgré quelques imprécisions liés à la caméra lors de certaines rencontres, l'action ne devrait pas rebuter les habitués de la licence.
Se plonger dans l'Abysse
Cependant, la cavalière n'est pas qu'une simple combattante équipée d'un fouet, elle se dresse aussi sur le champ de bataille en tant que puissante magicienne capable de déchaîner la fureur des éléments. Dans sa quête pour faire tomber les incarnations des sept Pêchés, Fury obtiendra une série de quatre nouveaux pouvoirs synonymes de capacités de combat inédites et de techniques d’exploration supplémentaires. Cet afflux magique lui permet de déchaîner une série de pouvoirs élémentaires en puisant dans sa jauge de courroux. Tempête, forme enflammée, explosion terrestre, la cavalière peut même faire bouillir le feu ardent qui l’habite afin de déclencher, comme ses frères, sa forme ultime de chaos pendant laquelle elle devient quasiment insensible aux dégâts tandis qu’une tempête cinglante lacère ses ennemis.
L’acquisition de ces “Abysses”, toujours associés à une nouvelle arme (doubles chaînes, marteau, etc.), modifie l’apparence physique de la cavalière dont les cheveux reflètent alors le pouvoir équipé. L’Abysse de Flammes permet par exemple de se déplacer dans la lave, de débloquer un super saut vertical et de manier un duo de nunchaku de feu, celui de Force nous dote d’un lourd marteau fort pratique pour faire voler en éclats certains obstacles jusqu’alors infranchissables. Le monde entier est construit autour de l'utilisation de ces capacités et rend accessible certains de ses secrets à l’unique condition de posséder le pouvoir adéquat.
L'apprentissage d'une nouvelle forme intervient généralement après la défaite de l’un des boss principaux du jeu. Une partie du plaisir lié à la progression réside en ce sens dans l’obtention de ces armes et techniques qui ouvrent un éventail unique d’options de combat et de déplacement. Des capacités fort nécessaires afin de venir à bout des Septs Péchés Capitaux, rencontres régulièrement décomposées en deux phases à la mise en scène nerveuse et au challenge intéressant. On notera néanmoins un certain déséquilibre de puissance dans le casting de ces vices personnifiés au chara-design parfois volontairement grotesque afin d’accentuer leur principal trait de caractère (mention spéciale à la Paresse et à la Gourmandise). Il essayeront, chacun à leur manière, de faire sombrer la cavalière dans leur petit jeu au cours de différentes cutscenes.
Un duel au sommet
Un monde tissé d'énigmes
Gunfire Games associe toujours l'obtention d'une nouvelle compétence de combat et de déplacement à la partie énigme de son titre. Pensé à la manière d'un Metroïdvania, le monde/donjon de Darksiders condamne certains de ses accès via différentes énigmes dont la plupart sont tout droit héritées des mécaniques des épisodes précédents. Si au départ il faudra utiliser quelques outils de remplacement pour accéder à certains endroits, comme c'est le cas avec les insectes explosifs de début d'aventure, l'obtention des quatre Abysses de pouvoir ouvre de multiples options de progression par la suite. Un marteau pour frapper dans des blocs de pierre, un courant ascendant pour s'élever dans les airs, l'exploration du monde est rythmée par ces ajouts qui participent à établir un bon sentiment de progression.
Les insectes sont toutefois bien vite remplacés par la maîtrise du feu de Fury qui d'une simple attaque secondaire, peut embraser ces obstacles ou bondir vers de nouveaux embranchements. Piliers à déplacer, épées à replacer sur des présentoirs afin d’ouvrir des portes, interrupteurs à actionner à distance, la formule des énigmes poursuit l’héritage de la franchise et se renouvelle à petite dose au fil de la progression sans jamais toutefois se réinventer totalement. Les casse-têtes n’en restent pas moins plaisants, bien dosés, et nous font souvent prendre conscience de la construction ingénieuses des zones visitées. Avec environ 12 à 18 heures de durée de vie, une durée dépendant bien entendu de vos envies d’exploration, le titre se montre un poil plus court que ses deux ainés.
La montée en puissance de Fury passe d'un côté par l’acquisition de nouveaux Abysses et de l'autre par la dépense des âmes récoltées durant l’aventure auprès du marchand Vulgrim. Nous alimentons ici une jauge dont chaque palier à la valeur exponentielle confère un point de statistique à la cavalière. Ces points sont à attribuer au choix dans la Santé représentant la jauge vie, la Force liée à la puissance du fouet ou la magie associée aux dégâts armes abyssales.
Les âmes sont aussi contenues dans une foule de réceptacles à dégoter au sol durant l’exploration puis à utiliser pour faire grimper son compteur à la manière de l’objet similaire dans un Dark Souls. D’autres composants plus rares, comme des éclats d’Adamantine ou des fragments démoniaques servent à améliorer l’arsenal de Fury auprès du forgeron Ulthane. Bref, nous vous conseillons de fouiner à droite à gauche dans les niveaux afin de déchaîner la puissance de Fury à son plein potentiel.
Du côté de la technique
Darksiders 3 ne prétend pas concourir au palmarès des plus beaux jeux de sa génération. Son rendu technique, proche de celui du second volet, gagne quelque peu en finesse et se dote aussi d’effets supplémentaires de lumière et de particules. Loin d’une course à la technique, le titre de Gunfire Games se montre particulièrement talentueux en matière de direction artistique et perpétue le style typique de Madureira dans de nombreux assets. Cette approche cartoon aux traits typés permet à ce troisième volet de quelque peu gommer son retard technique vis-à-vis d’autres productions récentes du genre. On ressent malgré tout une profonde et sincère envie de livrer un produit exempt de bugs majeurs. Nous n’avons jamais été bloqués dans notre progression, ni noté de comportements étranges dans l’animation du bestiaire ou la physique du moteur. Verrouillé à 60 fps très stables sur PC (à condition de posséder une machine répondant aux recommandations hardware du titre), le jeu affiche ses différentes cutscenes en 30 images par seconde, dommage car il était tout à fait capable de le faire aussi en 60.
Côté doublages, le soutien de THQ Nordic offre à la franchise la possibilité de maintenir le standards des précédents opus avec la présence de différentes langues dont le français. Fury est doublée par Laurence Crouzet, elle offre une interprétation correcte du personnage, en deçà toutefois de l'intensité de la VO. Le doublage français du titre souffre de manière générale d’inconsistances en matière de qualité et d’implication'. De retour après son travail sur Darkisders 1, Cris Velasco, compositeur ayant entre autres travaillé sur Bloodborne ou God of War III, signe une bande-son dans le thème, épique lorsqu’il le faut, même si souvent trop discrète à nos oreilles.
Points forts
- Level-design intelligent
- Système de combat technique et gratifiant
- La progression du personnage par l'acquisition des Abysses
- Système d'évolution simple et efficace
- Fury a la classe (et la puissance !)
- Direction artistique maîtrisée
Points faibles
- Techniquement daté
- Quelques imprécisions dans les combats
- Moins épique que ses deux frères
- La boussole manque d'indicateurs précis de direction
- Quelques combats de boss en dessous du reste
- Doublages français inégaux
- OST souvent en retrait
Plus qu’un hommage aux deux précédents volets de la franchise, Darksiders III se forge sa propre identité. L’accent est mis ici sur un gameplay plus exigeant et une exploration plus gratifiante. Fury est plongée au sein d’un monde pensé comme un tout dont les différents embranchements s’ouvrent à mesure de la montée en puissance du personnage. La troisième cavalière de l’apocalypse, puissante et arrogante n’a pas à rougir face à ses frères même si son aventure manque parfois du souffle épique des précédents volets. Nous évoluons donc au sein d’une aventure équilibrée, rythmée, à la construction intelligente aux influences puisées par ici dans un Metroïd et là dans un Dark Souls. En attendant que résonnent les tirs de revolvers du dernier cavalier Strife, la saga Darksiders fouette d’un revers cinglant ceux qui pensait qu’elle avait dit son dernier mot.