Oui, gérer un hôpital ça peut être rigolo ! Bullfrog l’a déjà prouvé, c’était il y a plus de 20 ans. Le studio fondé par Peter Molyneux nous livrait Theme Hospital, encore aujourd’hui un incontournable des fans de jeux de gestion. Tenter de donner une suite à ce monument vidéoludique est une entreprise risquée, et plusieurs s’y sont cassé les dents. Bonne nouvelle, Mark Webley et Gary Carr, anciens de Bullfrog, sont de retour et proposent leur propre suite spirituelle. Vérifions si le résultat est à la hauteur avec fébrilité et défibrilateur.
Prise de sang, prise de traitement, prise de spectre... une entre prises
Two Point Hospital vous place à la tête d’une organisation dirigeant plusieurs hôpitaux. Dans chacun d’entre eux vous aurez à gérer le chemin d’un patient entre son arrivée penaude dans votre établissement et sa guérison totale, tout en lui prélevant un maximum d'argent. Il faudra établir son diagnostic grâce aux médecins généralistes et aux salles spécialisées qui se chargeront de le scanner, mesurer son activité cardiaque ou prélever divers fluides (et un peu de sous) pour analyser tout ça. L’objectif est d’amener la barre de diagnostic à 100%, à vous de fournir les moyens nécessaires en construisant les salles qui vont bien.
Ensuite vient le traitement : une fois le diagnostic plus ou moins établi, le patient sera dirigé vers la salle appropriée. Le succès de l’opération sera déterminé via un pourcentage de chance de guérison. Certaines maladies sont plus difficiles à traiter que d’autres et ce pourcentage peut être modifié par divers facteurs : compétence du personnel, niveau des machines utilisées, complétion du diagnostic... Attention, l’échec peut signifier la mort du patient, avec le risque qu’il ne revienne sous la forme d’un fantôme qui sèmera la panique sur son passage. Pour ce genre de souci, à qui fait-on appel ? À un agent de maintenance bien sûr, il pourra régler le problème avec son aspirateur-à-fantôme.
Murs anglés et onglets désincarnés
À vous de concevoir les diverses salles qui permettront toutes ces opérations, et on accueille avec plaisir les possibilités de personnalisation supplémentaires. Une fois votre espace délimité, il est temps de meubler. Un fourmillement d’éléments vous sont proposés pour régler la température de la pièce, permettre au médecin de s’asseoir entre deux consultations ou la rendre plus jolie et augmenter ainsi son prestige. Tous ces éléments sont déblocables avec une monnaie spéciale, les Kudoshs, que vous obtiendrez au fur et à mesure de votre progression. Pas de microtransactions ici. Même le décor peut avoir un intérêt : une armoire à pharmacie augmentera légèrement les chances de succès de vos diagnostics et traitements, par exemple.
On regrettera l’absence d’onglets pour s’y retrouver dans la longue liste des objets. Il y a bien un système de filtres mais celui-ci impose un clic supplémentaire et lorsque vous devez construire plusieurs salles de médecine générale pour répondre rapidement à un afflux massif de visiteurs, chaque clic superflu est une frustration. On aurait aimé un peu d’automatisation à ce niveau, comme la possibilité de dupliquer une salle ou peut être un système d’enregistrement d’objets que l’on pourrait acheter d’un clic à la création d’une salle similaire puis placer à la chaîne. La pause active permet tout de même de prendre son temps, c'est déjà ça.
Qu’est-ce qu’ils mangent, tes morts !
Tout ce parcours doit se faire en s’assurant que vos patients soient chouchoutés, un départ en rage serait du plus mauvais effet sur votre réputation. Prévoyez de quoi s’asseoir, manger, boire ou se divertir pour votre clientèle. Un oubli peut avoir de lourdes conséquences : des patients qui ne peuvent se rendre aux toilettes vont “naturellement” salir l’espace, avec des conséquences directes sur l’hygiène de la zone et leurs chances de survie. De même, si votre seul distributeur de chips disponible est à l’autre bout de l’établissement, votre patient affamé va mettre une éternité à faire l’aller-retour, risquant de faire une file d’attente qui attend son retour pour avancer. Le personnel ne devra pas être oublié car ces besoins le concernent également.
Le bonheur et la compétence de votre staff sont au coeur de votre réussite. Les petites descriptions amusantes de Theme Hospital sont de retour mais pourront cette fois avoir des effets concrets sur le gameplay : un infirmier décrit comme peu motivé aura une vitesse plus faible. Pour contrer ces éventuels mauvais effets, rien de tel que les formations. Certaines amélioreront les compétences (vitesse, efficacité des traitements ou des diagnostics...), d'autres leur permettront d'apprendre de nouvelles spécialisations, comme la psychiatrie. Les obsédés de l’optimisation prendront plaisir à spécialiser leurs médecins et organiser leurs tâches pour les utiliser au maximum de leur potentiel, en créant des super-chirurgiens ou des diagnosticiens hors-pairs. Mais sans canne, zut.
De la gestion trois fois par jour pendant les repas
Préparez-vous à avoir les yeux partout, la somme de tous ces éléments doit fonctionner sans accroc tant le moindre dysfonctionnement peut être fatal. Le parcours d’un patient est un compte à rebours avant son inexorable décès, votre but est d’apporter le juste traitement au plus vite. Il faudra donc prendre de la hauteur pour optimiser le fonctionnement de l'hôpital et fouiller dans les différentes interfaces proposées. Elles vous permettront de coordonner des aspects divers, comme les prix pratiqués par votre établissement, que ce soit pour les traitements ou les distributeurs. Vous pourrez également gérer le temps de pause des médecins, faire des emprunts ou observer de bien jolies courbes de progression. Ces interfaces ne sont cependant pas très bien organisées, avec des informations éclatées dans plusieurs endroits et des options que l'on peine à retrouver. Dommage !
Plus original, vous devrez également avoir une vision globale de tous vos hôpitaux pour faire les choses au mieux. Les recherches effectuées et les éléments débloqués dans un hôpital seront automatiquement reportés sur les établissements suivants et précédents. Vous pouvez ainsi revenir dans vos anciens hôpitaux comme vous le souhaitez.. Cela ajoute une cohérence à votre organisation et vous permet d’avoir un hôpital spécialisé dans les recherches, où vous reviendrez faire les développements requis pour lutter contre cette nouvelle maladie rencontrée dans un hôpital plus avancé. Une bonne idée qu’on aimerait voir s’étendre à plus de choses, comme un système de réputation globale de l’organisation ou la possibilité de muter des médecins.
Tous les chemins mènent au sérum
Votre organisation va avoir la possibilité d’oeuvrer dans plusieurs endroits de Two Point County. Faire le minimum requis pour débloquer les hôpitaux suivants sera assez simple, en revanche obtenir les trois étoiles partout mettra vos talents à l'épreuve. Avec 15 hôpitaux proposés, il y a du travail ! On regrettera l’absence de game over quand la réputation d’un hôpital devient critique. Le seul véritable problème pourra être l’argent, une situation complètement bloquée pouvant nécessiter de recommencer un scénario.
Chaque nouvel hôpital est l’occasion de recommencer à zéro ou presque la même mécanique, une tâche qui devient redondante. C’était déjà le cas dans Theme Hospital mais le problème est ici exacerbé par le nombre de petits éléments à gérer à répétition pour que la machine tourne au mieux. Chaque scénario apporte son lot de spécificités pour apporter un peu de fraîcheur : ici un climat aride obligeant l’utilisation de climatiseurs, là un hôpital près d’une station de ski où les fractures vont s’accumuler... Certains scénarios sortent plus franchement de la routine, comme cet hôpital du service public où les patients ne paieront rien et où vous gagnerez vos financements via des subventions… hélas parfois étranges : 50.000$ obtenus en arrosant 10 plantes ? On signe où ?
Pour pimenter vos parties rien de tel que les événements aléatoires ! Urgences et épidémies ponctuelles sont de retour, les secondes bien plus amusantes à jouer que dans Theme Hospital par ailleurs. Les séismes ne sont plus les seules catastrophes naturelles possibles (quelle idée aussi de construire un hôpital à côté d’une centrale nucléaire instable) et vous obligeront à prendre soin de vos équipements. Enfin, divers défis vous seront proposés par votre personnel, comme augmenter le prestige de leur salle de repos (ben tiens). Vous aurez également un petit aspect multijoueur sous la forme de leaderbords, de rappels réguliers que vos amis ont de meilleurs résultats que vous ou même de petits défis asynchrones, comme “c’est qui qui guérira le plus de monde en 180 jours ?”. Un complément agréable à une expérience essentiellement solo.
T'aimes Hospital ?
La comparaison avec Theme Hospital était inévitable, mais c’est le meilleur point de ce Two Point Hospital : on a ici le grand retour de la gestion loufoque typique des productions Bullfrog et ça fait du bien ! Une vision cynique et amusante du monde hospitalier vous attend, dans un univers déjanté qui ne se prend au sérieux que pour se permettre quelques piques satiriques. Les maladies fictives sont de retour et leur liste est impressionnante : Têtes d’Ampoule (c’est littéral), clowns que vous pourrez enfin rendre normaux, Diarrhée Verbale, Pieds Crasseux... Certaines maladies font écho aux meilleures créations de Theme Hospital, les fans auront beaucoup de plaisir à voir une variante du Syndrome du King. Chaque maladie est l’occasion d’un petit descriptif hilarant et porté par une traduction qui se permet des références localisées.
Ces maladies ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Entre deux crises à gérer vous pourrez souffler et prendre plaisir à profiter du très agréable niveau de zoom du jeu. Le style graphique cartoon permet de dédramatiser les traitements désagréables que subissent vos cobayes. Un style très propre et surtout un travail prodigieux sur les animations. Le monde grouille de vie et une surprise peut surgir de n'importe quelle interaction entre personnages et objets. Imaginez un chirurgien qui trouve un canard en plastique dans le ventre d’un patient. C’est dans ce souci du détail que le jeu brille le plus, et ça n'est pas que décoratif : un patient pris d’une envie de vomir pourra faire sa besogne à même le sol… Ou, si une poubelle se trouve à proximité, s’y précipiter, merci à lui. Deux personnages qui se rencontrent vont peut être se disputer, et entraîner une baisse temporaire de leur efficacité. Les clowns vont faire des pouèt pouèt avec leurs dessous de bras, des chercheurs vont se battre avec leur beau serveur informatique… Ça n’arrête pas !
Un mot enfin sur l’ambiance sonore qui termine de parachever le tableau, on ne peut ignorer les différents spots de publicité et interventions des DJ qui restent dans le ton et parviendront à vous amuser au milieu de votre dur labeur. Hélas, contrairement aux textes traduits, la bande son est intégralement en anglais. Pas d'incidence sur le jeu puisqu'il ne s'agit que d'enrobage, mais les non-anglophones passent à côté de plein de blagues, c'est triste. C’est comme prendre un médicament sans lire la notice : ça marche, mais c'est bien moins rigolo.
Points forts
- L'esprit Theme Hospital : maladies délirantes, satire...
- Les nombreuses animations hilarantes
- Le design cartoon propre et efficace
- L'aspect gestion riche et passionnant, surtout pour les férus d'optimisation
- La personnalisation poussée et utile dans le gameplay
- La possibilité de revenir dans les anciens hôpitaux et profiter partout des éléments débloqués
- Les petits ajouts au fil de la progression
Points faibles
- Des soucis dans les interfaces de création et de gestion : absence d'onglets, informations éclatées...
- Le possible manque de motivation quand il s'agit de créer un énième cabinet du généraliste
- L'excellente piste audio hélas pas traduite
Two Point Hospital marque le retour en force d'un genre, comme s'il avait fallu attendre 20 ans pour revivre la même chose avec une telle intensité. Lier univers loufoque et gameplay intéressant n'est pas une mince affaire, et ici tout est question d'alchimie parfaitement maîtrisée. Si on regrettera les quelques soucis d'interfaces ou de répétitivité, ils n'entâcheront en rien le plaisir d'évoluer dans un univers organique où de chaque interaction peut surgir une drôlerie, et où ce qui se passe à l'écran est intimement lié au gameplay. Il est tout aussi plaisant de planifier et d'optimiser le développement de ses activités que de parcourir le résultat. Two Point Studios, si vous parvenez encore à guérir notre nostalgie avec une dose de modernité, laissez-nous être vos cobayes !