Véritable poule aux oeufs d’or pour Ubisoft, la franchise Tom Clancy a été adaptée par l’éditeur français à travers de nombreuses séries devenues cultes au fil des années. Splinter Cell, Rainbow Six et Ghost Recon... les récits d’anticipation ont déferlé sur consoles et PC depuis 2 décennies. Dernière aventure en date des Ghost, Future Soldier rajeunissait la formule en 2012 avec un TPS tactique prenant tout son sens en coopération. Nous sommes désormais en 2017 et jeu vidéo rime avec monde ouvert. Annoncé lors de l’E3 2015, Ghost Recon Wildlands quitte la linéarité historique de la saga et s’aventure en Bolivie sur les terres de l’Open World et des cartels. Enfilez votre treillis et graissez votre M4 ! Les Ghost vous enrôlent pour un périple humant la coca et la testostérone.
Get high or die trying
La Bolivie n'est plus que l'ombre du paradis sud-américain qu'elle fut jadis. Sous l'impulsion du cartel Santa Blanca et de la corruption d'un gouvernement ayant jeté l'éponge, un narco-état s'est instauré. La vie s'écoule saupoudrée qu'elle est par une violence et une cocaïne omniprésentes. La population subit le joug de El Sueno et de ses lieutenants tandis que les rebelles luttent pour simplement survivre. Dans ce contexte, un agent infiltré de la CIA est retrouvé mort, le corps mutilé par de longues heures de torture. Les instances américaines s'empressent alors de réagir et envoient sur place les Ghost, une unité d'élite avec pour mission de couper les têtes de l'hydre et ainsi détruire le cartel coûte que coûte.
Nul doute n'est permis. Nous sommes bien dans une oeuvre estampillée Tom Clancy. Malgré un manque surprenant d'anticipation, ce nouvel épisode des Ghost est fidèle aux principes qui ont fait le succès de l'écrivain. Terrorisme, complot, ingérence, patriotisme et bravoure sont au rendez-vous et feront vibrer la corde sensible des fans. Et pourtant, difficile de ne pas entrapercevoir Vaas et Pagan Min (Far Cry 3 et Far Cry 4) dans la vision du monde et les motivations de El Sueno, sans jamais atteindre la folie et le prestance de l'iroquois cité ci-dessus. Bien que charismatique, ce vilain ne pimente que trop peu l'aventure et restera anecdotique parmi les «Bad Guy» du jeu vidéo.
La narration se veut minimaliste et passe avant tout par le gameplay quitte à délaisser la mise en scène. Très peu de cinématiques ponctuent le récit et les scènes de dialogues elles-mêmes sont évincées au profit d'échange in game, ces séquences jouant le rôle de liant entre les missions. Ce parti pris offre aux Ghost un périple dénué de pause ou presque et transpose manette en mains cet effet domino, cette fatalité qui émane d’un récit adulte et sans concession. Les scénaristes nous livrent une histoire convenue, sachant tout de même nous surprendre par la violence qui s'en échappe et les thèmes abordés. Rarement la plume d'Ubisoft ne fut aussi viscérale et sanglante et la voir s'encanailler me ravit.
Masochiste, voire utopiste, est le créatif cherchant à fusionner monde ouvert et narration. Loin de la maestria d’un The Witcher 3 : Wild Hunt, Ghost Recon Wildlands se contente de recycler la recette Open World d’Ubisoft, ravivant les souvenirs de feu Far Cry et Tom Clancy's The Division, avec en première ligne une carte toujours plus vaste découpée en zones où exploration rime avec missions débloquées à mesure que le scénario progresse. De la recherche de documents s’attardant sur le lore à la multitude de missions secondaires proposées (attaque de convoi, escorte, élimination…), l'ensemble des poncifs du genre agrémente le périple des Ghosts même si un sentiment de déjà-vu se dégage de la structure du jeu. Et pourtant, la variété des missions et des situations suffit à insuffler une envie tenace de découvrir cette Bolivie virtuelle.
Un interrogatoire nocturne
La Bolivie dans tous ses états
Pour la première fois dans l'histoire de la série, les Ghost quittent la linéarité des précédents épisodes pour arpenter les terres d'un monde ouvert s'étendant à perte de vue. Le savoir-faire d'Ubisoft en ce qui concerne la création d'Open World n'est plus à démontrer. De Watch Dogs 2 à Far Cry en passant par The Division et Assassin's Creed, l'éditeur français sculptent dans le pixel brute des univers crédibles et vivants. Et ce Ghost Recon ne déroge aucunement à la règle. L'Amérique du Sud n'a que trop rarement été le théâtre d'aventures videoludiques et découvrir ce continent se fait le sourire aux lèvres. Le travail effectué par les artistes est tout simplement bluffant et donne vie à ce pays culminant à 6.542 mètres d'altitude. Faune et flore vaquent ainsi à leurs occupations au cœur d'environnements criants de vérité et propices à un dépaysement total. Le sens du détail se retrouve ainsi dans chaque plante, chaque édifice, chaque relief... et bâtit une Bolivie certes fantasmée, mais bien réelle.
La variété des lieux visités et des ambiances garantit un voyage plaisant dans ce narco-état. Montagne enneigée, vallée verdoyante, désert ensoleillée... Ghost Recon Wildlands se la joue carte postale et invite le joueur à parcourir ce terrain de jeu virtuel de long en large aux commandes de véhicules divers et variés. Par la voie des airs, des mers ou de la terre, la Bolivie de El Sueno vous tend les bras. Prendre un hélicoptère et lancer un raid aérien sur un avant-poste ennemi, essorer la poignée d'une moto et attaquer un convoi de marchandises avec panache ou simplement visiter le pays entre 2 missions... le sentiment de liberté est indéniable et fait la force du titre, aidé par une conduite arcade qui s'avère au final accessible et divertissante (même avec l'hélicoptère).
Le soleil se lève encore ici bas... et la Bolivie se drape d'un nouvel éclat. Par un savant jeu de reflets, d’ombres portées... la lumière possède le don de faire naître du néant le réel. Ghost Recon Wildlands pousse le réalisme dans ses retranchements par sa seule gestion de celle-ci. De jour comme de nuit, ensoleillé ou sous la pluie, les rayons du soleil et l'astre lunaire éclairent nos pas avec un sens du réel rarement atteint. Le passage d'un nuage plongeant la zone dans une pénombre passagère témoigne à elle seule de la maîtrise des artistes ayant officié sur le titre. Et ce soin apporté aux détails se retrouve dans les projections de sang souillant un mur jusqu'ici immaculé ou encore les impacts sur les carlingues de voiture après une rafale de fusil d'assaut. Cependant, la réalisation n'est pas parfaite pour autant. Le manque de variétés dans les PNJ et autres ennemis, bien que compréhensible face à la taille du monde ouvert, laisse le visiteur sur sa faim. La physique prend parfois ses aises avec les lois qui régissent l'univers. Quant aux bugs et clipping déplaisant, ces derniers sont bel et bien présents sans jamais être rédhibitoires.
Faire parler les poudres
Depuis les premiers pas des Ghost, affrontements et stratégies vont de pair. Aucun intérêt à foncer tête baissée en scandant un chant patriotique sous peine de mordre la poussière séance tenante. Et Wildlands fait honneur à ses aînés. Reprenant les mécaniques ayant fait le succès de Future Soldier et enrichissant la formule avec cette vision Open World, ce nouvel épisode embrasse sa dimension tactique si bien que ressortir d’une base ennemie sans avoir déclenché l’alarme est synonyme de joie intense et palpable. L’approche discrète est ainsi récompensée. L’utilisation de drones et de jumelles pour marquer les ennemis, de leurres pour les attirer vers une mort certaine… le Ghost appâte sa proie avant de fondre dessus sans crier gare par le déclenchement d’un piège, une élimination synchronisée avec les membres de l’équipe ou une magistrale balle dans la tête à 400 mètres de distance.
Un plan se déroule rarement sans accroc. Soldats d’élite, les Ghost combattent le feu par le feu et font pleuvoir sur leurs ennemis une pluie de plomb. La quiétude laisse ainsi place aux cris d’agonie de la Santa Blanca. Et ce ressenti arme en mains ne fait qu’accroître l’intensité des combats. Le sang gicle à l’écran. Les sbires s’écroulent sous vos rafales et tirs de précision tandis qu’un plaisir coupable vous envahit. Ces escarmouches aussi divertissantes qu'intenses rendent justice à une saga qui aura fait des gunfights sa marque de fabrique. Et si une chevauchée mécanisée des Valkyrie vous tente, il sera toujours temps d'emprunter un hélicoptère ou un véhicule blindé équipé de mitrailleuses lourdes et de partir en croisade avec l’appui des rebelles et de leurs tirs de mortier… idéal pour nettoyer par les flammes une zone.
Cependant, l’intelligence artificielle derrière le comportement des soldats de la Santa Blanca s’avère sommaire et se contente de réciter les gammes du TPS moderne sans jamais s’aventurer en terres inconnues. Ennemis à couvert, contournements et assauts kamikazes rythment des affrontements nerveux, mais qui auraient mérité une opposition prompte à nous surprendre. En l'état, les troupes du cartel méritent leur salaire une fois en net surnombre, sans pouvoir espérer une quelconque prime récompensant un acte de bravoure. De bons petits soldats dociles servant de chair à canon... voilà tout !
L'infiltration pâtit aussi de cette I.A. Depuis que le jeu vidéo existe, l'ennemi se voit muni d'une mémoire de poisson rouge. Après 3 minutes de fouille, l'alerte est levée et votre existence oubliée par la même occasion. Un mal moderne présent dans de nombreux jeux que nous aurions aimé voir gommer, en partie du moins. De plus, l'I.A qui régit vos alliés ne sera jamais source d'étonnement, que ce soit en bien ou en mal. Invisible aux yeux des ennemis avant que les premiers tirs partent, ces 3 compères vous suivent comme votre ombre et répondent aux doigts et à l'oeil aux 4 ordres mis à votre disposition ; rien de plus rien de moins à l'exception des tirs synchronisés et cette faculté à ne jamais manquer les cibles désignés.
Assaut sur une hacienda
La voie du Ghost
Rares sont les shooters modernes boudant tout aspect RPG au profit de l'action dans son plus simple appareil. Les récents Far Cry et l'obtention de compétences, le post-apocyptique The Division et sa création de personnage... l'ensemble des mécaniques des précédents titres d'Ubisoft enrichissent l'expérience, mise à part un crafting tout simplement absent et remplacé par une personnalisation poussée des armes. Remplir les missions secondaires et disposer des balises dans divers containers sont synonymes de ressources qui débloquent à terme des aptitudes passives ou actives. De la résistance aux balles à la portée du drone... vos aptitudes au combat s'améliorent au fil de l'aventure. Ce principe un brin usé vous force à l'exploration sous peine de voir la difficulté se corser drastiquement par manque de répondant.
Les armes répondent aux mêmes obligations. Nouvelles pièces et pétoires s'obtiennent sur le terrain en dénichant les caisses abandonnées par la Santa Blanca. Et dieu sait que cette puissance de feu sera salutaire. Un fusil de sniper à la portée accrue, un fusil d'assaut équipé d'un lance-grenade... les amateurs seront conquis par le choix, la variété et la customisation des armes. Le Gunsmith est de retour et nul doute que les fans passeront des heures à chouchouter leur attirail. A la différence de nombreux jeux de l'éditeur, Ghost Recon Wildlands se dote d'un système complet de création de personnages. Visage prédéfini, couleur de peau, vêtements, accessoires... ce héros devient votre Moi virtuel et accentue ce sentiment d'immersion. A travers cet amas de pixels et les choix effectués sur le terrain, l'aventure se fait votre.
4*4 16*4 64
Aussi fun soit la campagne en solo et plaisant de survivre par et pour soi même sur ces terres hostiles, l'expérience Ghost Recon se vit à plusieurs. Une fois l'intelligence artificielle alliée abandonnée sur le bord de la route et remplacée par 3 êtres humains, la véritable aventure commence. Dites au revoir à la pensée unique de vos collègues et embrassez l'imprévisibilité. Prendre d'assaut un poste avancé ennemi aura rarement été aussi prenant. Parachuté derrière les lignes ennemis, vous éliminez les snipers pendant que vos alliés font diversion de l'autre côté du camp. Et ce n'est qu'un scénario parmi tant d'autres. Le seul fait de parcourir la Bolivie entre «Bro» est une expérience à part entière. Loin de bouder notre plaisir, ces instants en coopération resteront gravés dans notre mémoire. Ghost Recon Wildlands exprime tout son potentiel à 4 joueurs et passer à côté de cela signifie passer à côté du titre.
Voler un camion en toute discrétion
Points forts
- Un scénario adulte et sans concession...
- Une narration par et pour le gameplay...
- Un monde ouvert criant de vérité (la Bolivie comme vous ne la verrez jamais)
- Une expérience coopérative sans pareil
- Des affrontements nerveux et tactiques
- Une réussite technique avec au premier plan les effets de lumière
Points faibles
- ... mais sans véritable surprise
- ... délaissant tout principe de mise en scène cinématographique
- Un sentiment persistant de déjà-vu (Far Cry 4, [id:54350 Watch Dogs 2], [id:49008 The Division]...)
- Une intelligence artificielle sommaire se contentant du minimum syndical
- Une aventure redondante après 20 heures de jeu (uniquement en solo)
Ghost Recon Wildlands est loin d'être un jeu parfait. Intelligence artificielle sommaire, missions répétitives et mise en scène simpliste pourraient nuire à l'expérience. Mais ce serait sans compter sur le savoir-faire d'Ubisoft et sa propension à concevoir des mondes ouverts à la fois vastes et crédibles sans oublier cette volonté de laisser les joueurs libres d'aborder les situations comme ils l'entendent. Avec sa campagne jouable intégralement à 4, ce périple bolivien prend tout son sens en coopération au point d'effacer de ce plan de l'existence le concept même de solo. Seul un sentiment de déjà-vu pourrait entraver votre plaisir et ce n'est qu'un détail face à l'ampleur du travail accompli.