Un an après un épisode égyptien de grande qualité, Assassin’s Creed s’offre une deuxième virée dans l’antiquité via son nouvel opus logiquement sous-titré Odyssey. Aux commandes d’Alexios ou Kassandra, vous disposez d’un choix inédit pour la série, celui de façonner l’avenir de votre personnage principal en plein coeur d’un conflit opposant Athènes à Sparte. Un pas de plus vers le jeu de rôle total initié par son prédécesseur, et qu’Odyssey parvient à franchir avec une maîtrise à laquelle on ne s’attendait pas.
Il nous a fallu plus de 65 heures de jeu pour venir à bout des différents arcs narratifs d’un épisode visiblement décidé à offrir bien plus de contenu que ses prédécesseurs. Outre le système de choix évoqué plus haut, le titre s’avère en effet copieux sur son contenu annexe, qu’il choisit ici d’intégrer avec soin à l’histoire principale pour former un ensemble de missions plus immersif que jamais.
Heureux qui comme Ubi, a fait un beau voyage
Avant de gonfler son contenu annexe, Odyssey s’est d’abord penché sur son scénario principal. Ce dernier nous fait parcourir une Grèce déchirée par les guerres du Péloponnèse, aux commandes d’un mercenaire bien décidé à suivre sa propre voie et qui croisera sur son chemin nombre de personnalités de l’époque, allant de Periclès à Socrate en passant par Archidamos, deuxième du nom. Si plusieurs choix n’influent que sur la perception que les autres ont de vous et se contentent de changer quelques dialogues pour servir davantage l’immersion, d’autres ont de véritables conséquences à terme sur l’histoire principale, ouvrant l’accès à de nouvelles quêtes ou les supprimant de l’arbre principal. Notons aussi qu’il existe plusieurs arcs majeurs centrés respectivement sur l’histoire de la famille du héros, la première civilisation et la traque des membres d’un culte. Il s’agit d’une première pour la série et chaque arc propose de surcroît une fin différente. Ces dernières apportent des réponses à plusieurs aspects d’un scénario par ailleurs garni en rebondissements et surprises, mais semblent bien vite expédiées au regard des longues heures passées à écumer les terres grecques. Nous n’aurions pas craché sur quelques fins étendues afin de prolonger encore le plaisir.
Si l’écriture générale s’avère un soupçon moins fine et touchante (nous pensons notamment aux séquences de romance) que celle d’Origins, elle ne manque pas d’intérêt, notamment grâce à une galerie de personnages secondaires d’une grande richesse, souvent incarnés par de nombreux personnages historiques intéressants de l’époque. Son contexte de guerre - fascinant, forcément - et l’exploitation d’éléments liés à la première civilisation offrent un scénario par ailleurs plus ouvert au mystique que par le passé, mais toujours mesuré à son sujet et soucieux de justifier le moindre élément fantastique du jeu. Restent les séquences du présent, qui s’avèrent aussi discrètes et dispensables que dans l’épisode précédent, mais ont au moins le mérite de proposer un soupçon de métahistoire pour les fans toujours intéressés par cette dernière. La plus grande réussite d’Odyssey réside sans doute dans sa capacité à intégrer avec intelligence son contenu annexe dans la quête principale, donnant furieusement envie de boucler le titre dans son intégralité plutôt que de finir à la hâte chaque arc narratif : cela tombe bien, puisqu’il vous faudra grand minimum une cinquantaine d’heures si vous souhaitez tous les boucler, et sans doute une trentaine si vous vous contentez de celui dédié à l’héritage familial d’Alexios ou Kassandra.
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Toi, toi mon choix
Outre un ensemble de quêtes secondaires scénarisées calquées sur le modèle de celles d’Origins, Odyssey propose également plusieurs nouveautés allant de missions dans lesquelles des personnages font référence à vos choix passés à de simples primes et contrats moins riches en dialogues. L’ensemble peut être perçu comme du remplissage, mais il s’avère tout à fait dispensable, justifié par le statut de mercenaire du héros et peut dans le même temps dépanner le joueur de quelques points d’expérience ou drachmes s’il s’avère un peu court sur ces deux points. Il en est de même pour les missions limitées dans le temps et celles permettant de récupérer de l’orichalque, à échanger contre des pièces uniques auprès d’un marchand spécialisé. La bonne surprise vient surtout du fait que toutes ces quêtes sont susceptibles de rejoindre certains pans de l’histoire principale, d’offrir de l’équipement, des lieutenants uniques ou même d’avoir des conséquences à terme, offrant un sentiment de réalisme accru.
Par exemple, si vous tombez par hasard sur un objet de quête avant même d’avoir réalisé cette dernière, la ligne de dialogue de Kassandra ou d’Alexios changera et celui-ci dira au personnage concerné qu’il a déjà récupéré l’objet en question durant son voyage. Ubisoft Québec a de plus eu la bonne idée de proposer un mode exploration, dans lequel vous devez chercher par vous-même le point d’objectif plutôt que de suivre un chemin tout tracé : la présence de l’aigle, Ikaros, et de lignes de dialogue permettant de vous repérer a le mérite de rendre ce mode tout à fait accessible aux néophytes. C’est d’ailleurs une constante de l’épisode, qui vous laisse de temps à autres (sur des quêtes annexes ou principales, d’ailleurs) chercher votre objectif dans une région entière en fouillant les points d’intérêt ou en accomplissant d’autres quêtes dans la zone. Loin d’être rébarbatif, ce système incite à explorer et essayer tous les types de contenus et permet de constater la richesse et la densité des systèmes proposés.
L'Attique des gens d'armes
C’est justement sur ce point qu’Odyssey s’émancipe définitivement de son prédécesseur puisqu’il tente d’offrir davantage de narration en s’appuyant sur le modèle de l’anecdote factory désormais au centre des productions Ubisoft. Via son système de mercenaire, tout d’abord, qui vont traquer le personnage dès lors que celui-ci enfreint trop de règles (vols, meurtres, envoi de navires par le fond), mais continuent aussi de vivre leur vie en parallèle, faisant même l’objet d’un classement qu’il est possible de gravir en tuant les mercenaires mieux classés que vous. La traque des adeptes fait quant à elle l’objet d’un pan entier de l’histoire et consiste à trouver tous les membres d’un culte en suivant des indices, chaque membre tué donnant accès à une nouvelle indication concernant un autre membre de sa branche. Enfin, chaque région a un dirigeant qu’il est possible de tuer (celui-ci est d’ailleurs moins entouré si vous sapez d’abord son influence dans la région) afin de provoquer une bataille de conquête particulièrement rémunératrice pour un mercenaire : un système simple et qui a le mérite de ne pas être utilisé à outrance, puisqu’on peut tout à fait l’ignorer pendant une grande partie du jeu.
Là aussi, chacun de ces sous-systèmes s’intègre bien dans l’ensemble de quêtes annexes ou principales : ainsi, il faudra parfois réussir une quête annexe pour obtenir un indice sur un adepte ou carrément découvrir l’identité de ce dernier. Certains d’entre eux peuvent également être des dirigeants ou des mercenaires, tandis que ces derniers viendront parfois croiser votre route dans une bataille de conquête s’ils se sont ralliés au camp ennemi. Notez d’ailleurs qu’il nous est même arrivé de démasquer complètement par hasard un adepte sans avoir le moindre indice à son sujet ou même de boucler une quête en sautant toutes les étapes de recherche intermédiaires, simplement en se rendant directement au bon endroit sans le savoir à l’avance. Un signe supplémentaire de l’ouverture et de la liberté totale proposée par le titre, qui a le mérite de toujours retomber sur ses pattes narrativement parlant malgré ce choix et de ne rien proposer de procédural ou d’aléatoire ici, puisque chaque élément dispose d’une place prédéfinie. Une vraie réussite !
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Lame sans peine
Les aventures de Bayek et d’Aya furent l’occasion pour Ubisoft Montréal de repenser l’interface, l’arbre de compétences et le système de combat de la saga. Sous la coupe de leurs voisins québecois, la licence bascule totalement dans le domaine du jeu de rôle en proposant cette fois un véritable système de spécialisation obligeant à choisir avec soin votre équipement, les gravures appliquées à celui-ci ainsi que vos compétences pour bâtir un personnage selon votre style de jeu. En combat, tout d’abord, le bouclier disparaît et la touche est désormais dédiée (en combinaison avec une des 4 touches d’action de la droite de la manette) à l’utilisation de compétences spécifiques que vous débloquez dans l’arbre dédié. Les points d’aptitude nécessaires s’obtiennent quant à eux de manière classique, en montant de niveau ou en bouclant les tombeaux disséminés dans tout le monde grec.
Les affrontements sont donc désormais plus basés sur l’esquive et l’utilisation appropriée des compétences, offrant davantage de choix d’actions et de stratégie que par le passé. Le constat s’applique aussi aux joueurs privilégiant l’archerie ou l’infiltration, deux styles de jeu tout à fait viables. Le premier grâce à la souplesse qu’il offre, même en cas d’affrontement direct, le second grâce - notamment - à la compétence de frappe héroïque qui peut être utilisée en combat rapproché et se base sur votre statistique de dégâts d’assassinats. Il reste tout de même plus simple d’aller affronter un boss avec un build chasseur ou guerrier, mais la voie de l’assassin vous fera économiser beaucoup de temps dans le reste de l’aventure, même s’il est plus fréquent de croiser des ennemis que vous ne pourrez pas tuer d’un seul coup avec la lame de Leonidas (qui remplace la lame secrète), sauf complétion judicieuse et totale de la branche liée à la discrétion. À vous de trancher, donc.
Notez que contrairement à Origins, il existe 5 pièces d’équipements pour le corps qui peuvent changer l’apparence de votre personnage, et un seul type d’arc est désormais présent. C'est par un passage dans les compétences que vous pourrez désormais tirer plusieurs flèches d’un seul coup ou utiliser des attaques élémentales. S’il est particulièrement agréable à prendre en main et offre une liberté d’approche des plus plaisantes, quelques défauts demeurent sur ce système : le changement d’ennemi locké avec le stick droit, par exemple, empêche de déplacer la caméra à votre guise puisqu’il est réalisé via la même touche. Un point parfois gênant dans des espaces clos ou face à un grand nombre d’ennemis. De même, l’IA s’avère plutôt agressive et mobile en combat, mais est plus que jamais facile à tromper en infiltration, notamment grâce à l’ajout de la possibilité de tirer des flèches depuis les buissons sans se faire repérer, au bref ralenti d’après détection ou plus simplement au manque de réactivité et au cône de détection très limité des gardes. Enfin, les archers en herbe pesteront contre le fait que le craft de flèches soit uniquement réalisable via l’ouverture de l’inventaire, et pas à la volée.
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L'Egée manie
Il nous reste quelques points à évoquer, et l’un d’entre eux concerne le véritable retour d’une partie navale. Contrairement aux épisodes Black Flag et Rogue, le passage de la terre à la mer - ou inversement, d’ailleurs - et l’exploration du monde grec en général sont totalement seamless, comprenez sans temps de chargement. Sur le papier, les séquences en mer ressemblent fortement à celles déjà proposées par le passé et restent aussi minoritaires dans la phase principale qu’essentielles pour se déplacer parmi les nombreuses îles de la mer Egée. Outre la possibilité de briser un navire en deux en l’éperonnant au bon moment, nous noterons tout de même l’ajout d’un système de lieutenants qui apportent des bonus statistiques à votre navire. Ceux-ci se recrutent généralement via des quêtes annexes ou principales pour les plus intéressants d’entre eux, mais il est aussi tout à fait possible d’assommer un garde des plus banals pour ensuite lui vanter les mérites de la vie en mer. l’idée est franchement loufoque, mais reste tout à fait dispensable au regard des nombreux lieutenants qu’il est possible d’enrôler par ailleurs. Pour le reste, outre quelques éléments cosmétiques (voiles, tenues de l’équipage, figure de proue), vous utiliserez vos ressources durement gagnées principalement pour améliorer les différentes parties du vaisseau et gonfler ses statistiques en combat. Rien de bien original donc, mais l’ensemble tient la route et suffit amplement à varier les plaisirs entre deux combats à terre.
Un univers de toute beauté
Si l’absence de temps de chargement dans votre exploration du monde est une vraie prouesse technique pour un univers d’une telle taille proposant un système de jeu aussi riche et vivant, ceux-ci s’avèrent particulièrement longs sur les déplacements rapides et nuisent parfois au rythme entre deux cutscenes. Le titre n’a souffert d’aucun bug de script durant notre partie, mais s’est malheureusement avéré plus généreux sur les problèmes de collision, la présence de freeze durant quelques secondes et de ralentissements sévères sur certaines séquences, sans oublier deux temps de chargement illimités qui nous ont forcés à relancer ce dernier. Rien qui ne gâche totalement une expérience de plusieurs dizaines d’heures de jeu, mais un patch correctif supplémentaire ne serait clairement pas de trop. Malgré un clipping prononcé et quelques textures qui tardent à apparaître, Assassin’s Creed Odyssey reste un titre visuellement très réussi. Outre ses panoramas superbes, l’esthétique variée des lieux proposés et un sens du détail prononcé sur la modélisation des armures, il a d’ailleurs pris soin d’offrir des modèles de personnages plus détaillés que ceux d’Origins. Le syndrome des personnages clonés est toujours là sur des missions annexes, mais ceux-ci ont au moins le mérite d’avoir meilleur allure. Enfin, le doublage français a la bonne idée, contrairement à son homologue américain, de se passer d’accents grecs prononcés un brin douteux et qui ne mettent pas en valeur une VO par ailleurs très réussie.
Points forts
- La Grèce, un terrain de jeu fantastique
- L’intégration d’éléments mystiques, bien justifiée
- Un vrai système de combat et de compétences
- Sensation de liberté totale
- Contenu annexe copieux, intéressant et très bien intégré
- Les systèmes d’adeptes, de mercenaires et de dirigeants
- Galerie réussie de personnages secondaires
- Les arcs narratifs plaisants à suivre...
Points faibles
- … Avec des fins trop vite expédiées
- Lock et caméra sur la même touche en combat
- L’IA des ennemis en infiltration
- Plusieurs bugs (freeze, collision, ralentissements)
- Longueur des temps de chargements (heureusement rares)
Plus qu’une simple évolution d’Origins, Odyssey révolutionne la série sur de nombreux points. En proposant plusieurs arcs narratifs, du contenu annexe scénarisé ou à la narration plus systémique, ainsi qu’un véritable choix de spécialisation de compétences, le titre se pare d’une liberté totale sur tous les plans et le fait avec brio. Son terrain de jeu à la fois vaste, géographiquement, et dense, par son contenu annexe, s’avère passionnant à parcourir grâce à un travail artistique toujours aussi fantastique, ne pechant que par des imperfections d’ordre technique allant du simple bug au clipping, plus présent. Difficile d’ignorer le travail de fond réalisé pour rendre l’univers immersif et vivant, même s’il s’accompagne de quelques défauts, IA ou caméra en combat de masse par exemple, inhérents à un titre offrant un tel niveau d’ouverture. Reste un scénario principal agréable et riche en rebondissements, mais aux différentes fins un poil trop expéditives : nous aurions aimé les voir durer un peu plus pour prolonger le plaisir, qui était lui bien présent au cours des nombreuses heures de jeu proposées par un épisode que l'on n'attendait sans doute pas à de telles hauteurs. Une très belle surprise, assurément.