H.P. Lovecraft a décidément le vent en poupe. Nombreux sont les titres à venir qui s'inspirent plus ou moins librement de l'oeuvre de l'auteur. Call of Cthulhu, développé par les Français de Cyanide, adapte l'univers de l'écrivain et plus précisément celui du jeu de rôle papier qui en est issu, et vient de donner naissance à un jeu d'enquête narratif mâtiné de RPG.
Comme bon nombre de jeux avant lui, Call of Cthulhu a en premier lieu fait ses premières armes sur PC et sur consoles de salon avant de faire une excursion sur Switch. Si l'expérience narrative proposée est identique à la version de base, nous nous permettons de revenir aujourd'hui sur les performances et le rendu de cette version destinée à la portable de Nintendo.
Déjà techniquement plutôt daté, il faut bien reconnaître que Call of Cthulhu peine davantage encore à briller sur Nintendo Switch. Si certes, le mode nomade permet de profiter d'une résolution plus fine qu'en mode docké, l'apparence globale du jeu est plongée dans un flou d'affichage quasi constant, sensation qui s'accentue à mesure que le regard porte au loin. En mode docké, les choses sont plus appuyées encore. Les textures ne sont pas pour la plupart baveuses et les éclairages diffusent un grain préjudiciable à la bonne lisibilité des décors.
Côté performances, à l'exception des temps de chargement particulièrement longs (comptez une bonne minute trente pour chacun d'entre eux), nous avons relevé quelques saccades lorsque les mouvements de caméra étaient un peu trop vifs même si globalement l'expérience demeure assez stable. Ainsi, si vous n'êtes pas trop regardant sur l'aspect visuel d'un titre qui ici a nivelé le rendu par le bas, Call of Cthulhu Switch reste la même expérience que celle d'origine, dont vous pouvez retrouver le test intégral, réalisé sur PC et consoles de salon, ci-dessous.
Edward Pierce est un vétéran de guerre. Ayant subi de nombreux traumatismes au cours du conflit, l'homme s'est reconverti en détective un rien alcoolique, rapidement contacté par un homme lui demandant d'enquêter sur la mort de sa fille et de sa famille. Survenu dans l'île reculée de Darkwater, un incendie a effectivement décimé le foyer, mais il semblerait que l'affaire soit moins accidentelle que la police semble portée à le croire. Le détective, que vous incarnez, se rend sur l’inquiétante île et se trouvera confronté, Lovecraft oblige, à des cultes obscurs à base de tentacules, vous vous en doutez.
UNE ATMOSPHÈRE LOVECRAFTIENNE SOIGNÉE
Si techniquement Call of Cthlulhu accuse un certain retard, notamment dans l'animation des personnages ou dans des maladresses de réalisation, le titre de Cyanide brille en revanche par son atmosphère. Un énorme soin a été apporté aux différents environnements, de telle sorte que le joueur se sent oppressé sans jamais vraiment savoir pourquoi, à l'image du point de départ de nombreuses nouvelles de Lovecraft, où le lecteur ressent un certain malaise sans exactement pouvoir en définir l'origine. L'ambiance glauque à souhait et restitue avec justesse l'atmosphère de l'oeuvre de Lovecraft et en cela, Cyanide réussit haut la main son travail d'adaptation.
Le soin a également été apporté à l'écriture en général. Effectivement, les dialogues que vous aurez l'occasion de suivre sont crédibles et bien doublés, facilitant ainsi l'immersion du joueur dans l'île de Darkwater. L'attention portée à l'environnement sonore est également à saluer en ce qu'elle renforce grandement l’oppression qui se dégage des lieux. Et le travail accompli pour livrer une narration de qualité n'est assurément pas vain, compte tenu du fait que le titre de Cyanide est davantage narratif qu'interactif.
PLUS NARRATIF QU'INTERACTIF
Avant de lancer Call of Cthulhu, il faut savoir à quoi s'attendre. Effectivement, si l'on retrouve bien quelques éléments d'enquête, ils ne se résument qu'à une observation d'indices que votre héros connectera seul. Lors de votre arrivée sur une scène, plusieurs loupes sont disséminées ici et là, et lorsque le joueur interagit avec l'une d'elles, le protagoniste tire lui-même les déductions qui s'imposent. Ainsi, ces phases de recherche sont davantage un moyen d'étoffer un peu la narration sans véritablement permettre au joueur de se remuer les méninges. Les énigmes à résoudre sont effectivement assez rares et répondent davantage à de la recherche d'objets basée sur l'observation qu'à la résolution de puzzle proprement dit. L'aspect « enquête », donc, n'est finalement qu'effleuré au même titre que l'aspect réflexion.
Exemple de phase d'enquête
Le pan RPG, de son côté, ne fonctionne pas exactement au sens traditionnel du terme et aura majoritairement un impact sur la manière dont vous pourrez aborder des conversations. Cependant, résumer l'arbre de talent à une simple possibilité de débloquer des roues de dialogue serait très réducteur. En effet, c'est aussi dans la manière de résoudre certains objectifs que la répartition des points de compétence aura de l'importance. Ainsi, négliger la psychologie ou l'éloquence fermera bien des portes à la récolte d'indices auprès de la population locale. Ne pas distribuer assez de points en force vous empêchera de forcer un mécanisme donnant accès à une nouvelle salle. Dans ce cas, il faudra trouver une autre solution pour progresser dans l'aventure et, dans son premier tiers, Call of Cthulhu se révèle assez inventif. Le sentiment qu'il aurait été possible d'agir différemment pour, par exemple, franchir la sécurité d'une zone à explorer est assez présent dans la première portion du jeu, sentiment qui s’érode un peu à mesure que le jeu avance.
ENTRE LIBERTÉ ET LINÉARITÉ
Malgré tout, le titre de Cyanide sait récompenser l'exploration, et un joueur fouillant le moindre recoin de chaque pièce pourra débloquer des options de dialogue ou des possibilités qu'un joueur plus pressé ne verra sans doute jamais. Ceci étant, ne vous attendez pas à une rejouabilité solide, l'histoire variant moins que la manière de la dévoiler, à quelques embranchements près. Notez qu'au cours de votre aventure, une jauge de sanité se videra à mesure que le héros sera confronté à des livres ou événements occultes, le faisant peu à peu basculer dans la folie. Si choisir d'embrasser pleinement l'insanité pourra débloquer des choix différents au cours de l'aventure, la présence de la jauge nous a paru anecdotique, rare étant de toute façon les éléments inquiétants pouvant être évités par votre personnage.
Call of Cthulhu fait en tout cas l'effort de varier les séquences de jeu et les manières de résoudre des situations parfois en apparence désespérées. Cela passe notamment par des séquences d'infiltration, qui, si elles ne sont pas catastrophiques, fonctionnent toutefois d'une manière un peu laborieuse en raison d'un comportement erratique de l'intelligence artificielle. Et à certains endroits, les checkpoints sont un peu trop espacés pour ne pas frustrer le joueur en cas de détection parfois injuste.
L'aventure de Call of Cthulhu est donc assez cadrée, et place régulièrement le joueur sur des rails dont il ne peut pas toujours dévier. Les phases d'enquêtes servent à débloquer des éléments de compréhension de l'histoire et se révèlent finalement assez peu passionnantes pour le joueur. Si certes, l'atmosphère du jeu parvient à le happer rapidement et que l'on salue le travail d'écriture et la qualité de certains environnements traversés, nous regrettons la présence d'un final un peu trop abrupt, qui fait suite à un dernier tiers d'aventure beaucoup trop couloir, précipité et un peu confus. C'est un manque de constance d'autant plus dommageable que ce pan de l'aventure exacerbe certains défauts de forme qui occultent parfois beaucoup trop le fond. C'est regrettable tant les bonnes idées et intentions sont là, mais elles ne sont parfois qu'effleurées et nous aurions aimé qu'elles aillent plus loin dans leur application.
Points forts
- Atmosphère digne de l'oeuvre de Lovecraft
- Certains endroits de Darkwater esthétiquement inspirés
- Une première portion de l'aventure très immersive
- Un vrai soin apporté à l'écriture
- Sound Design réussi
- Bonne durée de vie pour le format (7 à 10h environ)
- Certaines différences dans la résolution d'objectifs fonctionnent bien
Points faibles
- Globalement très dirigiste
- Un dernier tiers vraiment précipité
- Techniquement daté
- Rendu sur Switch nettement en deçà des versions consoles et PC
- Temps de chargement très long sur Switch
- Séquences d'infiltration et de recherche parfois laborieuses
- Un peu avare en énigmes et puzzles
Davantage centré sur la narration que l'interaction, Call of Cthulhu brille par son atmosphère et son écriture, mais se heurte à une interactivité assez limitée et des phases de jeu, notamment de recherche ou d'infiltration, pas toujours très heureuses. Les promesses de liberté d'action et d'histoire immersive, tenues dans le premier tiers du jeu, s'effacent dans sa dernière portion au profit d'une narration précipitée et parfois maladroite. Déjà techniquement faible sur les versions PC et consoles de salon, la version Switch du jeu pâti d'un downgrade manifeste, nettement plus apparent en mode docké qu'en mode portable, qui sera donc à privilégier Ainsi, si une épopée au cœur de la folie pendant une petite dizaine d'heures vous tente, Call of Cthulhu ne sera pas un moment désagréable, loin s'en faut, mais il faudra lui pardonner ses maladresses de forme pour en apprécier le fond.